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Urgences : quand les patients repartent sans être soignés

Point montrant que plus d’un patient québécois sur dix qui se rend à l’urgence en ressort sans avoir été soigné

L’an dernier, près de 380 000 Québécois – soit plus de 1000 patients par jour – sont ressortis de l’urgence d’un hôpital sans prise en charge médicale, montre cette publication.

En lien avec cette publication

1000 patients quittent l’urgence quotidiennement sans se faire soigner (TVA Nouvelles, 29 janvier 2020)

Des milliers de Québécois quittent les urgences sans avoir vu un médecin (La Presse, 29 janvier 2020)

Mille personnes par jour repartiraient de l’urgence sans avoir été vues au Québec (Ici Radio-Canada, 29 janvier 2020)

1,000 patients a day left Quebec emergency rooms last year without being treated: study (CTV News, 29 janvier 2020)

Quebec’s overflowing emergency rooms are a symptom of a deeper problem (National Post, 31 janvier 2020)

Entrevue avec Patrick Déry (Facteur matinal, Ici Radio-Canada, 29 janvier 2020)

Entrevue avec Patrick Déry (Que l’Outaouais se lève, 104.7 FM, 30 janvier 2020)

Entrevue avec Patrick Déry (Mario Dumont, LCN-TV, 29 janvier)

Commentaire de Mario Dumont (Mario Dumont, LCN-TV, 29 janvier)

Entrevue (en anglais) avec Patrick Déry (CTV News at 5, CFCF-TV, 31 janvier 2020)

 

Ce Point a été préparé par Patrick Déry, analyste associé senior à l’IEDM. La Collection Santé de l’IEDM vise à examiner dans quelle mesure la liberté de choix et l’entrepreneuriat permettent d’améliorer la qualité et l’efficacité des services de santé pour tous les patients.

Une fois de plus, la période des fêtes a été difficile dans les hôpitaux du Québec. Peu après le Nouvel An, le taux d’occupation de plusieurs salles d’urgence dépassait les 150 %. Certaines ont atteint les 200 %, et un hôpital de Montréal a même affiché un taux de 250 %(1). Cela signifie que l’on comptait cinq patients pour chaque paire de civières disponible. La grippe saisonnière a sans doute ajouté aux difficultés du système, mais on peut difficilement blâmer un phénomène annuel et prévisible pour des problèmes qui perdurent depuis des décennies(2).

Les débordements à l’urgence sont le symptôme d’un mal plus profond. Malgré l’ajout de toujours plus de fonds publics, la planification centralisée depuis le ministère et une multitude de barrières empêchent la meilleure allocation des ressources et leur utilisation optimale. Ainsi, un Québécois sur cinq n’a toujours pas de médecin de famille, et près d’un sur trois à Montréal(3). Ceux qui en cherchent un peuvent attendre pendant des années, même s’il s’agit de cas jugés prioritaires(4), et leur nombre augmente sans cesse(5).

Les urgences deviennent donc la porte d’entrée du système de santé pour de nombreux patients. Plus de la moitié (55 %) des Québécois qui visitent l’urgence se font attribuer une priorité de niveau 4 ou 5, ce qui correspond généralement à une condition pouvant être traitée en clinique(6).

Malgré toute l’attention politique et médiatique qu’a reçue notre système de santé et en dépit des sommes considérables – et croissantes – que l’État injecte dans le système de santé chaque année, le temps d’attente stagne ou se détériore : la durée médiane de séjour pour les patients sur civière est la même qu’il y a quinze ans, tandis qu’elle a augmenté de 50 % pour les patients ambulatoires(7).

Des patients qui abandonnent

Les urgences du Québec reçoivent environ 3,7 millions de visites annuellement. De ce nombre, environ 3,2 millions sont pris en charge et soignés sur place. Une partie de ces patients sont réorientés dans le système de santé. Les autres quittent avant d’avoir été vus par un médecin(8).

L’an dernier, près de 380 000 Québécois – ou plus de 1000 patients par jour – se sont présentés à l’urgence d’un hôpital et en sont ressortis sans prise en charge médicale, et sans avoir été réorientés, selon les données du ministère de la Santé (voir la Figure 1). C’est donc plus d’un patient sur dix qui a renoncé à être soigné. Plus d’un cinquième de ces patients avaient pourtant été classés au triage comme étant des cas « très urgents » ou « urgents » (priorités 2 ou 3), ce qui signifie que leur condition « représente une menace potentielle pour [leur] vie » ou « peut mettre [leur] vie en danger »(9).

Pour la deuxième année de suite, le ministère de la Santé a tenté de désengorger les urgences à l’aide des cliniques d’hiver. Les quelque 29 000 patients soignés par ces cliniques entre janvier et mars 2019(10) n’ont cependant représenté qu’une goutte d’eau parmi les millions de consultations demandées par les Québécois l’an dernier, à l’urgence et ailleurs. La ministre elle-même a reconnu que l’apport des cliniques d’hiver « n’est pas suffisant » et « qu’il faut aller beaucoup plus loin que ça »(11). En somme, notre système de santé ne suffit plus à la demande alors que le vieillissement de la population commence à peine à produire ses effets(12).

Faire plus avec moins de ressources

Malgré des dépenses de santé comparables à celles du groupe de tête de l’OCDE, le Québec et le Canada dans son ensemble sont sous la moyenne de ces mêmes pays en ce qui a trait aux ressources disponibles pour les patients(13). Aucune politique publique ne pourra changer cet état de choses instantanément. Si le gouvernement souhaite voir une amélioration, il n’a pas d’autre choix que d’utiliser ses ressources limitées de la façon la plus efficiente possible et de tout mettre en œuvre pour abaisser les barrières qui empêchent les patients d’accéder aux soins, quitte à déplaire à certains groupes d’intérêts.

L’élargissement du champ de pratique des professionnels de la santé, notamment celui des infirmières praticiennes et des pharmaciens, pourra faire une différence à court terme. Malgré les récentes avancées, leur autonomie est encore inutilement restreinte en comparaison de ce qui se fait ailleurs au Canada et dans d’autres pays comparables(14). Les compétences des autres infirmières (non-praticiennes) pourraient aussi être mises davantage à profit, comme c’est le cas depuis plusieurs années dans le Nord québécois(15).

D’autres mesures n’auront un impact qu’à plus long terme, mais peuvent néanmoins être entreprises dès maintenant. De pair avec la réforme du paiement à l’acte des médecins (un mode de rémunération qui décourage la délégation et l’innovation dans leur pratique(16)), le gouvernement doit mettre fin aux quotas d’admission en médecine. Profiter d’un surplus de médecins serait un heureux problème que le Québec n’est pas près d’avoir(17).

Enfin, le gouvernement doit profiter de l’implantation prochaine du financement à l’activité dans les hôpitaux(18) pour confier la gestion de quelques-uns d’entre eux à des entrepreneurs, tout en maintenant le caractère universel de notre système de santé, comme cela se fait dans la plupart des pays développés(19). Cette combinaison a permis de produire de meilleurs résultats à ressources égales, ou d’aussi bons résultats tout en consommant moins de ressources publiques, comme la performance d’hôpitaux entrepreneuriaux l’a illustré en Europe, et comme la qualité supérieure des milieux de vie des CHSLD privés conventionnés l’a montré ici(20).

Références

  1. La Presse, « Les urgences débordent à travers le Québec », 4 janvier 2020.
  2. Voir à titre d’exemples Nicole Beauchamp, « Hôpitaux : Québec met de l’ordre dans les urgences », La Presse, 11 mars 1980; Martha Gagnon, « Les omnipraticiens lancent un nouvel appel pour décongestionner les urgences », La Presse, 7 décembre 1988, p. A3.
  3. Ministère de la Santé et des Services sociaux, Accès aux services médicaux de première ligne, Données sur l’accès aux services de première ligne, 30 septembre 2019 (données préliminaires), Tableau 1. Calculs de l’auteur.
  4. Davide Gentile, « Guichet d’accès à un médecin de famille : plus de patients, plus d’attente », Radio-Canada, 10 mai 2019; Radio-Canada, « Accès à un médecin : des délais qui s’allongent à mesure que le temps passe », 31 juillet 2018; La Presse, « Dans l’attente d’un médecin de famille », 23 juillet 2019.
  5. Entre janvier et juillet 2019, le nombre de Québécois en attente d’un médecin de famille est passé de 500 497 à 577 509, une hausse de 15 % en six mois seulement. Régie de l’assurance maladie, « Évolution du nombre de personnes inscrites au Guichet d’accès à un médecin de famille (GAMF) selon leur statut en 2019 », Gouvernement du Québec.
  6. Ministère de la Santé et des Services sociaux, op. cit., note 3, Tableau 4. Calculs de l’auteur.
  7. Patrick Déry, « Urgences : moins de patients, plus d’attente », Le Point, IEDM, 21 août 2019.
  8. Ministère de la Santé et des Services sociaux, demande d’accès à l’information, septembre 2019.
  9. CHU de Québec, Triage aux urgences, Niveaux de priorité selon de l’Échelle canadienne de triage et de gravité, page mise à jour le 11 juillet 2019.
  10. Ministère de la Santé et des Services sociaux, « Première année des cliniques d’hiver – La ministre McCann souligne les retombées positives de cette nouvelle initiative », Communiqué, 23 avril 2019.
  11. Tommy Chouinard, « Urgences: ”On a besoin de faire beaucoup plus”, dit McCann », La Presse, 14 janvier 2020.
  12. Institut de la statistique du Québec, Perspectives démographiques du Québec et des régions, 2011-2061, Édition 2014, 9 septembre 2014, p. 111.
  13. Notamment pour le nombre de lits d’hôpitaux, le nombre d’infirmières et le nombre de médecins, ces derniers étant particulièrement peu nombreux ici. Institut canadien d’information sur la santé, Outil interactif de l’OCDE : comparaisons internationales — pays semblables, Québec, page consultée le 14 janvier 2020; OCDE, Panorama de la santé 2019 : Les indicateurs de l’OCDE, 20 décembre 2019, p. 153, 155, 175, 181 et 197; Institut de la statistique du Québec, Le Québec chiffres en main, Édition 2019, 18 avril 2019, p. 20.
  14. Patrick Déry, « Doit-on permettre aux infirmières de poser des diagnostics », Le Point, IEDM, 28 février 2019; Association des pharmaciens du Canada, La pharmacie au Canada, Champ d’exercice élargi des pharmaciens.
  15. Jean Tremblay, « Des infirmières avec plus de responsabilités dans le Nord », Le Journal de Montréal, 18 mai 2015.
  16. Patrick Déry, Entrepreneuriat et santé – Comment favoriser le déploiement de la télémédecine au Canada, Cahier de recherche, IEDM, 19 septembre 2019, p. 33 et 44.
  17. Patrick Déry, « Il est temps de mettre fin aux quotas de médecins », Le Point, IEDM, 15 mars 2018.
  18. Patricia Cloutier, « Pour que l’argent suive le patient », Le Soleil, 23 juillet 2019.
  19. Yanick Labrie, Pour un système de santé universel et efficace : Six propositions de réforme, Cahier de recherche, IEDM, 13 mars 2014, p. 20.
  20. Patrick Déry, « L’entrepreneuriat fait-il une différence en santé? Le cas des CHSLD privés conventionnés », Le Point, IEDM, 3 octobre 2019.
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