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Une croissance plus lente, moins d’emplois, une détérioration de l’économie: les conséquences de l’impôt sur les gains en capital ne doivent pas être ignorées

Texte d’opinion par Derrick Hunter* publié en exclusivité sur notre site.

Dans un article publié à la suite du budget 2024, Trevor Tombe a vigoureusement défendu la décision de Chrystia Freeland d’augmenter les taux d’inclusion des gains en capital pour les entreprises, les fiducies et les particuliers à revenu élevé. Le bon professeur explique avec des calculs mathématiques ce qui arrive lorsqu’une société réalise un gain en capital et transfère ensuite ce gain à ces actionnaires.

Son exemple illustrait le concept d’« intégration », qui caractérise le système fiscal canadien depuis des décennies. L’intégration fait référence à l’idée selon laquelle les régimes d’imposition des entreprises et des particuliers ne devraient pas traiter différemment les investissements détenus dans une entreprise et ceux directement détenus par les contribuables. Le même principe s’applique aux dividendes et c’est d’ailleurs la raison d’être du crédit d’impôt pour dividendes. Sans intégration, certaines stratégies d’investissement seraient favorisées par rapport à d’autres. C’est pourquoi il est assez difficile de remettre le principe en question.

C’est lorsque Tombe pousse le principe un peu plus loin que la théorie abstraite entre en contradiction avec la prise d’une décision d’investissement dans le monde réel. Il poursuit son article en s’appuyant sur un vieux sophisme économique qui affirme qu’un « dollar est un dollar » et que l’économie n’est pas impactée différemment si ce dollar est perçu auprès d’un particulier ou d’une entreprise. Autrement dit, le dollar de revenu perçu auprès d’un employé devrait être imposé au même taux que le gain en capital réalisé par l’investisseur, et ce, dans le but de ne pas avantager certains contribuables par rapport à d’autres. Cette affirmation a été répétée à maintes reprises par des universitaires et des salariés dans la foulée du budget 2024.

Cette neutralité de l’imposition est peut-être réelle pour l’Agence du revenu du Canada, mais elle ne l’est certainement pas pour les entrepreneurs qui créent des entreprises ou pour les investisseurs qui les financent.

La firme que je dirige a été l’un des investisseurs en démarrage les plus actifs au cours de la dernière décennie au Canada. Il y a une semaine, nous avons réalisé notre centième investissement dans une entreprise en prédémarrage du secteur de la technologie, en grande majorité au Canada. Nous menons nos affaires avec sérieux et nous avons été récompensés pour nos efforts par de nombreux prix. Nous avons notamment reçu le titre d’investisseur providentiel canadien de l’année en 2019.

Il y a trois raisons principales pour lesquelles le dollar que nous gagnons grâce à nos activités d’investissement n’est pas comparable au dollar gagné par un employé typique. Ces raisons se résument au risque, à la liquidité et à la valeur temporelle de l’argent.

  1. Le risque. Nous prenons nos décisions d’investissement en sachant que chaque entreprise dans cette classe d’actifs a 75 à 80 % de chances d’échouer. De très nombreuses études montrent que les investisseurs ne récupèrent pas le capital qu’ils ont investi dans la grande majorité des entreprises en démarrage du secteur de la technologie. Les investissements dans la minorité qui réussit doivent donc être suffisants pour compenser de multiples échecs. Un salarié gagnant un revenu régulier d’emploi ne court aucun risque comparable.
  2. La liquidité. Lorsque nous investissons dans une entreprise naissante, nous prévoyons détenir cet investissement pendant sept à dix ans. Au cours de cette longue période, les possibilités de le convertir en liquidités sont très rares; les fonds sont véritablement bloqués jusqu’au moment où une sortie est réalisée, même si nous identifions de meilleures opportunités pour ces liquidités. Le contraste est saisissant avec l’employé dont les efforts seront récompensés par de l’argent liquide toutes les deux semaines.
  3. Le temps. Sur une période de détention d’une dizaine d’années, il est très facile de voir comment l’inflation érode la valeur réelle d’un investissement, même lorsque les rendements nominaux peuvent sembler marginalement acceptables. Postulons que l’inflation grimpe en moyenne de 3 % par année pendant ces dix ans. La valeur d’un investissement devra augmenter de presque 75 % pour arriver à suivre le rythme de l’inflation pendant cette période de détention d’une décennie. Dans cet exemple, un investissement de 100 $ qui rapporte 175 $ n’a généré aucun rendement réel, mais l’impôt sur les gains en capital est prélevé sur le rendement nominal (c.-à-d. 75 $). L’investisseur devra alors payer 25 $ d’impôt sur un investissement qui n’a produit aucun rendement réel. En réalité, l’impôt transforme ce gain en perte. Encore une fois, un employé ne se retrouve jamais dans une telle situation, car il est payé toutes les deux semaines pour le travail effectué sans prise de risque.

Pour nous, investir dans des entreprises en démarrage est emballant et gratifiant, mais c’est la recherche pure et simple du profit qui nous motive. Bien qu’il ne s’agisse pas de dons de bienfaisance, les investissements que nous réalisons avec nos partenaires ont pour heureuse conséquence de créer des milliers d’emplois et des centaines de millions de dollars en activité économique tous les ans. La création d’opportunités économiques a toujours dépendu, avant tout, du nombre d’entrepreneurs innovants dans une société et de ceux qui investissent pour les soutenir. Nous devons tous les nouveaux emplois nets aux entreprises en démarrage. C’est la meilleure façon de développer l’économie que l’humanité a inventée, et 13 millions d’emplois du secteur privé au Canada doivent leur existence à ce type d’activité.

Mais demandez-vous pourquoi quelqu’un prendrait les risques associés à un investissement dans une entreprise naissante lorsque cet investisseur est soumis aux taux d’imposition marginaux canadiens les plus élevés, dépassant 50 % dans la plupart des provinces. Le gouvernement réclame la plus grande partie des fruits de vos efforts! Supposons que vous aviez le choix entre un CPG rapportant 5 % d’intérêt par an, sans risque de perdre votre capital, ou d’investir cet argent dans une entreprise en démarrage avec 80 % de chances d’échec. Sachant que l’investissement pourrait peut-être générer plusieurs fois ce capital dans dix ans, mais qu’il sera imposé ensuite au même taux qu’un rendement nominal, vous choisiriez probablement le CPG la plupart du temps.

Un autre adage économique dit que « si vous voulez moins de quelque chose, taxez-le davantage ». C’est ce qu’ont fait Freeland et cie cette semaine. Le Canada connaît déjà une crise de productivité bien documentée, avec un PIB par habitant en baisse au cours des derniers trimestres. En réduisant la disponibilité des capitaux, le plus récent budget ne fera qu’accélérer cette très mauvaise tendance.

* Derrick Hunter est le chef de la direction de Bluesky Equities Ltd. et est administrateur de la fondation Hunter qui finance le Hunter Prize for Public Policy décerné par The Hub.

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