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Service de la dette : trop cher payé pour s’endetter

Point sur l’explosion de la dette fédérale et la croissance fulgurante des paiements d’intérêts qui mobiliseront de plus en plus les ressources de l’État dans les prochaines années

Le gouvernement fédéral du premier ministre Justin Trudeau présentait lundi le 19 avril son premier budget en plus de deux ans. Dans cette publication de l’Institut économique de Montréal, des chercheurs braquent les projecteurs sur la croissance fulgurante du service de la dette.

En lien avec cette publication

Le cercle vicieux de l’endettement (Le Journal de Montréal, 21 avril 2021)

Liberal budget takes on a reckless amount of new debt (Western Standard, 22 avril 2021)

Entrevue avec Miguel Ouellette (Midi Plus, 106,9 FM, 21 avril 2021)

Entrevue avec Miguel Ouellette (Fillion, Radio X, 21 avril 2021)

Entrevue (en anglais) avec Maria Lily Shaw (The Roy Green Show, Global Radio, 24 avril 2021)

Entrevue (en anglais) avec Maria Lily Shaw (CTV News Montreal at Noon, CFCF-TV, 20 avril 2021)

 

Ce Point a été préparé par Miguel Ouellette, directeur des opérations et économiste à l’IEDM, et Maria Lily Shaw, économiste à l’IEDM. La Collection Fiscalité de l’IEDM vise à mettre en lumière les politiques fiscales des gouvernements et à analyser leurs effets sur la croissance économique et le niveau de vie des citoyens.

Le dépôt tant attendu du budget fédéral marque l’établissement par le gouvernement Trudeau de deux nouveaux records dont il n’y a pas lieu de se vanter. Le premier : la plus longue période de l’histoire du Canada sans qu’un budget ne soit présenté. En effet, 762 jours se sont écoulés depuis le dépôt du dernier budget fédéral, plongeant les investisseurs et les Canadiens dans un climat de grande incertitude depuis plus de deux ans. Le record précédent appartenait au gouvernement libéral de Jean Chrétien, avec une période de 651 jours sans budget au début des années 2000(1).

Le second nouveau record concerne la dette fédérale qui a atteint un sommet historique au Canada. En effet, la dette fédérale nette, qui devrait atteindre 1333,6 milliards de dollars d’ici 2022(2), a plus que doublé depuis le sommet de 1997 (voir la Figure 1). Et si l’on tient compte des effets de l’inflation, elle a progressé de 60 % depuis(3). Par ailleurs, le budget confirme qu’en 2020-2021, le déficit budgétaire annuel aura été le plus important depuis que le Canada a commencé à compiler des données à ce sujet en 1966, soit 354,2 milliards de dollars(4).

Il est vrai que le déficit enregistré cette année est partiellement attribuable aux diverses mesures introduites en réponse à la COVID-19. Toutefois, rien dans le budget ne laisse présager que le gouvernement entend limiter ses dépenses à moyen terme. On dit même aux Canadiens qu’une telle explosion de la dette est facilement soutenable en raison des taux d’intérêt exceptionnellement bas. Or, nous ne pouvons pas simplement compter sur le maintien des taux à de tels niveaux. De fortes pressions inflationnistes se font déjà sentir aux États-Unis, et la même chose pourrait bientôt se produire au Canada(5). Lorsque les taux d’intérêt commenceront à revenir à des niveaux prépandémiques pour freiner l’inflation, les coûts d’emprunt augmenteront en conséquence et exerceront une pression supplémentaire sur les contribuables canadiens, auxquels il incombe en fin de compte de payer la facture.

Il n’y a pas si longtemps, au début des années 1990, alors que les taux d’intérêt étaient supérieurs à 10 %(6), les Canadiens payaient chaque année plus de 40 milliards de dollars en frais de service de la dette(7), alors que celle-ci était deux fois moins élevée qu’aujourd’hui(8). Avec notre niveau d’endettement record, on ne peut qu’imaginer l’ampleur de l’augmentation de nos frais de service de la dette à la moindre hausse des taux d’intérêt.

Mais même avec les faibles taux actuels, une dette importante implique des paiements d’intérêts importants, lesquels mobilisent les ressources de l’État. Les coûts du service de la dette, également appelés frais de la dette publique, devraient atteindre 22,1 milliards de dollars en 2021-2022, engloutissant 6 % du total des recettes fédérales. Ce ratio est prévu d’augmenter à 9 % en 2025-2026. Autrement dit, pour chaque dollar de recettes perçues par le gouvernement, près de 10 cents seront consacrés au paiement des intérêts de la dette fédérale. Il s’agit là d’argent qui pourrait être consacré à d’importants programmes publics, ou laissé dans les poches des contribuables.

À titre d’exemple, le gouvernement fédéral dépense au-delà de 187 fois plus pour le service de la dette que pour le soutien aux anciens combattants du Canada(9). En effet, à peine 118 millions de dollars seront alloués au soutien des militaires à la retraite au cours de l’exercice 2021-2022, ce qui correspond à seulement 0,53 % de ce qui est dépensé en frais de la dette publique pour la même période. Si l’on compare aux soins à domicile, à la santé mentale et à la prévention de l’itinérance pris ensemble, c’est près de sept fois plus de ressources qui sont allouées au paiement des intérêts de la dette de notre pays (voir la Figure 2). Ceci est particulièrement inquiétant, dans la mesure où certains rapports prévoient une augmentation du nombre de sans-abri pouvant atteindre 15 %(10) dans certaines villes canadiennes en raison de l’instabilité économique pendant la pandémie de COVID-19. En somme, les fonds consacrés au service de la dette publique pourraient assurément être utilisés à meilleur escient.

Le budget de cette année prévoit par ailleurs que les paiements d’intérêts sur la dette augmenteront de 78 % entre 2021-2022 et 2025-2026. Les transferts en santé et les prestations aux aînés devraient, pour leur part, augmenter de 20 % et de 30 % respectivement au cours de la même période. Les coûts du service de la dette représentent donc une des dépenses gouvernementales affichant la plus forte croissance.

Le service de la dette accapare des ressources considérables au détriment du financement des activités qui tiennent à cœur aux Canadiens, comme le système de soins de santé de leur province. En ce sens, en mars 2021, les premiers ministres provinciaux de l’ensemble du pays ont exhorté le gouvernement fédéral à hausser immédiatement les transferts en santé à hauteur de 28 milliards de dollars(11). Si le service de la dette n’était pas si coûteux, plus de fonds pourraient être affectés au soutien des provinces pour le financement de leur système de santé ou des réformes qui leur sont nécessaires.

Conclusion

Ces exemples sont révélateurs des coûts importants liés à la dette du gouvernement fédéral. Il ne fait aucun doute que les paiements d’intérêts sur notre dette publique croissante consomment une part considérable des recettes. Par conséquent, cela limite la capacité du gouvernement à réduire les impôts ou à financer des programmes. La montée en flèche de la dette et des paiements d’intérêts a également contribué à rendre la situation financière du gouvernement plus vulnérable aux fluctuations des taux d’intérêt.

La seule façon d’arrêter de gaspiller ainsi l’argent des contribuables en frais de service de la dette est de réduire la dette fédérale. Alors seulement, les coûts du service de la dette commenceront à diminuer et les fonds dont nous avons tant besoin pourront être réaffectés à d’autres fins.

Cela peut se faire en adoptant un plan concret de réduction de la dette fédérale qui prévoit un contrôle minutieux des dépenses de programmes directes et l’adoption d’une réforme fiscale favorable à la croissance et à la création d’emplois, pour le grand bénéfice de toute la population canadienne. Un tel plan placerait les entrepreneurs au premier plan de la campagne en faveur d’un budget fédéral plus durable et plus équitable et garantirait une meilleure utilisation de l’argent des contribuables.

De la même manière que les familles canadiennes doivent gérer leurs remboursements d’intérêts d’emprunt, le gouvernement fédéral du Canada se doit d’en faire autant. Il n’en demeure pas moins que ce sont les contribuables qui doivent payer le prix des emprunts contractés par les gouvernements. Chaque année, les intérêts que nous payons nous rappellent qu’il n’y a rien de gratuit lorsqu’il s’agit de la dette publique.

Références

  1. Calcul des auteurs. David Akin, « ANALYSIS: Trudeau government nears the record for leaving Parliament without a budget », Global News, 7 octobre 2020.
  2. Gouvernement du Canada, Budget 2021 : Une relance axée sur les emplois, la croissance et la résilience, 19 avril 2021, p. 379.
  3. Calcul des auteurs. Statistique Canada, Tableau 10-10-0048-01: Dette de l’administration publique fédérale, pour l’année financière se terminant le 31 mars (x 1 000 000), 2018.
  4. Ministère des Finances Canada, Tableaux de référence financiers 2019, Gouvernement du Canada, 2019, p. 9; Gouvernement du Canada, op. cit., note 2.
  5. Agence France Presse, « L’inflation s’accélère à 0,6 % en mars et grimpe à 2,6 % sur un an », La Presse, 13 avril 2021.
  6. Statistique Canada, L’Observateur économique canadien : supplément statistique historique, Tableau 7.1 : Taux d’intérêts et taux de change, 19 décembre 2012.
  7. Gouvernement du Canada, Rapports financiers annuels pour les années 1991-1992 à 1999-2000, Ministère des Finances Canada.
  8. Statistique Canada, op. cit., note 3.
  9. Gouvernement du Canada, op. cit., note 2, p. 283.
  10. Jordan Press, « Delay in pandemic-related rise in homelessness gives feds time to prevent it: report », CTV News, 10 décembre 2020.
  11. CNW, « Federal Budget 2021: It’s Time to Increase the Canada Health Transfer », Cision, 24 mars 2021.
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