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Supprimer les obstacles interprovinciaux à la vente d’alcool en ligne

Point demandant aux gouvernements provinciaux du Canada d’autoriser sans restriction l’achat de boissons alcoolisées en ligne et leur livraison d’une province à l’autre

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Ce Point a été préparé par Shal Marriott, chargée de recherche à l’IEDM, en collaboration avec Gabriel Giguère, analyste senior en politiques publiques à l’IEDM. La Collection Réglementation de l’IEDM vise à examiner les conséquences souvent imprévues pour les individus et les entreprises de diverses lois et dispositions réglementaires qui s’écartent de leurs objectifs déclarés.

En octobre 2012, le retraité Gérard Comeau a été arrêté par la GRC et mis à l’amende pour avoir rapporté du Québec au Nouveau-Brunswick une quantité trop importante de bière et de spiritueux, en violation de la limite d’exemption personnelle en vigueur. Dans sa décision sur l’affaire Comeau en avril 2018, la Cour suprême du Canada a confirmé le droit des gouvernements provinciaux à maintenir de telles restrictions, à condition qu’elles n’entravent pas intentionnellement le commerce interprovincial de l’alcool(1).

Or, un an plus tard, les gouvernements fédéral et provinciaux se sont entendus sur un plan d’action visant à « améliorer le commerce interprovincial des boissons alcoolisées », dans la foulée de l’Accord de libre-échange canadien (ALEC) de 2017(2). Il s’agit notamment d’augmenter, puis d’éliminer, les limites d’exemption pour usage personnel (qui fixent la quantité d’alcool qu’une personne peut rapporter d’une autre province), et de se doter de plateformes de commerce électronique(3).

Des progrès ont été réalisés en matière de hausse ou de suppression des limites d’exemption personnelle dans l’ensemble du pays, ce qui a pour effet de faciliter l’importation et le transport transfrontaliers d’alcool à des fins de consommation personnelle, sans pénalité(4). Cependant, la plupart des provinces n’ont pas encore libéralisé d’autres aspects du commerce interprovincial d’alcool, comme la vente interprovinciale de produits alcoolisés en ligne, privant ainsi les Canadiens des avantages d’une concurrence accrue, à savoir un plus grand choix de produits et des prix plus bas.

L’état actuel des ventes au détail d’alcool en ligne

Quelques initiatives ont été prises pour permettre une plus grande liberté dans la vente d’alcool en ligne, comme dans le cas de la Saskatchewan et de la Colombie-Britannique, qui autorisent une forme limitée de vente et de livraison directes aux consommateurs de vins et de spiritueux artisanaux produits dans l’autre province(5). Toutefois, la plupart des provinces canadiennes continuent d’interdire la vente au détail en ligne de boissons alcoolisées en provenance d’autres provinces directement à leurs consommateurs. Par exemple, la Société des alcools du Québec (SAQ) a déclaré expressément que les producteurs peuvent offrir de vendre leurs produits aux résidents du Québec, mais qu’il est illégal pour ces derniers de les acheter et de les faire expédier sur le territoire de la province(6).

Comme on peut le constater dans le Tableau 1, peu de provinces autorisent la livraison directe aux consommateurs de produits provenant d’autres provinces. Le Manitoba est la seule province canadienne à ne pas imposer de restrictions interprovinciales en matière d’achat en ligne. Les restrictions qui ont été supprimées dans les provinces de l’Ouest et en Nouvelle-Écosse sont également relativement limitées (et concernent principalement le vin). Le Québec et l’Ontario maintiennent des interdictions totales, ce qui n’est guère surprenant puisqu’elles font également partie des provinces qui ont le moins progressé en matière de libéralisation du commerce intérieur en général(7).

Si l’on constate une amélioration dans la volonté de l’Alberta d’autoriser certaines livraisons directes aux consommateurs, le protectionnisme persiste dans le commerce de l’alcool de la province. Par exemple, en janvier 2024, la société Alberta Gaming, Liquor and Cannabis (AGLC) a fait valoir que les livraisons directes aux consommateurs nuisaient au monopole provincial sur les boissons alcoolisées(8). Elle a réagi en menaçant de ne plus vendre les vins de la Colombie-Britannique dans ses magasins jusqu’à ce que cette pratique cesse, une position apparemment soutenue par le gouvernement de l’Alberta puisqu’aucune mesure n’a été prise pour condamner la position de l’AGLC(9).

Bien qu’un protocole d’entente ait été adopté six mois plus tard, mettant fin à l’interdiction temporaire qui avait été imposée, cet épisode montre que les monopoles provinciaux sur les boissons alcoolisées, ainsi que les gouvernements provinciaux, sont prêts à imposer des barrières au commerce interprovincial qui, en fin de compte, pénalisent les producteurs et les consommateurs canadiens(10).

Les avantages des achats en ligne directement par les consommateurs

Le marché des biens de consommation en ligne est en pleine croissance. Or, les producteurs et les consommateurs canadiens de boissons alcoolisées n’ont pas été en mesure de participer pleinement à cette croissance et d’en tirer parti. Les monopoles provinciaux sur l’alcool, et leurs magasins traditionnels, sont ainsi protégés de la concurrence en ligne, au détriment des consommateurs et des producteurs, qui voient leur capacité à commercer les uns avec les autres limitée(11).

Il est donc plus facile pour les monopoles de boissons alcoolisées d’imposer des prix artificiellement élevés sur les produits qu’ils vendent au détail. La SAQ, par exemple, applique des majorations sur le prix des bouteilles de vin qui, combinées aux droits d’accise et aux taxes de vente, peuvent représenter plus de 75 % du prix de vente au détail du produit(12).

En supprimant ces restrictions sur les livraisons interprovinciales directes aux consommateurs, les Canadiens de toutes les provinces pourraient commander librement en ligne auprès de producteurs d’alcool de l’ensemble du pays. La vente en ligne est l’un des moyens les plus pratiques pour les consommateurs d’acheter des boissons alcoolisées d’autres provinces. Cette ouverture commerciale serait également bénéfique pour les brasseries, les vignobles et les distilleries de plus petite envergure, en leur permettant d’élargir leur présence sur le marché national.

Le gouvernement fédéral s’est engagé à libéraliser progressivement le marché national de l’alcool(13). Cependant, cette libéralisation est entravée par les gouvernements provinciaux et leurs monopoles sur l’alcool, qui limitent la croissance du marché domestique. Dans l’intérêt des consommateurs et des producteurs canadiens, les provinces devraient tout simplement autoriser sans restriction l’achat d’alcool en ligne et la livraison d’une province à l’autre.

Références

  1. Cour suprême du Canada, « R. c. Comeau », 19 avril 2018, 1 RCS 342.
  2. Secrétariat du commerce intérieur, « Plan d’action fédéral-provincial-territorial : commerce des boissons alcoolisées », Communiqué de presse, 29 mai 2019.
  3. Idem. L’ALEC prévoit spécifiquement un engagement à « améliorer les choix offerts aux consommateurs et accroître la transparence et l’accès aux marchés des producteurs d’alcool ».
  4. Le Nouveau-Brunswick et Terre-Neuve-et-Labrador ont encore des restrictions qui sont considérées comme des exemptions personnelles. Keyli Loeppky et al., Bulletin sur la coopération entre provinces et territoires au Canada : état des lieux du commerce intérieur (édition 2024), Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, juillet 2024, p. 11; Janyce McGregor, « Provinces Agree to Raise Personal Exemption for Interprovincial Booze Sales », CBC News, 20 juillet 2018.
  5. Assujettie à une taxe forfaitaire. Saskatchewan Liquor and Gaming Authority, Importing Alcohol From Outside the Province, consultée le 6 novembre 2024.
  6. Société des alcools du Québec, « Vente et livraison directe de boissons alcooliques au Québec », Capsule d’information, 24 septembre 2020, p. 1; Société des alcools du Québec, Importation de boissons alcooliques, consultée le 6 novembre 2024.
  7. Krystle Wittevrongel et Gabriel Giguère, « Indice du leadership provincial en matière de commerce intérieur – Édition 2023 », Note économique, IEDM, 30 novembre 2023, p. 2.
  8. Alberta Gaming, Liquor and Cannabis, About Liquor in Alberta, consultée le 6 novembre 2024.
  9. Bob Weber, « A Wine War is Brewing Between Alberta and B.C. », CBC News, 31 janvier 2024.
  10. Gouvernement de la Colombie-Britannique, « Agreement Reopens Direct-to-Consumer B.C. Wine Sales to Alberta », Communiqué de presse, 16 juillet 2024.
  11. IEDM, « Prix de la SAQ : Moins le vin est cher, plus il est taxé », Communiqué de presse, 19 juin 2023.
  12. Idem.
  13. Secrétariat du commerce intérieur, op. cit., note 2.
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