Un manque de rigueur budgétaire mine les finances publiques du Québec

Note économique montrant que la détérioration des finances publiques aurait pu être évitée si les dépenses avaient été ramenées autant que possible à leur niveau et à leur trajectoire prépandémique en 2023-2024
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Québec aurait pu éliminer le déficit dès la fin de la pandémie, croit l’IEDM (L’actualité, 24 avril 2025)
Quebec could have eliminated the deficit as soon as pandemic ended, MEI believes (CityNews Montreal, 24 avril 2025) |
Entrevue avec Gabriel Giguère (Radio Pirate, 25 avril 2025) |
Cette Note économique a été préparée par Gabriel Giguère, analyste senior en politiques publiques à l’IEDM. La Collection Fiscalité de l’IEDM vise à mettre en lumière les politiques fiscales des gouvernements et à analyser leurs effets sur la croissance économique et le niveau de vie des citoyens.
Le gouvernement du Québec prévoit un déficit de 13,6 milliards $, le plus important de son histoire, dans son budget 2025-2026(1). Après avoir augmenté ses dépenses de manière exceptionnelle pendant la pandémie, le gouvernement n’a jamais fait les efforts nécessaires, une fois la pandémie terminée, pour assurer une saine gestion des finances publiques en revenant au rythme de croissance des dépenses hérité du gouvernement Couillard qui l’avait précédé. Une telle gestion aurait permis d’éliminer l’écart entre les dépenses et les revenus qui s’était creusé.
Cette absence de rigueur budgétaire mène aujourd’hui à une situation de déficits chroniques. Le gouvernement du Québec a raté l’occasion de revenir à l’équilibre, voire d’enregistrer un excédent budgétaire, dès 2023-2024. Face à cette dérive des finances publiques, le gouvernement doit s’engager à rétablir l’équilibre budgétaire rapidement, et non en 2029-2030, comme le prévoit le budget 2025(2).
Des déficits chroniques
L’augmentation massive des dépenses publiques a créé un déficit de plus de 10,7 milliards $ pour l’année 2020-2021, soit la première année de la pandémie(3). La pression pour débloquer des fonds en soutien au réseau de la santé surchargé a notamment contribué à ce déficit particulièrement élevé(4). En effet, ce déficit marque une rupture avec l’équilibre budgétaire de l’année précédente, ainsi qu’avec les années du gouvernement Couillard, où les surplus étaient devenus la norme.
Après ce lourd déficit, la situation des finances publiques du Québec s’est améliorée grâce à un fort rebond de l’activité économique en 2021, qui a contribué à la hausse des recettes gouvernementales(5). Cela s’est traduit par une diminution substantielle du déficit, passant de 10,7 milliards $ à 772 millions $ (voir la Figure 1)(6).
Toutefois, ce redressement des finances publiques aura été de très courte durée, le Québec ayant vu son déficit rebondir à 6,1 milliards $ en 2022-2023(7). Cette hausse, survenant après une année où le déficit était relativement faible (sous la barre du milliard de dollars), marque le début d’une succession de déficits de plus en plus élevés(8).
À partir du premier budget postpandémique, soit celui de 2023-2024, il aurait été logique d’assister à une diminution importante des dépenses exceptionnelles liées à la pandémie. Toutefois, le gouvernement a plutôt opté pour une trajectoire différente : il a choisi de maintenir les dépenses à leur niveau pandémique, creusant davantage le déficit, et ce, malgré ses propres projections initiales. En effet, il a doublé le déficit prévu dans son budget 2023, le faisant passer de quatre à huit milliards de dollars(9). Le gouvernement avait pourtant établi un cadre financier visant un retour à l’équilibre budgétaire en 2027-2028(10). Mais à peine un an plus tard, il a rompu cet engagement en annonçant désormais vouloir atteindre l’équilibre en 2029-2030, et ce, sans présenter de plan détaillé pour y parvenir(11).
En effet, plutôt que de prévoir un retour à l’équilibre budgétaire dans un horizon de cinq ans, le gouvernement avait choisi de repousser cet objectif au-delà de cette période(12). Il a indiqué que, sur des déficits de 10-11 milliards $, une réduction de seulement 7 milliards $ sur cinq ans était envisageable, laissant ainsi des déficits projetés de 4 milliards $.
Le gouvernement du Québec n’a jamais fait les efforts nécessaires, une fois la pandémie terminée, pour assurer une saine gestion des finances publiques.
Le récent dépôt du budget 2025-2026 confirme que le gouvernement du Québec n’a toujours pas changé la trajectoire projetée de ces déficits, et que le retour à l’équilibre budgétaire en 2029-2030 demeure incertain. Cette incertitude s’explique notamment par l’absence d’un plan clair pour résorber 2,5 milliards $ de déficits(13).
En effet, le déficit projeté pour l’année budgétaire en cours devrait atteindre 13,6 milliards $. En additionnant les deux déficits postpandémiques et la projection pour cette année, le Québec devrait afficher un déficit cumulé de 32 milliards $, soit plus de 3525 $ par Québécois, d’ici avril 2026(14).
Or, cette détérioration des finances publiques aurait été évitable si le gouvernement avait réduit les dépenses après la pandémie, au lieu de les maintenir à leur niveau exceptionnel.
Le piège de l’« effet de cliquet »
Le manque de volonté du gouvernement du Québec à réduire les dépenses illustre bien le concept économique de l’effet de cliquet(15). Selon ce concept, en cas de crise, le gouvernement augmente la taille de l’État – et donc ses dépenses – sans revenir au niveau précédant la crise une fois celle-ci terminée. C’est exactement ce qui s’est produit après la pandémie, alors que le gouvernement Legault n’a pas ramené les dépenses à leur niveau prépandémique une fois la crise passée.
Concrètement, on peut distinguer trois phases. D’abord, la période avant la crise, avec un niveau de dépenses qui pourrait être considéré comme le niveau de référence. Il s’agit ici des années précédant la pandémie déclarée en mars 2020, ce qui correspond au budget 2019-2020.
La deuxième phase consiste en l’augmentation rapide de la taille de l’État pour faire face à la situation d’urgence, en l’occurrence la pandémie, créant ainsi des déficits publics élevés. C’est lors de cette phase que les dépenses atteignent leur pic.
Enfin, la troisième phase correspond à une normalisation des dépenses à un niveau plus élevé après la crise, qui se poursuit dans le temps, après une légère diminution comme celle observée en 2022-2023 (voir la Figure 2). C’est précisément ce que reflètent les budgets postpandémiques du gouvernement du Québec.
Le gouvernement aurait toutefois pu éviter de tomber dans le piège de l’effet de cliquet en faisant des choix différents : notamment en ramenant les dépenses autant que possible à leur niveau et à leur trajectoire prépandémique, comme sous le gouvernement précédent.
L’occasion ratée d’un retour à l’équilibre budgétaire
Imaginons que le gouvernement ait bien géré les finances publiques une fois la pandémie terminée. Il aurait alors dû réduire les dépenses et faire preuve de rigueur budgétaire, comme ce fut le cas sous le gouvernement de Philippe Couillard, pour équilibrer le budget rapidement. Quel en aurait été le résultat en matière de finances publiques, comparativement à la situation actuelle?
Même si le gouvernement aurait pu gérer la pandémie différemment, ce scénario alternatif ne remet pas en question les niveaux de dépenses exceptionnelles engagées lors de la crise sanitaire. Cependant, il suppose qu’une fois la pandémie terminée, le gouvernement aurait évité l’effet de cliquet en ramenant les dépenses à leur niveau prépandémique, optant pour une approche plus rigoureuse sur le plan fiscal.
Nous pouvons alors estimer le niveau des dépenses auxquelles on aurait pu s’attendre durant les années postpandémiques en suivant la croissance annuelle moyenne des dépenses gouvernementales observée sous le gouvernement Couillard avant la pandémie, le tout ajusté à l’inflation. L’écart entre le scénario observé et le scénario alternatif en 2023-2024, soit la première année postpandémique, correspond aux compressions budgétaires qui auraient été nécessaires pour ramener les dépenses à leur niveau prépandémique (voir la Figure 2).
En cas de crise, le gouvernement augmente la taille de l’État – et donc ses dépenses – sans revenir au niveau précédant la crise une fois celle-ci terminée.
Si le gouvernement Legault avait réduit les dépenses une fois la pandémie terminée, à partir de 2023-2024, cela aurait pu permettre de déjouer le piège de l’effet de cliquet et changer la trajectoire des dépenses publiques. Cette nouvelle trajectoire aurait mené à une réduction des dépenses de l’ordre de 10,3 milliards $(16) dès cette année-là, permettant non seulement de rétablir l’équilibre budgétaire, mais aussi de dégager un surplus de 2,2 milliards $(17), puisque les revenus auraient été plus que suffisants pour couvrir les dépenses. Les surplus budgétaires auraient été de 3,9 milliards $ pour l’année fiscale 2024-2025 et de 912 millions $ pour 2025-2026.
Le constat de ce scénario est évident : si les dépenses ont explosé à cause de la pandémie, il fallait les ramener à un niveau soutenable dès 2023-2024, une fois cette cause disparue, pour assurer la pérennité des finances publiques. C’est notamment ce manque de volonté politique au cours de la période postpandémique qui a mené à une situation de déficits chroniques, conduisant aujourd’hui le gouvernement à projeter un déficit record de 13,6 milliards $ pour la présente année budgétaire 2025-2026(18).
Conclusion
Le gouvernement du Québec suit une trajectoire déficitaire qui ne montre aucun signe de ralentissement, comme le révèle le dernier budget déposé à l’Assemblée nationale. Pendant ce temps, les déficits s’accumulent et la dette publique du Québec continue d’augmenter. Pourtant, le gouvernement aurait pu emprunter une trajectoire différente dès la fin de la pandémie, évitant ainsi de tomber dans le piège de l’effet de cliquet. En effet, en ramenant ses dépenses à leur niveau prépandémique dès l’année 2023-2024, le gouvernement aurait pu présenter un budget excédentaire cette même année(19).
L’ampleur des dépenses actuelles découle directement de décisions politiques prises par le gouvernement en place. Celui-ci doit agir rapidement pour les ramener à un niveau raisonnable et rétablir l’équilibre budgétaire. C’est essentiel pour éviter de faire porter le poids de la dette aux générations futures ou d’alourdir davantage le fardeau fiscal des Québécois et des Québécoises pour combler les déficits.
Références
- En dollars courants. Finances Québec, Budget 2025-2026 : Plan budgétaire, 25 mars 2025, p. A.9; Finances Québec, Comptes publics 2023-2024, octobre 2024 p. 73; Finances Québec, Comptes publics 2014-2015, novembre 2015, p. 59; Finances et Économie Québec, Données historiques depuis 1970-1971 – Budget 2013-2014, novembre 2012, p. 7.
- Idem.
- Finances Québec, Comptes publics 2023-2024, octobre 2024 p. 73.
- D’autres aspects de la gestion de la pandémie ont aussi coûté cher, notamment la subvention aux transports en commun, ainsi que les subventions aux entreprises et au milieu culturel. Finances Québec, Comptes publics 2020-2021, novembre 2021, p. 19-22.
- Il s’agit d’une croissance du PIB nominal de 12,4 % entre 2020 et 2021. Statistique Canada, Tableau 36-10-0221-01 : Produit intérieur brut, en termes de revenus, provinciaux et territoriaux, annuel (x 1 000 000), 7 novembre 2024.
- Finances Québec, op. cit., note 3.
- Idem.
- Finances Québec, Budget 2025-2026 : Plan budgétaire, op. cit., note 1, p. A.9.
- Finances Québec, Budget 2022-2023 : Plan budgétaire, mars 2022, p. A.22; Finances Québec, Comptes publics 2023-2024, op. cit., note 3.
- Finances Québec, Budget 2023-2024 : Plan budgétaire, mars 2023, p. A.20.
- Finances Québec, Budget 2024-2025 : Plan budgétaire, mars 2024, p. A.21.
- En effet, lors du budget 2024, le gouvernement a plutôt opté pour un processus de révision des dépenses chargé de trouver des sources d’économie pour atteindre l’équilibre budgétaire en 2030.
- Finances Québec, Budget 2025-2026 : Plan budgétaire, op. cit., note 1, p. A.9.
- Calcul de l’auteur. Statistique Canada, Tableau 17-10-0009-01 : Estimations de la population, trimestrielles, 17 décembre 2024.
- Ce concept est mieux connu en anglais sous le nom de ratchet effect. Les auteurs indiquent qu’il y a cinq phases différentes du concept. Nous n’avons retenu que trois de ces phases afin de simplifier l’explication, sans dénaturer le concept. Christopher J. Coyne et al., « The Ratchet Effect », George Mason University, Working Paper No. 22-34, 2022, p. 1-4.
- Calcul de l’auteur, en dollars de 2023.
- Après le versement au Fonds des générations prévu par la loi. Calcul de l’auteur. Finances Québec, Budget 2025-2026 : Plan budgétaire, op. cit., note 1, p. A.9.
- Idem.
- En fonction des revenus actuels projetés dans le Budget 2025-2026 pour l’année 2024-2025. Calcul de l’auteur.