Ottawa met à risque l’accès à la télémédecine
La télémédecine a grandement amélioré notre accès aux services de santé. Au lieu de passer des heures à poireauter dans la salle d’attente d’une clinique, on a la possibilité de discuter avec son médecin dans un court appel vidéo, ce qui fait en sorte qu’on se questionne moins longtemps avant de consulter. Malheureusement, Ottawa semble déterminé à couper les ailes de ces initiatives naissantes.
Dans une lettre envoyée aux ministres de la Santé des 13 provinces et territoires, le gouvernement fédéral indique qu’ils ont jusqu’en 2026 pour couvrir l’ensemble des frais associés à la télémédecine ou mettre fin à la pratique.
Le premier problème que cela pose concerne l’utilisation des ressources. Ce n’est un secret pour personne : le système de santé coûte très cher. Cette année seulement, le gouvernement du Québec s’attend à y dépenser 62 milliards de dollars. Cela représente cinq milliards de dollars de plus que ce que le gouvernement s’attend à récolter en impôt sur le revenu des particuliers et des entreprises. C’est aussi presque 50 % plus qu’à l’arrivée en poste du premier ministre François Legault.
Malgré ces dépenses colossales, notre système de santé peine à répondre aux besoins des Québécois et Québécoises. Lorsqu’on a besoin d’une intervention chirurgicale, il faut attendre des mois. L’an dernier, plus d’un patient sur dix s’étant présenté dans les urgences de la province est parti avant d’être traité — dont une proportion inquiétante de cas jugés urgents ou pires. Et il y a toujours 2,3 millions d’entre nous qui n’ont pas de médecin de famille.
Le gouvernement a déjà suffisamment de feux à éteindre dans le système de santé sans qu’Ottawa vienne lui imposer la prise en charge des factures de télémédecine. Cela viendrait ajouter un domaine de plus dans le choix d’attribution de nos ressources limitées en santé.
Le gouvernement Legault le reconnaît d’ailleurs. Questionnée à ce sujet, une porte-parole du ministre de la Santé Christian Dubé affirmait que « les changements envisagés par le gouvernement fédéral auraient un impact négatif sur l’accès aux soins pour des centaines de milliers de Québécois ».
Cela vient notamment du fait que chaque patient qui passe par un service de télémédecine est un patient de moins dont notre système de santé doit s’occuper. Une étude de l’Université McMaster publiée en décembre dernier confirme que le recours accru à ces services au cours de la pandémie a permis de réduire la pression sur les cliniques et urgences du pays.
Il importe de le reconnaître, la télémédecine est l’un des rares aspects de notre système de santé qui fonctionne bien.
La télémédecine permet à plus de 10 millions de Canadiens et Canadiennes inscrits à un tel programme, dans le cadre de leur assurance maladie, de mettre fin à ce calcul que nous avons tous déjà fait entre le choix d’aller consulter pour un mal ou d’éviter de perdre une journée de travail pour la passer dans la salle d’attente d’une clinique.
Ce choix entre consulter ou éviter de perdre une journée demeure une réalité trop commune pour les patients au pays. Nombreux sont les patients canadiens ayant déjà renoncé à l’idée d’aller voir leur médecin en raison de l’attente excessive dans les cliniques sans rendez-vous. En quelque sorte, ce que ces gens admettent est qu’ils ont préféré continuer à souffrir d’un mal et espérer qu’il passerait de lui-même, plutôt que d’avoir à passer quatre, cinq ou six heures dans la salle d’attente d’un médecin.
Avec la télémédecine, ce qui représentait autrefois la perte d’une grande partie d’une journée est devenu l’affaire de quelques minutes. C’est d’ailleurs l’un des principaux arguments de vente utilisés par les fournisseurs de ces services lorsque vient le temps de convaincre les employeurs de le fournir à leurs employés. L’un des plus grands fournisseurs estime que les patients passant par sa plateforme épargnent en moyenne un peu plus de quatre heures de congé de maladie pour chaque consultation.
Il n’est donc pas étonnant que l’expansion des services de télémédecine soit bien vue par les Canadiens et Canadiennes, obtenant l’appui de 79 % d’entre nous d’après un récent sondage Ipsos mené pour le compte de Global News.
Malheureusement, en imposant que les provinces couvrent ces faits, Ottawa met à risque ces avancées. Au lieu de tenter de venir imposer sa vision dans l’un des rares aspects efficaces de notre système de santé, le gouvernement fédéral devrait laisser la télémédecine tranquille.
Daniel Dufort est président et directeur général de l’IEDM. Il signe ce texte à titre personnel.