Soins de santé à but non lucratif: s’inspirer de l’Europe
Note économique montrant comment des hôpitaux à but non lucratif plus autonomes de style européen et un financement à l’activité pourraient aider à fournir de meilleurs soins à davantage de Canadiens
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Cette Note économique a été préparée par Emmanuelle B. Faubert, économiste à l’IEDM. La Collection Santé de l’IEDM vise à examiner dans quelle mesure la liberté de choix et l’entrepreneuriat permettent d’améliorer la qualité et l’efficacité des services de santé pour tous les patients.
Le débat public autour des soins de santé associe généralement le secteur privé à des entreprises qui cherchent à faire des profits. Or, un peu partout dans le monde, le secteur privé regroupe aussi bien des organismes sans but lucratif (OSBL) que des organismes à but lucratif. Les OSBL réinvestissent leurs bénéfices dans des améliorations qui contribuent à la réalisation de leurs objectifs. Ces organismes offrent une autre solution de rechange à la centralisation des services de soins de santé sous le contrôle de l’État.
Les OSBL au Canada et en Europe
Il existe un grand nombre d’OSBL et d’organismes de bienfaisance dans le secteur de la santé au Canada. La situation est toutefois plus floue dans le cas des hôpitaux. En effet, la plupart des hôpitaux canadiens sont, en théorie du moins, des organismes à but non lucratif dotés de leur propre conseil d’administration(1). Or, ils sont si étroitement liés aux gouvernements, notamment en ce qui concerne leur financement qui varie en fonction de critères fixés par le gouvernement, qu’ils sont totalement dépendants et sous le contrôle de l’État pour ce qui est de leur fonctionnement quotidien. N’étant pas indépendants, on ne peut pas vraiment les considérer comme des organismes privés à but non lucratif.
C’est pourquoi les statistiques internationales sur les soins de santé de l’OCDE considèrent tous les hôpitaux canadiens comme des établissements publics, en précisant qu’ils sont sous le contrôle d’entités gouvernementales. Il est stipulé que cela s’applique également aux hôpitaux détenus par des organisations non gouvernementales, par des groupes religieux ou par des groupes bénévoles laïcs(2). Statistique Canada utilise une classification similaire pour les hôpitaux sans but lucratif, considérant qu’ils relèvent du secteur public(3).
L’un des indicateurs de la présence du secteur hospitalier sans but lucratif dans un pays donné est la proportion de lits qu’il représente. Alors que cette proportion est nulle au Canada, elle s’élève à 14 % en France, à 28 % en Allemagne et à 100 % aux Pays-Bas (voir la Figure 1).
Ces trois pays européens sont particulièrement intéressants, dans la mesure où chacun d’entre eux présente des éléments dont le Canada peut s’inspirer. Selon le classement des systèmes de soins de santé établi par le Fonds du Commonwealth, chacun de ces pays surpasse le Canada en matière de prestation de soins. Alors que le Canada se classe 10e sur les 11 systèmes évalués dans le classement général, la France, l’Allemagne et les Pays-Bas occupent respectivement la 8e, la 5e et la 2e place(4).
Gestion des opérations
Si les hôpitaux sans but lucratif diffèrent d’un pays européen à l’autre, ils se distinguent des hôpitaux canadiens par certaines caractéristiques communes. La première différence porte sur la gestion des opérations. Comme les cliniques et les hôpitaux indépendants sont détenus par des entités juridiques non gouvernementales, ils doivent se soumettre à des règles différentes. Alors que les hôpitaux sans but lucratif canadiens sont en principe soumis à la même bureaucratie que les hôpitaux publics, les hôpitaux sans but lucratif européens disposent d’une plus grande autonomie dans la gestion de leurs opérations et sont largement autogérés.
En Allemagne, bien que le gouvernement détermine le cadre et les conditions générales de prestation des soins médicaux, l’organisation et le financement relèvent d’associations plus régionales. Un grand nombre de décisions relatives aux politiques hospitalières sont prises au niveau des États plutôt qu’au niveau fédéral. La Fédération allemande des hôpitaux est une organisation qui représente l’ensemble des hôpitaux allemands, y compris les hôpitaux sans but lucratif, sur les questions de politique de santé qui sont décidées conjointement avec l’association des assureurs et la chambre des médecins. Elle est chargée de la prise de décision en matière de réglementation hospitalière et veille également à la qualité des soins dispensés par ses membres(5). Cette approche décentralisée permet aux hôpitaux d’avoir une plus grande influence sur les politiques et les réglementations en matière de soins de santé, leur permettant ainsi d’exercer un plus grand contrôle sur leurs activités quotidiennes.
Alors que le Canada se classe 10e sur les 11 systèmes évalués dans le classement général, la France, l’Allemagne et les Pays-Bas occupent respectivement la 8e, la 5e et la 2e place.
Par ailleurs, alors que la Fédération hospitalière de France représente l’ensemble des hôpitaux publics français lors des débats parlementaires, la Fédération de l’Hospitalisation Privée représente les cliniques et les hôpitaux privés et la Fédération des Établissements Hospitaliers et d’Aide à la Personne représente les OSBL(6). L’indépendance des hôpitaux sans but lucratif leur confère une grande autonomie en matière de gouvernance et de gestion du personnel. Contrairement aux hôpitaux publics français qui doivent maintenir une uniformité sur l’ensemble du territoire, les hôpitaux sans but lucratif peuvent adapter leur gestion à leur propre réalité, tant en matière d’administration que de rémunération(7). Cette autonomie de gestion et d’organisation leur permet de mieux répondre aux besoins de la communauté qu’ils servent. Cette capacité d’adaptation leur permet également de se spécialiser et d’être reconnus pour la qualité des soins qu’ils offrent.
Aux Pays-Bas, l’implication du gouvernement national est limitée et tous les hôpitaux sont sans but lucratif(8). Si le gouvernement joue un rôle important en matière de financement, de réglementation et de supervision des soins de santé, le fonctionnement du système lui-même est confié au secteur privé, qui s’appuie largement sur les mécanismes du marché et la concurrence entre les assureurs et les prestataires(9).
Méthodes de financement
La deuxième grande différence concerne les méthodes de financement. Au Canada, la grande majorité du financement provient des budgets globaux des gouvernements(10). Par conséquent, non seulement le financement des hôpitaux dépend essentiellement du gouvernement (outre le rôle que peuvent jouer les fondations hospitalières), mais il est également établi sur la base des besoins financiers des années précédentes. Cela incite à dépenser de manière peu optimale, dans la mesure où l’argent non dépensé pourrait être retranché des budgets globaux futurs. De plus, chaque nouveau patient qui franchit les portes d’un hôpital constitue une charge supplémentaire dans le budget de l’hôpital, ce qui contribue au rationnement des ressources et à l’allongement des listes d’attente. Paradoxalement, un hôpital bien géré et jouissant d’une bonne réputation sera pénalisé puisqu’il attirera un plus grand nombre de patients qu’il devra traiter dans les limites de son budget fixe.
En revanche, le financement à l’activité modifie les structures d’incitation des établissements de santé en récompensant l’efficacité et la qualité des services, ce qui les encourage à prendre en charge un plus grand nombre de patients. Si ce mode de financement est progressivement mis en place au Québec, où 25 % du financement hospitalier est déterminé sur la base de l’activité, ce n’est pas encore le cas dans le reste du Canada(11). Or, ce mode de financement est largement utilisé en Europe, y compris au sein des hôpitaux sans but lucratif(12).
Le financement à l’activité modifie les structures d’incitation des établissements de santé en récompensant l’efficacité et la qualité des services.
En Allemagne, on a recours au financement à l’activité pour financer les traitements hospitaliers, y compris l’ensemble des services et des honoraires médicaux. Des fonds supplémentaires peuvent être accordés pour des traitements spécialisés et coûteux(13). Les taux de financement à l’activité sont basés sur des données statistiques et s’appliquent à tous les patients, quel que soit le fournisseur d’assurance ou le type d’hôpital(14). Le financement des investissements, pour la construction de nouveaux bâtiments et l’achat d’équipements notamment, provient toutefois du gouvernement fédéral.
En France, le financement à l’activité s’applique à tous les services médicaux hospitaliers, qu’il s’agisse d’hospitalisation ou de soins ambulatoires(15). Les taux de financement à l’activité sont fixes et déterminés chaque année par le ministère de la Santé sur la base des données annuelles relatives aux coûts(16). En 2024, le financement devrait passer à un système plus mixte, composé de financement à l’activité pour la plupart des services courants et d’un financement mixte pour les soins de courte durée(17).
Les Pays-Bas utilisent également une forme de financement à l’activité pour les soins ambulatoires et hospitaliers, bien que sa structure soit légèrement différente(18). Si la plupart des taux de financement à l’activité peuvent être négociés entre les assureurs et les prestataires, environ 30 % de ces taux sont fixés à l’échelle nationale par l’Autorité néerlandaise des soins de santé. Cette méthode particulière viserait à encourager une plus grande concurrence entre les assureurs, ainsi qu’entre les prestataires de soins de santé pour les 70 % restants des taux de financement à l’activité.
Assurance privée
La troisième grande différence concerne les assurances et les co-paiements. Au Canada, l’ensemble des citoyens sont couverts par le régime d’assurance obligatoire de leur province. S’il est possible de souscrire une assurance complémentaire pour des services de santé, tels que les soins dentaires, l’optométrie, les médicaments et d’autres services auxiliaires, les « services médicalement nécessaires » sont couverts par les régimes d’assurance provinciaux(19). L’assurance duplicative, qui permettrait aux Canadiens de souscrire une assurance pour des services déjà couverts par les régimes provinciaux et que les patients pourraient utiliser pour payer les soins reçus dans des cliniques privées, est interdite dans plusieurs provinces canadiennes(20). Les soins médicalement nécessaires doivent également être offerts gratuitement, sans co-paiement puisque la Loi canadienne sur la santé l’interdit, ce qui entrave davantage le développement d’un secteur privé autonome de soins de santé primaires(21).
Lorsque les soins hospitaliers sont payés par les assureurs plutôt que par les budgets globaux des gouvernements, l’autonomie financière des hôpitaux privés sans but lucratif est accrue, dans la mesure où ils reçoivent un financement directement lié aux soins qu’ils fournissent, plutôt que sur la base de prévisions des besoins basées sur les années précédentes. L’assurance privée, qu’elle soit complémentaire, dupliquée ou globale, permet également une meilleure couverture et une plus grande flexibilité, tant pour les hôpitaux que pour les patients.
Pour que les hôpitaux sans but lucratif puissent jouer un rôle véritablement bénéfique, le contrôle gouvernemental sur les activités des hôpitaux doit être assoupli.
En Allemagne, les citoyens sont couverts par le régime d’assurance gouvernemental de base, mais si leurs revenus dépassent un certain seuil ou s’ils sont travailleurs autonomes ou fonctionnaires, ils peuvent opter pour un régime privé d’assurance typiquement plus généreux(22). Alors que les gouvernements des États prennent en charge le financement des infrastructures et des équipements, les caisses d’assurance maladie couvrent les frais liés aux traitements(23). La majorité des soins sont entièrement couverts, sauf pour certains services comme l’hospitalisation, les médicaments sur ordonnance et les dispositifs médicaux, pour lesquels un co-paiement est exigée(24).
En France, à l’exception de quelques rares exceptions, tous les citoyens doivent adhérer au programme d’assurance gouvernemental, qui comporte des co-paiements(25). Ils ont toutefois la possibilité de souscrire une assurance maladie complémentaire volontaire, ce que fait 95 % de la population française. Cette assurance peut couvrir ou réduire le co-paiement, y compris pour l’hospitalisation ainsi que pour des services tels que les soins dentaires et les soins de la vue, qui bénéficient d’une couverture minimale dans le cadre du régime public.
Aux Pays-Bas, tous les assureurs sont des organismes privés sans but lucratif. Ces assureurs sont chargés de conclure des accords avec les prestataires de soins de santé et les hôpitaux, encourageant ainsi la concurrence entre les prestataires. Les contributions privées prennent principalement la forme de franchises, qui peuvent être négociées pour moduler les primes mensuelles(26).
Assouplir le contrôle descendant
Les hôpitaux sans but lucratif tendent à surpasser leurs homologues gérés par le gouvernement. Par exemple, en France, ils représentent 27,8 % de tous les hôpitaux certifiés sans condition en 2021, mais 38,3 % des hôpitaux certifiés avec une mention d’excellence par la Haute Autorité de Santé, l’agence gouvernementale responsable des organisations de soins de santé(27) (voir la Figure 2). Si l’on considère que les hôpitaux publics comptent pour 28,8 % de l’ensemble des centres hospitaliers en France, la qualité des soins dispensés par ces hôpitaux publics est manifeste. L’Institut Mutualiste Montsouris, un hôpital français spécialisé dans divers services de chirurgie grave et complexe, est un bon exemple de cette grande qualité de soins, comptant 21 spécialités classées parmi les meilleures en France(28). Certifié avec mention d’excellence, il est réputé pour être le meilleur hôpital de France en matière de prise en charge des cancers de la prostate et du poumon. Ce n’est qu’un des nombreux hôpitaux sans but lucratif qui offrent des soins de grande qualité aux patients.
Pour que les hôpitaux sans but lucratif puissent jouer un rôle véritablement bénéfique en tant que fournisseurs de soins de santé complémentaires au Canada, comme c’est le cas en Europe, le contrôle gouvernemental sur les activités des hôpitaux doit être assoupli. Les organismes gouvernementaux ne devraient pas microgérer les hôpitaux sans but lucratif, en contrôlant les conventions collectives centralisées, les ententes avec les fournisseurs et, par le fait même, la manière dont les hôpitaux sont gérés. À moins de disposer d’une autonomie suffisante, ils ne diffèrent en rien des hôpitaux gérés par l’État.
Les prestataires de soins de santé, qu’ils soient à but lucratif ou bien indépendants et sans but lucratif, ont tous leur place au sein d’un système de soins de santé universel. Les décideurs canadiens devraient jeter un œil sur ce qui se passe dans ces pays européens pour voir comment une telle diversité permettrait d’obtenir de meilleurs résultats en matière de soins de santé.
Références
- Association médicale canadienne, Nos objectifs prioritaires, Soins de santé publics et privés, Comprendre les soins de santé publics et privés, consultée le 18 juin 2024; Gouvernement du Canada, « Le système des soins de santé du Canada », consultée le 9 juillet 2024.
- OCDE, OECD Health Statistics 2023 – Definitions, Sources and Methods, Hospitals, Canada, Fichier Excel.
- Statistique Canada, « Aperçu du secteur sans but lucratif au Canada, 2010 à 2020 », 5 juillet 2022.
- Le Fonds du Commonwealth, Mirror, Mirror 2021: Reflecting Poorly – Health Care in the U.S. Compared to Other High-Income Countries, août 2021.
- The German Hospital Federation, Mission and Objectives, consultée le 20 juin 2024.
- La Fédération hospitalière de France, Notre histoire, nos missions, 22 février 2022; Fédération de L’Hospitalisation Privée, Qui sommes- nous?, consultée le 20 juin 2024; FEHAP, Qui sommes-nous?, consulté le 25 juillet 2024.
- Le Sénat français, Hôpital : sortir des urgences – Rapport, Rapport no 587 (2021-2022), vol. I, 29 mars 2022.
- OECD Library, Towards an Integrated Health Information System in the Netherlands, 2022, p. 21-22.
- Nadeem Esmail, Health Care Lessons from the Netherlands, Institut Fraser, juin 2014, p. iv.
- Gouvernement du Canada, op. cit., note 1.
- Krystle Wittevrongel, « Financement à l’activité des hôpitaux en Alberta : les exemples du Québec et de l’Australie », IEDM, Note économique, 25 avril 2024.
- Le terme « groupe homogène de malades » est plus couramment utilisé en Europe.
- Miriam Blümel et Reinhard Busse, « International Health Care System Profiles – Germany », Le Fonds du Commonwealth, 5 juin 2020.
- Premier Healthcare Germany, « DRG Hospital Pricing System in Germany », consultée le 20 juin 2024.
- Isabelle Durand-Zaleski, « International Health Care System Profiles – France », Le Fonds du Commonwealth, 5 juin 2020.
- République Française, Fiches, Protection sociale, Le financement de la santé, Soins hospitaliers : T2A et autres modes de financement, 11 janvier 2024.
- Idem.
- Joost Wammes, Niek Stadhouders et Gert Westert, « International Health Care Systems Profiles – Netherlands », Le Fonds du Commonwealth, 5 juin 2020.
- Gouvernement du Canada, op. cit., note 1.
- Maria Lily Shaw, « Lever l’interdiction touchant l’assurance maladie privée duplicative au Québec », IEDM, Note économique, janvier 2023, p. 4.
- Gouvernement de Canada, Santé, Système et services de santé, Système de soins de santé, Loi canadienne sur la santé – Foire aux questions, Qui peut bénéficier de la couverture de soins de santé au Canada?, 5 juin 2024.
- Miriam Blümel et Reinhard Busse, op. cit., note 13.
- The German Hospital Federation, op. cit., note 5; Bundesministerium für Gesundheit, Krankenhausfinanzierrung, consultée le 9 juillet 2024.
- Idem.
- Isabelle Durand-Zaleski, op. cit., note 15.
- Joost Wammes, Niek Stadhouders et Gert Westert, op. cit., note 18.
- Cette certification date de 2021 et les centres hospitaliers n’ont pas tous été certifiés cette année-là. D’autres centres ont été certifiés en 2014. Seuls les hôpitaux certifiés en 2021 ont été pris en compte dans cette Note. Haute Autorité de Santé, « Panorama de la qualité des établissements », consultée le 21 juin 2024.
- L’Institut Mutualiste Montsouris, « 21 spécialités classées parmi les meilleures de France dans le palmarès du Point », consultée le 21 juin 2024.