Québec devrait éliminer les subventions pour réduire les impôts

Point montrant qu’en se débarrassant des subventions aux entreprises privées, le gouvernement québécois pourrait utiliser les sommes ainsi libérées pour réduire considérablement le taux d’imposition sur les sociétés
En lien avec cette publication
![]() |
![]() |
![]() |
Le Québec pourrait devenir un paradis fiscal pour les entreprises… en coupant les subventions (Le Journal de Montréal, 19 juin 2025)
Subventions aux entreprises: Québec aide des canards boiteux, selon l’IEDM (Noovo Info, 19 juin 2025) Cadeaux aux entreprises: le chat qui se mord la queue (Le Journal de Montréal, 23 juin 2025) What we can learn from Quebec’s failed EV subsidies (The Globe and Mail, 26 juin 2025) |
Entrevue avec Emmanuelle B. Faubert (Marc Boilard, QUB Radio, 25 juin 2025)
Entrevue avec Gabriel Giguère (BLVD against le matin, BLVD 102.1, 4 juillet 2025) |
Ce Point a été préparé par Emmanuelle B. Faubert, économiste à l’IEDM. La Collection Fiscalité de l’IEDM vise à mettre en lumière les politiques fiscales des gouvernements et à analyser leurs effets sur la croissance économique et le niveau de vie des citoyens.
Le Québec est le champion canadien des subventions(1). Le gouvernement y a recours massivement pour attirer des entreprises, car sans ces promesses d’aide financière, la province peine à susciter l’intérêt des investisseurs. Pourtant, le Québec a aussi le fardeau fiscal le plus élevé parmi tous les provinces et états en Amérique du Nord(2). Cela soulève une question importante : pourquoi continuer à imposer lourdement les entreprises pour ensuite redistribuer une partie de ces recettes sous forme de subventions ciblées à ces mêmes entreprises?
Dans un contexte marqué par l’incertitude politique et commerciale en provenance de l’autre côté de la frontière sud, il est d’autant plus important de veiller à ce que la province demeure attrayante sans devoir recourir aux subventions. En effet, l’élimination de ces transferts, tout en allégeant le fardeau fiscal des sociétés, permettrait au Québec de se positionner comme la province offrant le plus faible taux d’imposition sur les sociétés en Amérique du Nord.
Déshabiller Pierre pour habiller Paul
Chaque année, le gouvernement du Québec prélève des milliards de dollars en impôts sur les sociétés opérant dans la province. Les subventions versées aux entreprises privées, quant à elles, représentent l’équivalent d’une part importante de ces revenus. Le ratio entre les montants versés et prélevés est un indicateur pertinent pour évaluer l’ampleur de cette redistribution.
Par exemple, en 2023-2024, le gouvernement provincial a récolté 11,4 milliards $ en revenus tirés des impôts sur les sociétés, alors qu’il a versé 7,8 milliards $ en subventions aux entreprises(3). Autrement dit, l’équivalent de plus de 70 % des revenus tirés de l’impôt sur les sociétés a été redistribués cette année-là à des entreprises privées favorisées. Entre 2018 et 2023, le ratio moyen entre les subventions versées par Québec aux entreprises privées et les revenus tirés des impôts sur les sociétés s’est établi à 59,8 %(4) (voir la Figure 1).
Ce type d’interventionnisme étatique décourage les entreprises les plus rentables et compétitives à s’installer dans la province, puisqu’elles sont pénalisées par un taux élevé d’imposition sur les sociétés, alors que les subventions massives profitent aux entreprises qui ont besoin d’aide financière (ou qui satisfont aux critères des programmes de subventions gouvernementales). Ce modèle attire plutôt des entreprises qui peineraient à être rentables sans l’aide de ces subventions, créant un cercle vicieux dans lequel l’économie dépend d’entreprises elles-mêmes dépendantes de subventions pour rester à flot.
Il suffit d’observer l’évolution récente des projets de la filière batterie et d’électrification des transports.
- Au cours des dernières années, le gouvernement du Québec – aux côtés du gouvernement fédéral et d’autres gouvernements provinciaux comme celui de l’Ontario(5) – a voulu faire de la province un fournisseur mondial de batteries(6). Northvolt, une entreprise suédoise spécialisée dans la production de batteries pour véhicules électriques, a reçu une subvention annoncée en septembre 2023 pour ouvrir une filiale au Québec(7). Plus de 710 millions $ de fonds publics y ont été injectés jusqu’à maintenant(8). Toutefois, en 2025, la société mère de Northvolt s’est mise à l’abri de ses créanciers dans son pays d’origine et les retombées économiques de cette entente pour l’économie du Québec demeurent aujourd’hui fort incertaines(9).
- Lion Électrique, un fabricant d’autobus électriques, scolaires et urbains, ainsi que de camions électriques, basé à Saint-Jérôme, a reçu plus de 200 millions $ de fonds publics depuis 2008 sous forme de subventions et de prêts. Cette entreprise s’est également placée à l’abri de ses créanciers en décembre 2024(10).
- On estime que le Québec a perdu un minimum de 515 millions $ en 2024 seulement en raison d’investissements qui n’ont pas porté fruit, les entreprises bénéficiaires étant aujourd’hui insolvables(11).
L’histoire et l’analyse économique montrent que le gouvernement est mal placé pour déterminer quels projets seront réellement bénéfiques pour l’économie du Québec, surtout lorsqu’il s’agit de subventionner un secteur précis ou quelques entreprises triées sur le volet.
Éliminer les subventions pour réduire les impôts sur les sociétés
Outre les largesses gouvernementales, il existe d’autres moyens d’inciter les entreprises à s’installer dans la province. En éliminant les subventions aux entreprises privées, le gouvernement pourrait utiliser les sommes ainsi libérées pour réduire le taux d’imposition sur les sociétés.
Plus précisément, en se basant sur la moyenne des subventions accordées entre 2018 et 2023, le gouvernement pourrait baisser le taux d’imposition sur les sociétés de 6,75 points de pourcentage, sans pour autant affecter ses revenus. Le taux d’imposition provincial passerait ainsi de 11,5 % à 4,75 %(12).
Une telle baisse ferait du Québec l’endroit offrant le taux d’imposition sur les sociétés le plus faible en Amérique du Nord(13). En tenant compte du taux fédéral de 15 %, les sociétés établies au Québec seraient imposées à un taux combiné de 19,75 %, soit plus bas que le taux minimal de 21 % en vigueur aux États-Unis.
Une telle réforme fiscale serait particulièrement pertinente dans un contexte où le Québec cherche à offrir un environnement attrayant aux entreprises souhaitant s’y installer et s’y développer.
Conclusion
Éliminer les subventions aux entreprises privées au profit d’une baisse de l’impôt sur les sociétés permettrait d’attirer davantage d’entreprises rentables au Québec, en changeant les incitations qui, actuellement, encouragent plutôt les entreprises à solliciter l’aide du gouvernement pour s’y établir. Une telle réforme fiscale permettrait au Québec de se défaire de son titre de champion des subventions et d’adopter celui, bien plus enviable, de territoire offrant l’environnement fiscal le plus concurrentiel en Amérique du Nord pour les entreprises.
Références
- Alexandre Moreau, « Le Québec est toujours un champion des subventions », Point, IEDM, janvier 2018; Statistique Canada, Tableau 10-10-0147-01 : Statistiques de finances publiques canadiennes (SFPC), situation des opérations et bilan pour les administrations publiques consolidées (x 1 000 000), 22 novembre 2024.
- Rachel Surman, « Taux d’imposition provinciaux : quelle province est la meilleure? », Koho, consultée le 8 mai 2025; TaxTips.ca, Business, Corporate Income Tax Rates, 2025 Corporate Income Tax Rates, consultée le 8 mai 2025.
- Les recettes fiscales sont présentées par exercice financier alors que les subventions sont présentées par l’année civile. Gouvernement du Québec, Comptes publics 2023-2024 volume 1, octobre 2024, p. 10; Statistique Canada, op. cit., note 1.
- Cette moyenne exclut l’année 2020, car pendant cette année de la pandémie, il y a eu simultanément une diminution des recettes de l’impôt sur les sociétés et une augmentation des subventions. Statistique Canada, op. cit., note 1; Statistique Canada, Tableau 36-10-0402-01 : Produit intérieur brut (PIB) aux prix de base, par industries, provinces et territoires (x 1 000 000), 1er mai 2025; Statistique Canada, Tableau 18-10-0005-01 : Indice des prix à la consommation, moyenne annuelle, non désaisonnalisé, 21 janvier 2025; Gouvernement du Québec, Comptes publics 2018-2019, volume 1, novembre 2019, p. 112; Gouvernement du Québec, Comptes publics 2019-2020, volume 1, décembre 2020, p. 91; Gouvernement du Québec, Comptes publics 2021-2022, volume 1, novembre 2022, p. 7; Gouvernement du Québec, Comptes publics 2023-2024, volume 1, octobre 2024, p. 10.
- Gouvernement du Québec, Ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Publications, Développement de la filière batterie, La filière batterie, 14 février 2025.
- Idem.
- IEDM, « Subventions à Northvolt : c’est très cher payé pour attirer une seule usine », Communiqué de presse, 28 septembre 2023.
- Michel Girard, « Northvolt : 710 millions $ d’argent public à risque », Le Journal de Montréal, 21 septembre 2024.
- Agence France-Presse, « Northvolt, en faillite, supprime plus de la moitié de ses emplois », Radio-Canada, 31 mars 2025; Daniel Dufort, « Les déboires de Northvolt : une mise en garde contre la politique industrielle du Canada », The Hub, 9 octobre 2024.
- Julien Arsenault, « Les banquiers avaient perdu confiance au printemps », La Presse, 18 décembre 2024; Gabriel Giguère, « IEDM – Analyse du fiasco de Lion Électrique – Gabriel Giguère », BLVD 102.1, Entrevue, 29 novembre 2024; Julien Arsenault, « Lion Électrique trouve de l’argent, mais il lui en faut encore », La Presse, 5 décembre 2024.
- Sylvain Laroque, « Aide aux entreprises: Québec a perdu au moins 515 M$ l’an dernier », Le Journal de Montréal, 14 avril 2025; Gouvernement du Québec, Budget 2025-2026 : Pour un Québec fort, mars 2025, p. F.26.
- Calculs de l’auteure basés sur les montants moyens prélevés en impôts et versés en subventions entre 2018 et 2023, excluant 2020.
- L’Alberta aurait le second taux le plus faible à 8 %. TaxTips.ca, op. cit. note 2.