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Surestimons-nous le nombre de Canadiens qui meurent de la COVID-19?

Point montrant que sans information plus adéquate sur la prévalence du virus au sein de la population, nous risquons de surestimer les décès et la mortalité dus à la COVID-19

Chaque jour, les Canadiens sont informés du nombre de nouveaux décès attribués à la COVID-19 lors de points de presse. Cette publication de l’Institut économique de Montréal soulève des questions quant à l’exactitude des statistiques qui sont véhiculées.

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Entrevue (en anglais) avec Peter St. Onge (Danielle Smith, Global Radio, 22 mai 2020)

 

Ce Point a été préparé par Peter St. Onge, chercheur associé senior à l’IEDM, en collaboration avec Gaël Campan, économiste senior à l’IEDM.

À la fin mars 2020, le Dr John Lee, conseiller du NHS, craignait que la Grande-Bretagne ne surestime les décès et la mortalité dus à la COVID-19 faute de données sur la prévalence(1). Sans information plus adéquate sur le nombre de Canadiens infectés puis guéris de la COVID-19, nous risquons de commettre les mêmes erreurs au Canada.​

En date du 5 mai, les cas connus de COVID-19 au Canada représentaient 0,2 % de la population(2). Il y a un mois, l’Angus Reid Institute publiait une enquête épidémiologique estimant qu’entre 1 et 8 % des ménages canadiens avaient déjà été infectés(3). Similairement, des études sur les anticorps menées en avril en Californie ont estimé qu’entre 2,8 et 4,1 % de la population avaient déjà été infectés(4). Le taux de décès dus à la COVID-19 au Canada étant beaucoup plus élevé qu’en Californie(5), on pourrait s’attendre à ce que la prévalence réelle chez nous soit quelque peu plus élevée qu’en Californie.

D’une manière contre-intuitive, une plus haute prévalence est une bonne nouvelle car elle signifie que le nombre réel de gens mourant de la COVID-19 pourrait être inférieur à nos estimations actuelles et que la maladie pourrait être nettement moins mortelle que prévu.

Évaluer la comorbidité

Il en est ainsi parce que la prévalence nous indique combien de gens meurent « avec la COVID-19 » plutôt que « de la COVID-19 ». Pour illustrer, si 95 % des gens ont été infectés par la varicelle(6), la grande majorité des défunts auront des anticorps de la varicelle. Évidemment, ce n’est pas la picote qui aura tué ces gens; ils sont morts de maladies concomitantes comme le cancer ou une maladie du cœur. Ils sont décédés « avec la varicelle » et non « de la varicelle ».

La COVID-19 étant nettement plus fatale, il nous faut savoir dans quel pourcentage les gens apparemment emportés par le virus sont en fait décédés « avec la COVID-19 ». Dans l’État de New York, gravement atteint, 86 % des cas de décès dénombrés présentaient effectivement des maladies concomitantes allant du diabète à la coronaropathie(7). Par ailleurs, au 24 avril, l’âge médian des Canadiens décédés de la COVID-19 était de 84 ans(8). Ces deux faits soulèvent une question cruciale, celle d’établir combien de décès avec comorbidité ou « naturels » sont répertoriés incorrectement au Canada comme des décès dus à la COVID-19.

Ceci peut avoir un très vaste effet. Le niveau inférieur d’Angus (prévalence de 1 %) laisse entendre que la COVID-19 pourrait être accessoire dans 10 % des décès liés au virus (voir Figure 1). Si la prévalence réelle au Canada est plus proche de celle en Californie, la COVID-19 pourrait être accessoire dans 28 à 40 % de nos décès liés au virus. Et si la prévalence réelle au pays se situe à 8 %, le niveau supérieur d’Angus, jusqu’à 80 % de nos gens apparemment emportés par le virus pourraient être décédés ni plus ni moins « avec la COVID-19 ».

Voici pourquoi. Chaque mois l’an dernier, 23 600 Canadiens en moyenne sont décédés d’autres causes(9). Par extrapolation, environ 40 000 Canadiens seraient décédés d’autres causes dans les 51 jours suivant le premier décès de la COVID-19 au pays(10). Selon une prévalence uniforme de 2,8 %, le bas niveau californien, on établit statistiquement que 2,8 % de ces 40 000 Canadiens dont la mort a été prévue, soit 1120, auraient été infectés accessoirement mais seraient décédés quand même. Suivant les estimations réelles de 4000 décès de la COVID-19 au Canada, ceci implique que, statistiquement, 28 % de ces décès auraient pu survenir « avec la COVID-19 ». Au niveau supérieur estimé par Angus, cette proportion frôlerait 80 %.

La deuxième implication importante vise le taux de mortalité − en fait, à quel point ce virus est-il fatal? Une prévalence de 1 % impliquerait une mortalité de la COVID-19 d’environ 1,1 %(11) − nettement moins que les estimations initiales excédant 3 %(12). Si la prévalence reflète les pourcentages californiens, la mortalité implicite baisserait encore pour se situer à environ 0,3 %. Et si l’estimation de 8 % se révèle exacte, la mortalité implicite chuterait à 0,13 % tout au plus − à peine plus que la grippe saisonnière qui entraîne la mort dans 0,11 % des cas (voir Figure 2)(13).

Il nous faut plus de données

Nous ne connaîtrons pas l’amplitude de ces deux effets − la surestimation des décès et de la mortalité − temps que nous connaissions la prévalence dans la population, surtout celle selon l’âge. Et des délais dans la déclaration des décès pourraient signifier qu’en fait nous sous-dénombrons les décès(14) même si nous surestimons la mortalité. Par contre, si la prévalence au Canada reflète le moindrement les données californiennes et les résultats de l’enquête Angus, la COVID-19 pourrait emporter beaucoup moins de Canadiens que nous le pensons.

Même s’il nous faut manifestement rester vigilants, les décideurs devraient aussi noter à quel point nos progrès sont incertains tant qu’il n’existera aucune donnée crédible sur la prévalence.

Références

  1. John Lee, « How deadly is the coronavirus? It’s still far from clear », The Spectator, 28 mars 2020.
  2. Worldometer, Coronavirus, Country, Canada, 5 mai 2020.
  3. Angus Reid Institute, « The incidence of COVID-19 infection in Canada? New survey points to over 100,000 households », 8 avril 2020.
  4. Stacey McKenna, « What COVID-19 Antibody Tests Can and Cannot Tell Us », Scientific American, 5 mai 2020.
  5. Worldometer, Coronavirus, Reported Cases and Deaths by Country, Territory, or Conveyance, 5 mai 2020.
  6. Children’s Hospital of Wisconsin, Medical care, Dermatology Program, Conditions, Common skin disorders, Viral Exanthems (Rashes), Chickenpox, 2020.
  7. Richard Franki, « Comorbidities the rule in New York’s COVID-19 deaths », The Hospitalist, 8 avril 2020.
  8. Éric Grenier, « How focusing on the age of pandemic victims could blind us to the bigger picture », CBC News, 24 avril 2020.
  9. Statistique Canada, Tableau 13-10-0708-01 : Décès, selon le mois.
  10. Worldometer, op. cit., note 2.
  11. Ibid.
  12. Financial Times, « ‘Utterly unreliable’: The mystery behind the true COVID-19 death rate », National Post, 31 mars 2020.
  13. Dena L. Schanzer et al., « Estimating Influenza Deaths in Canada, 1992–2009 », PloS One, vol. 8, no 11, 27 novembre 2013.
  14. Alan Freeman et Samuel Freeman, « Is Canada’s COVID-19 problem much bigger than we think? », iPolitics, 16 avril 2020.
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