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Quelles provinces ont le plus de mal à garder les jeunes infirmières?

Note économique examinant la proportion de jeunes infirmières quittant la profession au cours de la dernière décennie dans l’ensemble du Canada

Annexe

En lien avec cette publication

Rétention du personnel infirmier: le Québec est l’exemple «à ne pas suivre», selon une étude (Le Journal de Montréal, 24 septembre 2024)

Pourquoi les jeunes infirmières sont-elles nombreuses à quitter la profession? (Noovo Info, September 24, 2024)

Canada’s health-care system hemorrhaging nurses: Study (Toronto Sun, 24 septembre 2024)

Nearly 30% of Manitoba nurses quit before 35 due to burnout, discontent (The Brandon Sun, 24 septembre 2024)

N.B. nurse exodus the worst in Canada: new study (Telegraph-Journal, 24 septembre 2024)

Manitoba top performer, but young nurses leaving at alarming rate: report (Winnipeg Sun, 24 septembre 2024)

Quebec health network struggling to hold on to young nurses: report (CityNews, 24 septembre 2024)

48% of new Alberta nurses leave profession before they turn 35: report (Global News, 24 septembre 2024)

1 in 2 nurses recruited to work in N.L. leave profession by 35, new data shows (CBC News, 24 septembre 2024)

Nearly half of young nurses in Alberta quitting before age 35, report suggests (CityNews Calgary, 24 septembre 2024)

Alarming Exodus: Nearly half of young nurses in Alberta leaving profession before age 35 (Western Standard, 29 septembre 2024)

Mr. Houston, we have a health-care problem (The Chronicle Herald, 4 octobre 2024)

Entrevue (en anglais) avec Emmanuelle B. Faubert (The Elias Makos Show, CJAD AM, 24 septembre 2024)

Entrevue avec Emmanuelle B. Faubert (La commission, 98,5 FM, 24 septembre 2024)

Entrevue (en anglais) avec Emmanuelle B. Faubert (The Shift with Patty Handysides, CKLW AM, 24 septembre 2024)

Entrevue avec Emmanuelle B. Faubert (Midi Pile, KYK Radio, 24 septembre 2024)

Entrevue avec Renaud Brossard (L’Outaouais maintenant, 104,7 FM, 24 septembre 2024)

Entrevue avec Emmanuelle B. Faubert (La matinale, ICI Radio-Canada, 25 septembre 2024)

Entrevue avec Emmanuelle B. Faubert (Côte à Côte, ICI Radio-Canada, 27 septembre 2024)

Entrevue avec Emmanuelle B. Faubert (Le matin du Nord, ICI Radio-Canada, 1er octobre 2024)

Entrevue (en anglais) avec Emmanuelle B. Faubert(CBC News New-Brunswick, 24 septembre 2024)

Reportage (en anglais) avec Emmanuelle B. Faubert(CTV News Montreal, 24 septembre 2024)

Reportage (en anglais) avec Krystle Wittevrongel (Global News, 25 septembre 2024)

Reportage avec Emmanuelle B. Faubert(TVA Nouvelles Carleton-sur-Mer, 26 septembre 2024)

Reportage (en anglais) avec Renaud Brossard (CityNews Toronto, 29 septembre 2024)

 

Cette Note économique a été préparée par Emmanuelle B. Faubert, économiste à l’IEDM. La Collection Santé de l’IEDM vise à examiner dans quelle mesure la liberté de choix et l’entrepreneuriat permettent d’améliorer la qualité et l’efficacité des services de santé pour tous les patients.

Les infirmières sont un rouage essentiel des systèmes de soins de santé canadiens. Selon le Conseil international des infirmières, ces professionnelles de la santé prodiguent près de 80 % des soins directs à l’échelle mondiale(1). Pour que nos systèmes de santé puissent fournir les soins dont la population a besoin, il est essentiel de veiller à ce que les infirmières, une fois leur formation terminée, demeurent actives au sein de la profession. Malheureusement, ces prestataires de soins font l’objet d’une pénurie chronique généralisée, si bien qu’une majorité d’infirmières canadiennes ont constaté une détérioration de la qualité des soins prodigués sur leur lieu de travail(2). Et cette détérioration de la qualité se produit au détriment des patients, tant sur le plan des temps d’attente que sur celui des résultats cliniques.

En 2023, l’IEDM a publié une Note économique faisant état de la situation de la profession infirmière au Québec(3). De portée plus large, le présent document s’intéresse au Canada dans son ensemble, en examinant la situation dans toutes les provinces.

Une situation qui se détériore dans l’ensemble du Canada

La capacité du système canadien à retenir les infirmières, en particulier les jeunes, se détériore depuis des années. En 2013, pour 100 jeunes infirmières qui intégraient la profession, 32 la quittaient avant l’âge de 35 ans(4). Cette proportion a fluctué au fil des ans, mais la tendance générale est à la hausse. En 2022, l’année la plus récente pour laquelle des données sont disponibles, la proportion de départs était passé à 40 %. En une décennie, le ratio de jeunes infirmières qui délaissent le système a augmenté de 25 % (voir la Figure 1)(5).

Cette situation devrait continuer de se détériorer. Une étude réalisée en 2018 estime que d’ici 2030, le manque à gagner pour le pays s’élèvera à 117 600 infirmières(6).

Certaines provinces font meilleure figure que d’autres

La gravité du problème diffère toutefois d’une région à l’autre du Canada. Alors que le Manitoba et la Colombie-Britannique ont perdu moins d’un tiers de leurs nouvelles jeunes infirmières en 2022 (ce qui demeure tout de même considérable), les ratios de nombreuses provinces avoisinaient la moitié. Le Nouveau-Brunswick est la province qui affiche les pires résultats, avec une perte de huit jeunes infirmières pour chaque dizaine de nouvelles recrues (voir le Tableau 1).

En examinant les données pour l’ensemble des provinces, on constate également que toutes n’ont pas évolué de la même manière. En effet, la situation s’est détériorée dans la grande majorité des provinces, alors que seules quelques-unes ont connu une amélioration (voir l’Annexe).

L’Ontario, par exemple, qui occupait la troisième place en matière de rétention des jeunes infirmières en 2022, se trouve néanmoins dans une situation bien pire qu’il y a dix ans. En 2013, l’Ontario ne perdait que 19 jeunes infirmières pour chaque centaine qui rejoignait la profession. En 2022, ce sont 35 jeunes infirmières sur 100 qui quittaient la profession, soit une augmentation de 83 %. Si la situation de l’Ontario demeure plus favorable que celle de la plupart des autres provinces, elle risque de ne plus l’être bien longtemps si la tendance se maintient.

En revanche, la Colombie-Britannique est la province qui s’est le plus améliorée au cours de la dernière décennie. En 2013, elle perdait 47 jeunes infirmières pour chaque centaine de recrues, alors qu’en 2022, ce ratio avait chuté à 31 pour cent, soit une baisse de 32 % en dix ans.

Alors que tant de jeunes infirmières ne franchissent pas le cap de la mi-carrière, et encore moins celui de la retraite, il devient essentiel de s’interroger sur les raisons de leur départ en masse.

Pourquoi les infirmières démissionnent-elles?

Les infirmières choisissent de quitter leur profession pour de multiples raisons, notamment une rémunération insuffisante, un environnement de travail stressant, une surcharge de travail et un manque d’équilibre entre le travail et la vie personnelle, pour ne citer que quelques exemples(7). La majorité de ces motifs relèvent donc de conditions de travail défavorables, un enjeu de taille qui, selon les données disponibles, touche les infirmières de l’ensemble du pays.

La fédération canadienne des syndicats d’infirmières et infirmiers effectue chaque année un sondage à travers le pays afin de faire le point sur ces questions. Celui de cette année a révélé que neuf infirmières sur dix se disent épuisées et qu’une proportion alarmante de quatre infirmières sur dix, soit 40 %, ont l’intention de quitter la profession au cours de l’année à venir (sans distinction d’âge)(8). Cela suggère que la tendance continue de se détériorer. Les données recueillies pointent également du doigt une absence de contrôle sur les horaires, les heures supplémentaires et d’autres facteurs similaires comme étant les principales raisons pour lesquelles les infirmières quittent leur emploi.

En une décennie, le ratio de jeunes infirmières qui délaissent le système a augmenté de 25 %.

Il est intéressant de noter que ce même sondage révèle que les infirmières qui ont exprimé leur volonté de quitter leur emploi actuel sont également plus susceptibles d’être intéressées par un emploi au sein d’une agence indépendante (privée)(9). Cela laisse croire que les agences sont une option de dernier recours pour les infirmières surchargées et épuisées par le système public, leur permettant de bénéficier d’une plus grande flexibilité et d’améliorer leurs conditions de travail sans pour autant devoir quitter la profession.

Les infirmières canadiennes ont besoin de meilleures conditions de travail et d’une plus grande flexibilité

Une plus grande flexibilité à tous les égards est essentielle pour améliorer la rétention du personnel infirmier au Canada. Une meilleure rémunération, bien qu’importante, n’est pas suffisante en soi, car ce sont avant tout les conditions de travail qui affectent le plus les infirmières et qui poussent nombre d’entre elles à quitter leur emploi ou à changer de carrière avant d’atteindre l’âge de la retraite. En effet, si un salaire élevé permet d’attirer de nouvelles infirmières, de bonnes conditions de travail sont essentielles pour les garder en poste. Après tout, les infirmières épuisées ne pourront pas rester en poste très longtemps avant d’être incapables de continuer, quel que soit leur salaire. Et leur départ ajoute au stress de celles qui restent, d’où le cercle vicieux de la pénurie d’infirmières.

Une étude réalisée en 2022 à Taïwan a révélé que l’autonomie professionnelle, la charge de travail, l’interaction interpersonnelle et la flexibilité des conditions de travail étaient étroitement liées à l’épuisement professionnel. Les chercheurs ont également conclu que la flexibilité au travail entraînait une plus grande satisfaction chez les infirmières, un facteur important de rétention du personnel infirmier(10).

C’est pourquoi l’on pourrait améliorer considérablement les conditions de travail des infirmières en leur accordant simplement plus de flexibilité(11), laquelle pourrait se présenter sous de multiples formes. Il pourrait s’agir, par exemple, d’assouplir les conventions collectives en accordant une plus grande liberté contractuelle à l’infirmière et à son employeur, permettant ainsi une meilleure adaptation aux besoins de chaque région, chose particulièrement importante dans les régions éloignées. Cela permettrait également de tenir compte des préférences individuelles des infirmières en ce qui concerne les gardes de nuit et de fin de semaine, plutôt que d’attribuer systématiquement ces gardes aux jeunes infirmières.

La majorité de ces motifs relèvent de conditions de travail défavorables, un enjeu de taille qui touche les infirmières de l’ensemble du pays.

Un autre exemple serait de favoriser l’autonomie professionnelle des infirmières, y compris pour les infirmières des agences privées indépendantes(12). En effet, les infirmières doivent pouvoir jouir d’une liberté totale leur permettant d’exercer leur profession de la manière qui leur convient et là où elles le souhaitent, qu’il s’agisse d’un poste dans un hôpital public, de travailler à son compte au sein d’une clinique d’infirmières praticiennes ou d’un mandat contractuel auprès d’une agence indépendante. Vouloir les contraindre à travailler toutes pour le même système public, comme Québec tente de le faire, ne conduit qu’à l’épuisement professionnel, ce qui accroît davantage encore le risque de départs d’infirmières. En faisant concurrence au système public pour attirer les infirmières, les agences de soins infirmiers indépendantes offrent à ces professionnelles de la santé indispensables davantage d’options en matière d’emploi.

La « guerre » contre les infirmières indépendantes : l’exemple québécois à ne pas suivre

Le gouvernement provincial québécois a pris la décision d’interdire au système public de faire appel à des infirmières indépendantes en agence. Cette interdiction ne fera qu’aggraver la situation en poussant une plus grande proportion d’infirmières à quitter la profession(13). Cette mesure sera progressivement mise en œuvre en commençant par les grandes agglomérations au printemps 2025, avant d’être élargie à l’ensemble des régions de la province en 2026. Bien que l’interdiction ne soit pas encore en vigueur, une première phase a déjà été mise en place : un plafond a été fixé sur la rémunération qui peut être versée aux infirmières d’agences(14). Les établissements de santé sont également contraintes de réduire progressivement le nombre d’infirmières d’agences qu’ils emploient afin d’atteindre le seuil souhaité de zéro avant la date butoir. Il faudra attendre quelques années pour que les conséquences de l’interdiction se reflètent pleinement dans les données, mais nous pouvons d’ores et déjà observer certains effets de cette politique au Québec.

Actuellement, les régions les plus rurales de la province sont déjà incapables de fonctionner correctement, dans la mesure où il n’y a pas assez d’infirmières intéressées à travailler dans les régions éloignées au salaire inférieur récemment proposé. La plupart des infirmières qui travaillent dans les régions éloignées sont originaires des grands centres urbains et n’ont pas l’intention de rester dans la région de façon permanente. Elles ne sont pas intéressées à travailler dans des régions éloignées si elles peuvent gagner le même salaire beaucoup plus près de chez elles. À l’heure actuelle, de nombreuses urgences en zone rurale ont dû réduire leur nombre de lits ou leurs heures d’ouverture en raison de la pénurie de main-d’œuvre résultant de la « guerre » menée par le Québec contre les infirmières indépendantes(15).

Lorsque l’interdiction de recourir à des infirmières indépendantes entrera pleinement en vigueur, les pénuries se feront probablement sentir aussi bien dans les grands centres urbains que dans les régions éloignées.

Vouloir les contraindre à travailler toutes pour le même système public, comme Québec tente de le faire, ne conduit qu’à l’épuisement professionnel, ce qui accroît le risque de départs d’infirmières.

Cette politique devrait être abandonnée et les hôpitaux et établissements de santé de la province devraient être autorisés à faire appel à des infirmières indépendantes. Les autres provinces ne devraient pas suivre l’exemple du Québec, et devraient plutôt faire tout le contraire, en accordant plus de place aux infirmières d’agences et en leur donnant la liberté d’exercer leur profession où bon leur semble(16). La priorité est bien de soigner les patients, quel que soit l’employeur des infirmières.

Conclusion

Les plus récentes données disponibles montrent que la proportion de jeunes infirmières quittant la profession s’est aggravée au cours de la dernière décennie dans l’ensemble du Canada, la situation pouvant varier quelque peu d’une province à l’autre.

Les systèmes de santé publics provinciaux n’ont pas été en mesure de remédier à ce problème ni de proposer les meilleures conditions de travail et la flexibilité nécessaires pour limiter ces départs en offrant aux infirmières un environnement de travail mieux adapté à leurs besoins individuels. Au contraire, la situation semble se détériorer, notamment au Québec où une « guerre » a été déclarée contre les agences de soins infirmiers et, par conséquent, contre une plus grande flexibilité des conditions de travail.

L’objectif principal de cette Note économique est de sonner l’alarme en exposant les données tant pour l’ensemble du Canada que pour les différentes provinces. Mais ce n’est qu’un point de départ. Il serait intéressant de se pencher davantage sur les raisons pour lesquelles certaines provinces, comme la Colombie-Britannique, semblent faire meilleure figure.

Les infirmières sont essentielles à nos systèmes de soins de santé. Il est donc impératif de veiller à ce qu’elles aient accès à des contrats de travail flexibles assortis d’une plus grande autonomie professionnelle, et à ce que l’on prenne mieux soin d’elles de manière générale. Comme l’a fait remarquer le directeur général du Conseil international des infirmières, « la santé du personnel infirmier pourrait être le plus grand déterminant de la santé de la population mondiale au cours de la prochaine décennie »(17).

Références

  1. CSU2030, Nouvelles et événements, Nouvelles, Le Conseil international des infirmières: Pourquoi les infirmières sont importantes pour la CSU, consultée le 13 août 2024.
  2. La fédération canadienne des syndicats d’infirmières et infirmiers, Rapport récapitulatif de l’enquête auprès des membres de la FSCII, mars 2024, p. 22.
  3. Emmanuelle B. Faubert, « La pénurie de personnel infirmier au Québec : améliorer la flexibilité et les conditions de travail », Note économique, IEDM, octobre 2023.
  4. Le terme « infirmière », tel qu’il est utilisé dans cette Note économique, comprend les infirmières praticiennes, les infirmières autorisées, les infirmières psychiatriques autorisées et les infirmières auxiliaires autorisées. Cela permet de brosser un portrait plus complet de l’offre de soins infirmiers dans son ensemble. ICIS, Le personel infirmier au Canada 2023 – tableaux de données, Tableau 4 : Effectif, 2024.
  5. Calculs de l’auteure. ICIS, Le personnel infirmier au Canada 2023 – tableaux de données, Tableau 4 : Effectif, 2024.
  6. Tina Novotny, « How global nursing talent is driving healthcare system transformation », Hospital News, 22 mars 2024.
  7. Huan-Fang Lee et Ying-Ju Chang, « The Effects of Work Satisfaction and Work Flexibility on Burnout in Nurses », The Journal of Nursing Research, vol. 30, no 6, décembre 2022, p. 1-2.
  8. La fédération canadienne des syndicats d’infirmières et infirmiers, op. cit., note 2, p. 6–7.
  9. Ibid., p. 14.
  10. Huan-Fang Lee et Ying-Ju Chang, op. cit., note 7, p. 5-6.
  11. Isik U. Zeytinoglu et al., « Flexible employment and nurses’ intention to leave the profession: The role of support at work », Health Policy, vol. 99, no 2, février 2011, p. 155-156.
  12. Huan-Fang Lee et Ying-Ju Chang, op. cit., note 7, p. 5-6.
  13. Emmanuelle B. Faubert, « Le Québec dépend des infirmières indépendantes », Le Soleil, 21 mai 2024.
  14. Gouvernement du Québec, Pour le personnel – Vers la fin des agences privées en santé : Québec resserre les règles, 4 octobre 2023.
  15. Fanny Lévesque, « La Côte-Nord plongée dans ‘’une crise sans précédent’’», La Presse, 13 mai 2024.
  16. Kelly Grant, « Canadian nurses’ unions urge politicians to crack down on for-profit nursing agencies », The Globe and Mail, 11 octobre 2023.
  17. Megan Ford, « Covid-19: New findings point to widespread trauma among nurses », Nursing Times, 13 janvier 2021.
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