Nous devons revenir aux principes fondamentaux dans le débat sur les tarifs douaniers

Imaginez la scène suivante : vous êtes assis à la table d’un bon restaurant en compagnie d’une autre personne. Pour quelque raison que ce soit, vous vous lancez dans une discussion houleuse et amère. Le ton monte. À un moment donné, votre compagnon fouille dans un sac et en sort un marteau. Il entreprend alors de se frapper violemment le front avec ce marteau, au point de saigner abondamment. Sa blessure est profonde et visible au-dessus de l’œil gauche.
Sans savoir exactement comment vous réagiriez dans une telle situation, je doute fort que vous lui arrachiez le marteau des mains pour vous frapper encore plus fort au visage en guise de « mesure de représailles » aux gestes que votre interlocuteur vient de s’infliger à lui-même. Cela suppose que vous soyez un tant soit peu sain d’esprit.
Eh bien, il serait tout aussi inefficace et malavisé pour les gouvernements canadiens de riposter à d’éventuels tarifs douaniers imposés par l’administration Trump en instaurant leurs propres tarifs douaniers ou barrières tarifaires sur les exportations américaines que de se frapper soi-même au visage avec ce marteau. Cela ne constituerait pas une « démonstration de force », mais plutôt une démonstration de stupidité lamentable et d’analphabétisme économique.
Cela s’explique par le fait que le commerce est toujours bénéfique lorsqu’il est volontaire. Certes, les Alliés de la Seconde Guerre mondiale auraient sans doute eu tort de vendre les résultats de leurs recherches sur la bombe atomique au régime nazi, même moyennant une somme d’argent très importante. Mais mis à part ces scénarios extrêmes et hypothétiques, le libre-échange est une bonne chose en soi. Et ce, même si le pays exportateur de biens et de services n’offre pas la même réciprocité en matière d’importation de biens provenant de votre pays.
Ainsi, un principe fondamental qu’il faut absolument garder à l’esprit en cette période de turbulences à venir est le suivant : à l’exception des marchés publics, ou de la vente de produits par une entreprise publique (comme Hydro-Québec, par exemple), les « pays » ou les « gouvernements » ne commercent pas réellement entre eux; ce sont les entreprises et les individus qui le font.
Par exemple, lorsque j’achète, en tant que Canadien vivant en Alberta, des dosettes de sel à Rhino Systems, une entreprise américaine basée en Ohio, pour le traitement de ma congestion nasale chronique, le commerce se fait entre nous, et non entre le « Canada » et les « États-Unis ». Tout ce qui importe ici, c’est que je suis prêt à acheter leurs produits et qu’ils sont désireux de me les vendre et de me les expédier à un prix convenu d’un commun accord. Cette transaction volontaire peut créer un « déficit commercial » en faveur des États-Unis, mais ce qu’il faut retenir, c’est que je profite des produits de Rhino Systems et qu’ils profitent de mon argent. Nous sommes quittes.
Il serait tout aussi inefficace et malavisé pour les gouvernements canadiens de riposter à d’éventuels tarifs douaniers imposés par l’administration Trump en instaurant leurs propres tarifs douaniers ou barrières tarifaires sur les exportations américaines que de se frapper soi-même au visage avec un marteau.
La raison pour laquelle le commerce est économiquement efficace est sous-entendue dans mes propos. Si deux individus ou deux sociétés échangent sans coercition ni fraude, c’est parce que chaque partie pense qu’elle en tirera un avantage par rapport à une absence de transaction. Si ce n’était pas le cas, l’une des parties refuserait de participer à la transaction. N’oubliez pas que seuls les individus ou les entreprises commercent. (Il convient de noter que les entreprises sont toujours des intermédiaires au service des consommateurs, car tout ce qu’elles vendent sert en fin de compte à produire quelque chose que certains consommateurs désirent.)
Le commerce est l’essence même de la vie économique, peu importe qu’il soit pratiqué d’une rue à l’autre ou d’une ville à l’autre, ou encore entre deux provinces ou deux pays.
Le commerce est moral dans la mesure où il témoigne de l’égalité de liberté entre les deux participants. À vrai dire, si une instance politique interdit à un individu de commercer selon ses propres conditions, c’est que ce dernier ne vit pas dans un pays véritablement libre.
Enfin, il est urgent de faire en sorte que le président Trump puisse bénéficier d’une formation économique de base. Je propose que cette éventuelle enseignante soit une jeune femme extrêmement attirante, afin de susciter et de maintenir un niveau d’attention adéquat de sa part.
En effet, dans son récent discours prononcé à la conférence de Davos, M. Trump a multiplié les déclarations qui démontrent qu’il ne comprend absolument rien au principe fondamental des avantages comparatifs. Par exemple, il a déclaré dans ce discours que les États-Unis n’avaient pas besoin de bois d’œuvre canadien parce qu’ils avaient déjà leur propre bois d’œuvre. Cette affirmation ne tient aucunement compte du fait que si les consommateurs américains achètent fréquemment du bois d’œuvre canadien plutôt que celui offert par les producteurs américains, c’est parce qu’il est disponible à un meilleur prix ou qu’il est de meilleure qualité. Autrement, ils ne l’achèteraient tout simplement pas.
Même si les producteurs américains étaient capables de produire tout ce que les producteurs canadiens sont capables de produire, et même s’ils étaient meilleurs que les producteurs canadiens dans tous les domaines de production (ce qui n’est évidemment pas le cas), il serait logique que les producteurs américains se spécialisent dans ce qu’ils font particulièrement bien, du fait de ce principe central qu’est l’avantage comparatif. L’économiste britannique David Ricardo l’a expliqué de la manière la plus éloquente il y a 208 ans.
Les débats commerciaux prennent souvent des tournures complexes et sont assortis d’une avalanche de statistiques. Or, ce serait une grave erreur de négliger pour autant les concepts clés et les principes fondamentaux en amont de ces débats. Faute de quoi nous ne pourrons tout simplement pas adopter la bonne approche.
Michel Kelly-Gagnon est président-fondateur de l’IEDM. Il signe ce texte à titre personnel.