Une leçon d’économie sur les tarifs

Il nous reste deux semaines afin de trouver un terrain d’entente avec le président américain, Donald Trump, et éviter qu’il ne mette à exécution sa menace d’augmenter drastiquement les tarifs douaniers des marchandises canadiennes.
Alors que les discussions récentes sur le sujet ont porté sur le jeu géopolitique, il importe de ne pas perdre de vue certaines bases concernant ce que sont les tarifs douaniers, qui les paient et leurs effets sur l’économie.
C’est d’autant plus important afin d’avoir une discussion franche et bien informée quant à la meilleure façon de répondre à ces menaces.
À la base, ce qu’on appelle un tarif est une taxe sur un produit importé.
Dans l’exemple américain, chaque fois qu’un produit canadien franchit la frontière à destination des États-Unis, son importateur recevrait une facture fiscale équivalant au quart de la valeur du produit importé.
Face à une telle augmentation des coûts, l’importateur cherchera à compenser à la fois en amont – en réduisant la quantité de biens qu’il achète ou en négociant le prix d’achat à la baisse – et en aval – en augmentant le prix de vente pour les consommateurs ou en réduisant sa marge de profit.
On comprend donc que, si un tarif douanier est appliqué, la facture est payée directement par l’importateur, mais que tous ceux et celles qui sont impliqués dans cette chaîne, du producteur jusqu’au consommateur, en sortent perdants.
Si le fonctionnement peut sembler similaire à celui d’une taxe ciblée sur la consommation, il diffère de celles que nous avons, dans la mesure où il ne s’applique pas qu’aux produits finis.
Prenons la taxe sur les produits et services (TPS), par exemple. Elle n’est appliquée qu’une seule fois, au moment de la vente du produit fini à son consommateur. Elle ne s’empile pas en s’appliquant sur la vente de la matière première ou des produits intermédiaires.
Un tarif douanier, en revanche, s’applique chaque fois qu’un bien tarifé franchit la frontière. Dans le contexte des chaînes d’approvisionnement intégrées de l’Amérique du Nord, ces coûts risquent de s’empiler rapidement.
Pour illustrer ce phénomène, Bloomberg a pris l’exemple d’un condensateur – une petite pièce électronique qui emmagasine de l’électricité – dans la chaîne d’assemblage automobile.
Bien qu’il puisse être particulièrement tentant de répondre aux tarifs par les tarifs, il ne faut pas oublier que les effets économiques ne varient pas en fonction du fait qu’il s’agit d’une réplique tarifaire ou non.
Le condensateur est d’abord importé de Chine vers le Colorado par une entreprise spécialisée dans le domaine. Celle-ci vend son produit à un manufacturier mexicain basé à Juárez, qui l’assemble ensuite sur un circuit électronique, avant de l’envoyer à El Paso, au Texas, pour des raisons réglementaires.
Celle-ci est par la suite vendue à une autre entreprise basée à Matamoros, au Mexique. Elle l’intègre à un actuateur, un mécanisme permettant d’abaisser les sièges d’un véhicule.
Ce mécanisme est ensuite vendu à un sous-contractant de Ford, à Mississauga, où des travailleurs canadiens procéderont à son installation dans un siège. Les employés de Ford l’installeront dans un véhicule avant de l’expédier à ses clients.
Cette simple pièce sera passée entre les mains de quatre entreprises nord-américaines différentes et aura franchi la frontière six fois si le produit est destiné au marché américain – dont trois passages seraient soumis aux tarifs douaniers du président Trump.
On comprend que les coûts de ces tarifs s’additionnent rapidement – et ce même avant de prendre en compte la réplique tarifaire dont parlent les gouvernements canadien et mexicain.
Généralement, c’est là qu’on nous sort la vieille rengaine voulant que les tarifs permettent de protéger des emplois dans certains secteurs clés, protégeant la prospérité d’une nation.
Ce n’est pas totalement faux, mais ce n’est là qu’une toute petite partie de l’histoire.
À la base, la raison pour laquelle un consommateur ou une entreprise choisit d’importer des produits est qu’il y voit là un produit qui répond mieux à ses attentes que les options locales qui lui sont offertes.
Il peut y avoir une différence de qualité, de prix, de fiabilité du fournisseur, de volumes d’achat disponibles et une panoplie d’autres motifs. L’important est qu’il y trouve son compte.
Lorsque le gouvernement lui impose un tarif, il est contraint de payer plus cher. Soit il paie plus cher, car il continue d’importer des produits et doit maintenant composer avec cette taxe additionnelle, soit il paie plus cher pour se procurer ses biens auprès de producteurs locaux en fonction de ses critères de qualité.
Cette facture fiscale additionnelle se répercute sur le reste de ses activités. Il vendra son produit plus cher et coupera un peu dans sa marge de profits, par exemple. Cela lui nuit encore plus s’il exporte ses produits transformés ailleurs dans le monde, car cela vient réduire sa compétitivité. Des mises à pied peuvent notamment s’ensuivre.
Ce n’est pas là quelque chose de théorique d’ailleurs. Lors de la première présidence Trump, les États-Unis avaient appliqué des tarifs de 10% à l’importation d’acier et d’aluminium, peu importe la provenance.
Le résultat a été la création de 1 000 emplois dans le secteur de la métallurgie, mais la perte de 75 000 emplois dans le secteur de la transformation. Autrement dit, pour chaque emploi créé, le président américain en a sacrifié 75 autres.
C’est très cher payé.
Bien qu’il puisse être particulièrement tentant de répondre aux tarifs par les tarifs, il ne faut pas oublier que les effets économiques ne varient pas en fonction du fait qu’il s’agit d’une réplique tarifaire ou non.
C’est pourquoi les pays impliqués dans une guerre commerciale n’en ressortent jamais gagnants.
Daniel Dufort est président et directeur général de l’IEDM. Il signe ce texte à titre personnel.