Le Canada a montré que remettre de l’ordre dans les comptes publics tout en baissant les impôts, c’est possible!
Nous célébrons cette année le cinquantième anniversaire du dernier budget voté à l’équilibre. Les chiffres sont aujourd’hui alarmants : 3200 milliards d’euros de dette – soit 46 000 euros par habitant -, une charge de la dette à 46,3 milliards d’euros, un déficit à 6 %. Du reste, les alertes se succèdent de la part de différentes institutions internationales : avertissements du FMI, procédure pour déficit excessif enclenchée par la Commission Européenne, dégradation de la dette en juin par l’agence de notation S&P, et plus récemment, une perspective négative attribuée par Fitch, un an après avoir elle aussi dégradé la dette de la France.
Alors que les comptes publics brûlent, la classe politique regarde ailleurs… quand elle devrait regarder en direction des pays qui ont réussi à remettre de l’ordre dans les comptes publics.
Les Français, et notamment les plus jeunes, l’ont bien compris tandis que le gouvernement actuel persiste et signe. En effet, après de multiples erreurs d’évaluations de la gravité du déficit de la part de son prédécesseur, son objectif « ambitieux » est de faire respecter nos engagements européens en matière de déficit… à l’horizon 2029. Autant dire que le problème est remis aux calendes grecques. À peine nommée, l’équipe gouvernementale a annoncé la couleur : la réduction de la dette passera par «un effort» de chacun – entendez une hausse des impôts. Dans les faits seulement, 70 % des efforts de réduction du déficit passeront par une hausse des impôts dans le prochain Projet de loi de finances, selon le Haut Conseil des Finances publiques. Précisons que du côté des dépenses, il est annoncé qu’elles seront réduites de 0,1 %… une goutte d’eau dans l’océan de la gabegie budgétaire.
Pourquoi le gouvernement a-t-il privilégié la piste de la hausse des impôts dans le pays le plus fiscalisé au monde, sans envisager de réduire sérieusement les dépenses publiques? Outre les difficultés politiques qu’un tel choix pourrait impliquer, probablement parce qu’il a considéré, comme certains commentateurs, que la réduction de la dépense publique pouvait « casser » la croissance.
Or, l’expérience budgétaire et politique du Canada dans les années 1990 nous enseigne deux leçons importantes. La première est que la spirale infernale de la dette n’est pas une fatalité, même lorsqu’on est au bord du gouffre : avec du volontarisme politique, il est possible d’en sortir. La deuxième est que la baisse des dépenses publiques peut aller de pair avec une baisse des impôts pour créer un environnement favorable à la création de richesses.
Au début des années 1990, la situation du Canada était considérée comme dramatique par le FMI en raison du niveau de sa dette publique, jugée exceptionnellement élevée. Elle avait atteint un niveau similaire au nôtre aujourd’hui, quoique légèrement inférieur (100 %). En janvier 1995, le Wall Street Journal publiait même un éditorial titré «Le Canada en faillite?» , soutenant que si rien n’était fait dans le budget 1995-96, le Canada pourrait en venir à demander une aide du FMI. Le gouvernement de centre-gauche (Parti libéral) de Jean Chrétien, au pouvoir à l’époque, a mis en place un véritable « consensus » avec les forces politiques et acteurs locaux en présence sur la méthode à adopter pour réduire la dette publique en réduisant les dépenses du gouvernement. L’approche est globale : à la fois horizontale avec une réflexion sur le périmètre d’action de l’État et verticale avec une réflexion au sein de chaque domaine d’action publique quant à l’efficacité de la dépense. Une revue de l’ensemble des dépenses a été réalisée par chaque Ministère autour de six questions :
- La dépense sert-elle l’intérêt public?
- Nécessite-t-elle la participation du gouvernement?
- Le rôle du gouvernement fédéral est-il approprié?
- Y a-t-il des possibilités de partenariats secteur public/secteur privé?
- Y a-t-il des possibilités d’amélioration de l’efficacité?
- Est-ce économiquement raisonnable?
Le succès de ce gouvernement est quasi immédiat : en trois ans, le pays passe d’une situation de déficit avoisinant les 10 % à une situation d’équilibre. La dette a baissé de 30 points en 10 ans, tandis que tous les budgets ont été votés proches de l’équilibre ou en excédent avant que ne survienne la crise de 2008.
Le «consensus Chrétien» a fait ses preuves, grâce à une réduction drastique des dépenses publiques, d’un niveau voisin de celui de la France aujourd’hui (53 % du PIB) à 39 % du PIB. Dans le même temps, les libéraux aux pouvoirs et leurs successeurs conservateurs ont progressivement baisser l’impôt sur les sociétés, qui est passé d’un taux de 28 % en 2001, à 15 % en 2012.
Cela a-t-il abouti à une croissance en berne et à une «casse sociale» ? Non. L’inverse semble même s’être produit. Alors que les dépenses publiques diminuaient, la croissance s’est maintenue à un niveau compris entre 2 et 5 %, le taux d’emploi a augmenté en moyenne de 2,3 % entre 1997 et 2003, le niveau de vie de 2,8 %, le PIB par habitant de 20 %, tandis que le taux de pauvreté a fortement reculé. Le graphique ci-dessous résume bien la situation.
Vu de la France de 2024, l’expérience canadienne est riche d’enseignements. Tout d’abord, quand on veut on peut ! La méthode consensuelle, transpartisane et systémique de Jean Chrétien et de son gouvernement a montré qu’il était possible de sortir le pays du marasme budgétaire. Ensuite, le Canada nous enseigne que la baisse des dépenses publiques n’est pas un mal, au contraire! Le sevrage est dur, mais nécessaire et bénéfique à moyen terme, car de nature à générer de la croissance. Ce qui vaut pour le Canada est valide ailleurs, comme les travaux du professeur d’économie à l’Université Panthéon-Sorbonne, François Facchini, l’indiquent : la sobriété budgétaire appuyée par la réduction des dépenses a généré de la croissance au Danemark, en Irlande, ou encore en Suède.
Enfin, le pays du sirop d’érable et du hockey sur glace nous montre que le courage politique est payant. Jean Chrétien, malgré sa politique de rigueur, a exercé 3 mandats et son successeur, Paul Martin, fut l’un de ses ministres. Les électeurs canadiens ont été reconnaissants vis-à-vis des dirigeants qui ont fait reposer les efforts de réduction de la dette sur les administrations publiques plutôt que sur les contribuables. Preuve s’il en fallait que le courage politique peut être récompensé dans les urnes : avis aux amateurs…
Kevin Brookes is a lecturer and researcher in political science at the Catholic University of Lille and an Associate Researcher at the MEI. Louise Baroin is a student at Audencia Nantes and Sciences-Po Saint-Germain en Laye. The views reflected in this opinion piece are their own.