L’expropriation à rabais: la pratique dont le ministère ne vous parlera pas
L’expropriation fait partie des actions les plus intrusives de l’État.
Forcer la dépossession d’un individu, même en échange d’une indemnité financière intéressante, devrait être une procédure exceptionnelle utilisée en dernier recours seulement. Malheureusement, avec le projet de loi 22, Québec s’apprête à rendre le processus plus simple pour les municipalités et les organismes gouvernementaux, et ce, aux dépens de ceux et celles qui en seront les cibles, des gens comme Marie Brière et Jean-Paul Deslauriers, deux septuagénaires qui ont reçu un avis d’expropriation de la ville de Mirabel l’an dernier. La ville souhaite démolir le duplex familial pour modifier l’alignement d’une rue.
Pour la ville, le duplex n’est rien de plus qu’un obstacle à aplanir afin de faire passer un ruban de bitume. Pour les aînés, cependant, le duplex est le chez-soi où ils ont fait leur vie – Mme Brière y est même née – et le lieu où leurs filles ont grandi.
C’est là le côté de l’expropriation que le gouvernement omet de mentionner lorsqu’il parle du projet de loi 22. Il se plaît d’ailleurs à parler des entités gouvernementales qui ont l’expropriation dans leur boîte à outils – le ministère des Transports, Hydro-Québec ou les grandes villes, par exemple –, plutôt de la façon dont l’expropriation affecte les Québécois contraints de céder leurs propriétés à l’État au nom de «l’utilité publique».
Règlement à l’amiable
Les municipalités aiment rétorquer que ceux qui bloquent leurs projets en refusant de leur vendre leur propriété sont des spéculateurs qui cherchent à faire un coup d’argent en bloquant l’intérêt collectif.
Pourtant, loin de demander le million, les deux aînés réclamaient simplement assez pour se racheter quelque chose de similaire. Selon la Ville de Mirabel, leur duplex valait 269 000$ en 2022. Les annonces pour de telles propriétés tournaient plutôt autour de 400 000$. S’il y avait une partie avare dans le dossier, cela ne semblait pas être la famille Brière-Deslauriers!
La bonne nouvelle, c’est que Mme Brière et M. Deslauriers s’en sont tirés avec un règlement à l’amiable. Si l’histoire ne dit pas ce à quoi ils ont eu droit, on peut espérer qu’ils ont eu une indemnité plus raisonnable que celle de 269 000$ estimée par la Ville.
La mauvaise nouvelle, c’est qu’ils ne sont pas les seuls, et que si le projet de loi 22 passe, il risque d’y avoir davantage de personnes dans la même situation.
Modification de la méthode de calcul
Selon les scénarios étudiés par Québec, la modification de la méthode de calcul des indemnités ferait en sorte qu’un propriétaire résidentiel visé par une procédure d’expropriation recevrait 7,4% moins d’argent en compensation pour la dépossession de sa propriété que ce qu’il recevrait sous la législation actuelle.
Non seulement les Québécois ciblés par une procédure d’expropriation recevront moins, mais on peut aussi entrevoir que la réduction des coûts et des délais risque d’accroître le recours à cette procédure par les divers organismes gouvernementaux. Après tout, le faire ne coûtera plus aussi cher qu’avant.
Déjà, de l’aveu même de Geneviève Guilbault, ministre des Transports et élue responsable de piloter cette réforme, ce sont environ 1000 citoyens ou entreprises du Québec qui se font exproprier chaque année, notamment par son ministère.
Bien que la ministre se félicite du dépôt de ce projet de loi qui cautionne l’expropriation au rabais, rappelons que ce sont des Québécois qui en feront les frais. Il nous semble que c’est l’intérêt de ces derniers qui devrait primer sur celui des élus municipaux.
Gabriel Giguère est analyste en politiques publiques à l’IEDM. Il signe ce texte à titre personnel.