L’évolution des effectifs infirmiers au Canada

Note économique examinant la proportion grandissante de jeunes infirmières quittant le marché du travail au cours de la dernière décennie dans l’ensemble du Canada, et proposant des pistes de solution
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Cette Note économique a été préparée par Emmanuelle B. Faubert, économiste à l’IEDM, en collaboration avec Olivia Martiskainen, stagiaire en recherche à l’IEDM. La Collection Santé de l’IEDM vise à examiner dans quelle mesure la liberté de choix et l’entrepreneuriat permettent d’améliorer la qualité et l’efficacité des services de santé pour tous les patients.
Les infirmières et infirmiers sont un pilier du système de santé canadien, œuvrant dans les hôpitaux, les cliniques de soins primaires et les établissements de soins de longue durée. Ils forment le plus grand groupe de professionnels de la santé réglementés au pays, comptant plus de 450 000 membres(1). Avec la croissance et le vieillissement de la population canadienne, la demande de soins de santé augmente, ce qui exerce une pression accrue sur la profession infirmière. En effet, une pénurie généralisée sévit dans l’ensemble du pays. Au cours des dix dernières années, le nombre de postes à pourvoir et la proportion de ces postes offerts à temps plein ont augmenté(2).
L’IEDM s’est penché sur les effectifs infirmiers en 2023 et 2024. Cette année, nous approfondissons notre analyse en examinant les données les plus récentes de l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS). Des progrès ont-ils été réalisés en matière de recrutement et de rétention des jeunes infirmières? Quelles leçons peut-on tirer des différentes initiatives provinciales visant à maintenir en poste ces professionnelles essentielles?
Une situation qui s’aggrave
L’ICIS recueille des données sur les demandes de permis d’exercice déposées auprès des organismes provinciaux et territoriaux de réglementation du personnel infirmier(3). Grâce à ces données, il est possible de suivre le nombre total d’infirmières qui sont autorisées à exercer, qu’elles soient en emploi ou non(4).
L’indicateur retenu dans cette publication mesure le ratio entre les sorties et les entrées annuelles dans la profession chez les moins de 35 ans(5). Une hausse de ce ratio d’une année à l’autre indique qu’un nombre relativement plus important d’infirmières quittent la profession par rapport au nombre d’infirmières qui l’intègrent. À l’inverse, une baisse de ce ratio signifie qu’une proportion moindre de jeunes infirmières abandonnent la pratique de la profession.
En 2023, selon les plus récentes données publiées en juillet dernier, pour chaque tranche de 100 infirmières de moins de 35 ans qui se sont inscrites pour exercer, 40 n’ont pas renouvelé(6) (voir la Figure 1). À titre de comparaison, en 2014, pour chaque centaine d’infirmières de la même tranche d’âge qui rejoignaient l’effectif infirmier au Canada, seules 36 l’abandonnaient(7). Cette proportion grandissante de jeunes professionnels qui quittent le métier témoigne d’une détérioration de la rétention des effectifs infirmiers à l’échelle du pays.

Parallèlement, l’âge moyen des infirmières autorisées à exercer au Canada est en baisse. En 2014, 27,7 % d’entre elles avaient moins de 35 ans(8); en 2023, cette proportion atteignait près de 31 %(9). Une plus grande part d’infirmières canadiennes se trouve donc aujourd’hui dans une tranche d’âge où le taux de roulement est supérieur à la moyenne de la profession(10).
Le nombre de postes d’infirmières à pourvoir au Canada a lui aussi bondi au cours des dernières années, passant de 13 178 en 2018 à 41 716 en 2023(11). Dans un marché concurrentiel, une telle pénurie de travailleurs tendrait à créer une situation favorable aux employés, les employeurs se faisant concurrence pour les attirer, ce qui se traduirait par des salaires plus élevés et de meilleures conditions de travail. Une telle dynamique contribuerait généralement à atténuer le problème de rétention et à attirer davantage de travailleurs vers la profession infirmière.
Au cours des dix dernières années, le nombre de postes à pourvoir et la proportion de ces postes offerts à temps plein ont augmenté.
Or, dans le contexte actuel, où la plupart des infirmières sont employées par le secteur public, largement microgéré par le gouvernement, ces mécanismes de marché ne peuvent jouer pleinement leur rôle. Par conséquent, malgré la forte pression exercée par les pénuries, le marché n’est pas autorisé à se corriger, et la situation ne s’améliore pas. En fait, dans la plupart des provinces, elle se détériore.
Les meilleures et les pires
En 2023, la province affichant le plus faible ratio de jeunes infirmières quittant le marché du travail par rapport à celles qui l’intègrent est la Colombie-Britannique (voir le Tableau 1). Cette province est également celle qui s’est le plus améliorée au cours des dix dernières années, enregistrant une diminution de 50 % du ratio sorties/entrées chez les jeunes infirmières(12). Cela s’explique principalement par la hausse soutenue du nombre d’entrées dans la profession pour l’ensemble des titres professionnels infirmiers, particulièrement chez les infirmières praticiennes et les infirmières auxiliaires autorisées. On observe également une légère baisse du nombre de départs parmi les infirmières autorisées, les infirmières psychiatriques autorisées et les infirmières praticiennes.

À partir de 2022, le BC College of Nurses and Midwives a instauré un processus d’évaluation à trois volets pour les infirmières formées à l’étranger, leur permettant de soumettre une seule demande de permis d’exercice pour trois titres professionnels infirmiers : infirmière autorisée, infirmière auxiliaire autorisée et aide en soins de santé(13). Cette approche réduit les coûts et les délais liés à l’obtention d’un titre professionnel infirmier et évite aux candidates de devoir reprendre le processus complet en cas de refus. Le gouvernement provincial a également lancé le service BC Health Careers, qui offre des services de recrutement et d’accompagnement aux professionnels de la santé formés à l’étranger, notamment un soutien personnalisé pour s’orienter dans les démarches liées à l’obtention du permis d’exercice, à la recherche d’emploi et à leur établissement dans la province(14).
Selon les données de l’ICIS, en 2023, environ 93 % des infirmières formées en Colombie-Britannique détenaient un permis d’exercice dans cette province, de sorte que celle-ci récolte les fruits de ses investissements en matière de formation(15). La Colombie-Britannique parvient également à recruter et à retenir des infirmières provenant de partout au pays. En 2023, alors que 3108 infirmières britanno-colombiennes étaient inscrites pour exercer ailleurs au Canada, 9249 diplômées d’une autre province détenaient un permis d’exercice en Colombie-Britannique.
En 2023, pour chaque tranche de 100 infirmières de moins de 35 ans qui se sont inscrites pour exercer, 40 ont quitté.
Le Québec est la seule autre province à afficher une amélioration du ratio sorties/entrées depuis 2014. En 2023, pour chaque centaine d’infirmières de moins de 35 ans ayant intégré la profession, 37 l’ont quittée(16), comparativement à 40 sorties pour 100 entrées en 2014(17). Cette légère amélioration peut s’expliquer en partie par les efforts du gouvernement québécois pour attirer des infirmières formées à l’étranger. En effet, un accord de reconnaissance mutuelle a été conclu avec la France afin d’accélérer le processus d’obtention du permis d’exercice pour les infirmières formées et autorisées à exercer en France, et qui y ont travaillé(18).
Cependant, des améliorations demeurent nécessaires. Pour les infirmières provenant de pays autre que la France, venir travailler au Québec reste un processus complexe, durant lequel elles sont entièrement responsables de se trouver un établissement prêt à les embaucher dans le cadre de leur programme d’intégration professionnelle(19). De plus, un rapport publié en novembre 2024 a révélé que le programme québécois de recrutement d’infirmières étrangères était confronté à des problèmes majeurs, notamment que les infirmières candidates n’étaient pas correctement informées de la durée et des coûts du programme de formation, et qu’elles subissaient un stress important(20).
La province affichant le ratio le plus élevé de jeunes infirmières sortant du marché du travail par rapport à celles qui l’intègrent en 2023 est Terre-Neuve-et-Labrador. Elle a également enregistré la deuxième plus forte hausse de ce ratio au cours des dix dernières années, devancée seulement par le Manitoba. Dans ces deux provinces, la quasi-totalité de cette hausse s’explique par d’importants pics de départs en 2023 (voir l’Annexe pour plus de détails).
À Terre-Neuve-et-Labrador, l’expiration de nombreux contrats à court terme conclus avec des infirmières venues prêter main-forte depuis d’autres provinces pendant la pandémie de COVID-19 pourrait avoir contribué à cette hausse des départs. Par exemple, en 2022, dans deux régions de la province, Canadian Health Labs fournissait au moins 74 infirmières autorisées(21). Ces contrats d’un an ont probablement contribué à la hausse des départs enregistrée en 2023.
Causes et pistes de solution
Pourquoi les infirmières quittent-elles la profession? L’édition 2025 de l’enquête annuelle de la Fédération canadienne des syndicats d’infirmières et d’infirmiers(22) peut nous aider à faire la lumière sur les causes probables :
- Heures supplémentaires : plus d’un tiers des répondants ont effectué des heures supplémentaires involontaires au cours des six derniers mois.
- Conditions de travail problématiques : 59 % des répondants ont été victimes d’une forme de violence ou d’agression dans le cadre de leur travail au cours de la dernière année.
- Stress élevé : environ 25 % des infirmières présentent des symptômes suffisamment graves pour correspondre à un diagnostic d’anxiété, de dépression ou d’épuisement professionnel, selon les critères médicaux.
Ainsi, 20 % de l’ensemble du personnel infirmier envisageaient de quitter leur emploi actuel, et 10 % songeaient même à abandonner complètement la profession. Ces résultats concordent avec les données de l’ICIS, selon lesquelles 6,4 % de la main-d’œuvre infirmière de 2023 ne s’est pas réinscrite pour exercer en 2024(23).
Une piste de solution à ces problèmes serait d’accorder davantage de flexibilité aux infirmières, en leur permettant de travailler pour des agences, des cliniques privées ou des entreprises de télémédecine. Cela leur offrirait plus de contrôle sur leurs horaires et favoriserait un meilleur équilibre entre leur travail et leur vie personnelle. Les provinces devraient s’inspirer des systèmes d’échange en place en Colombie-Britannique, qui permettent aux infirmières d’échanger leurs quarts de travail sans approbation de la part des administrateurs.
Dans le contexte actuel, où la plupart des infirmières sont employées par le secteur public, largement microgéré par le gouvernement, le marché n’est pas autorisé à se corriger, et la situation ne s’améliore pas.
Les conventions collectives devraient être renégociées de manière à récompenser les compétences et la performance plutôt que l’ancienneté. Les hôpitaux devraient également mettre en place des programmes d’aide à la transition, à l’image de celui du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), pour permettre aux infirmières de mieux s’intégrer dans de nouveaux lieux de travail(24). Enfin, il serait possible de tirer parti de l’intelligence artificielle pour alléger la charge administrative du personnel infirmier en automatisant certaines tâches.
Le nombre d’infirmières canadiennes de moins de 35 ans qui cessent de pratiquer la profession chaque année augmente par rapport au nombre de celles qui l’intègrent. Si certaines provinces ont enregistré des progrès, notamment au cours des dernières années, la tendance négative observée depuis une décennie persiste dans la plupart des cas. Les infirmières continuent de subir des conditions de travail très difficiles qui les poussent à démissionner en grand nombre, au détriment de la qualité des soins de santé au Canada. Alors que la demande de soins de santé ne cesse d’augmenter, la perte d’un nombre croissant d’infirmières qualifiées chaque année n’est tout simplement pas viable à long terme.
Références
- Données de 2023. Institut canadien d’information sur la santé, Accéder aux données et aux rapports, Rapports et diffusions, Équilibrer les besoins des Canadiens avec notre main-d’œuvre de la santé, consultée le 14 août 2025.
- Statistique Canada, Tableau 14-10-0443-01 : Postes vacants, proportion des postes vacants et moyenne du salaire horaire offert selon certaines caractéristiques, données trimestrielles non désaisonnalisées, 2025.
- Institut canadien d’information sur la santé, Le personnel infirmier au Canada, 2024 – notes méthodologiques, 2025, p. 7.
- L’ICIS exclut les inscriptions secondaires, sauf lorsque l’une d’entre elles concerne un territoire. Le nombre d’inscriptions à des fins d’exercice correspond au nombre d’infirmières publié par l’ICIS.
- Basé sur les données déclarées par l’ICIS, comprenant uniquement les infirmières de moins de 35 ans, en utilisant le calcul suivant : sorties année x / entrées année x. Les sorties en 2023 correspondent au nombre d’infirmières réglementées qui étaient inscrites en 2023 et qui ne se sont pas inscrites en 2024. Les entrées en 2023 correspondent au nombre d’infirmières réglementées qui n’étaient pas inscrites en 2022 et qui se sont inscrites en 2023.
- Calculs de l’auteure. Institut canadien d’information sur la santé, Sujets, Main-d’œuvre de la santé, Tableaux de données, Le personnel infirmier au Canada, 2024 – tableaux de données, consultée le 24 juillet 2025.
- Calculs de l’auteure. Institut canadien d’information sur la santé, Sujets, Main-d’œuvre de la santé, Tableaux de données, Le personnel infirmier au Canada, 2023 – tableaux de données, consultée le 21 juillet 2025.
- Calculs de l’auteure. Idem.
- Calculs de l’auteure. Institut canadien d’information sur la santé, op. cit., note 6.
- Idem. Calculs de l’auteure. Alors que les infirmières canadiennes affichaient un taux de roulement global (sorties en pourcentage des effectifs) de 6,4 % en 2023, le taux de roulement était de 7,1 % chez les infirmières âgées de moins de 35 ans.
- Calculs de l’auteure. Statistique Canada, op. cit., note 2.
- Calcul de l’auteure.
- British Columbia College of Nurses & Midwives, About the College, Announcements, « New strategies streamline path to registration for internationally educated nurses in B.C. », 19 avril 2022.
- BCHealthCareers, Find your pathway, consultée le 7 août 2025.
- Institut canadien d’information sur la santé, op. cit., note 6.
- Calculs de l’auteure. Idem.
- Calculs de l’auteure. Institut canadien d’information sur la santé, op. cit., note 7.
- Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, Accéder à la profession infirmière au Québec, Exercer au Québec, Infirmier ou infirmière de la France, consultée le 11 août 2025.
- Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, Accéder à la profession infirmière au Québec, Exercer au Québec, Infirmière diplômée ou infirmier diplômé hors Canada, consultée le 11 août 2025.
- Maura Forrest, « Foreign nurses recruitment program in Quebec plagued by major flaws, internal report reveals », CBC News, 25 mars 2025.
Calculs de l’auteure. Institut canadien d’information sur la santé, op. cit., note 6; Government of Newfoundland and Labrador, Justice and the Law, General, - Access to Information (ATIPP), Completed Access Requests, Request Number HCS/149/2023, consultée le 28 juillet 2025.
- Viewpoints Research, CFNU National Nurses Survey, La fédération canadienne des syndicats d’infirmières et d’infirmiers, mars 2025, p. 10, 19, 24 et 35.
- Parmi les infirmières qui envisagent de partir, seule une partie le font réellement. Calculs de l’auteure. Institut canadien d’information sur la santé, op. cit., note 6.
- Jennifer Pierre et Sophie Alaurent, « Comment un hôpital de Montréal a soutenu les nouveaux membres du personnel infirmier et les recrues pendant les mois d’été critiques », Infirmière canadienne, 7 juillet 2025.


