fbpx

Publications

Les taux d’intérêt vont-ils faire exploser le service de la dette?

Point proposant le devancement d’un retour à l’équilibre budgétaire pour éviter que l’augmentation des taux d’intérêt coûte trop cher au gouvernement provincial et ultimement aux contribuables québécois

La hausse des taux d’intérêt mènerait à une augmentation rapide des paiements sur la dette du Québec, selon cette étude de l’IEDM. L’Institut calcule qu’une augmentation de 0,76 points de pourcentage du taux effectif sur les nouveaux emprunts du gouvernement du Québec se solderait en une hausse des frais d’intérêt sur la dette de 1,56 milliard de dollars en 2027.

En lien avec cette publication

Entrevue avec Renaud Brossard (Mario Dumont, QUB Radio, 16 mars 2023)

 

Ce Point a été préparé par Valentin Petkantchin, vice-président, Recherche à l’IEDM, et Renaud Brossard, directeur principal, Communications à l’IEDM. La Collection Fiscalité de l’IEDM vise à mettre en lumière les politiques fiscales des gouvernements et à analyser leurs effets sur la croissance économique et le niveau de vie des citoyens.

Les taux d’intérêt sont restés à un niveau historiquement bas pendant des années, ce qui a permis de maintenir un coût de la dette gouvernementale relativement faible. Les gouvernements successifs au Québec en ont profité pour emprunter plutôt que de suivre les conseils prudents de groupes tels que l’IEDM. Déjà en 2013, nous le mettions en effet en garde contre le risque d’augmentation des taux d’intérêt et, en conséquence directe, du service de la dette(1). La hausse des taux d’intérêt l’année dernière a ainsi « coûté » 1,68 milliard de dollars de plus que prévu aux contribuables québécois(2).

Plus que jamais, la prudence est de mise, puisque les taux d’intérêt élevés pourraient entraîner d’autres augmentations et faire déraper le budget annuel consacré au service de la dette de plusieurs milliards de dollars.

Taux d’intérêt en hausse sur la dette émise en 2022

Il faut savoir que c’est seulement une partie de la dette de l’État qui arrive à échéance chaque année. Pour payer cette tranche de la dette arrivant à échéance, le gouvernement du Québec contracte généralement une nouvelle dette équivalente, qui est alors émise sur les marchés financiers. Outre les besoins de refinancement, le gouvernement contracte de nouveaux emprunts pour répondre à ses besoins financiers, notamment pour combler le déficit budgétaire ou encore pour financer les projets d’immobilisations.

Lorsque les taux d’intérêt montent sur les marchés financiers, le gouvernement emprunte, lui aussi, à des taux plus élevés(3).

C’est ce qui s’est produit l’année dernière. Le taux d’intérêt effectif des nouveaux emprunts réalisés avant la plus récente mise à jour économique et budgétaire d’automne 2022 a ainsi été de 3,80 % – un taux qui demeure historiquement bas mais qui est en hausse de 24,18 % en comparaison avec le taux effectif sur l’ensemble de la dette, à 3,06 %(4) (voir la Figure 1).

Il est important de noter que cette hausse ne semble pas être terminée. Lors de cette mise à jour, le ministère des Finances notait ainsi que le rendement des obligations à long terme (10 ans) émises par le gouvernement du Québec atteignait 4,1 %(5).

Or, le taux effectif de la fin de 2022 et du début de 2023 risque d’être encore plus élevé étant donné les dernières hausses des taux d’intérêt annoncées par la Banque du Canada(6). En effet, celle-ci a procédé à deux nouvelles hausses de son taux directeur, en décembre de l’année dernière (+0,5 point) et en janvier de cette année (+0,25 point), le portant de 3,75 % à 4,50 %. De nouvelles hausses pourraient être décidées prochainement, notamment si le taux d’inflation persiste à des niveaux élevés(7).

Quel serait le surcoût de ces dernières hausses pour le service de la dette? Quelles seraient également les répercussions sur les finances publiques si jamais le taux effectif remontait à 6,00 %, soit un niveau comparable à celui de la première moitié des années 2000?

Des surcoûts potentiels de plusieurs milliards de dollars

Les deux scénarios suivants permettent d’illustrer l’ampleur de l’impact des taux d’intérêt élevés sur le service de la dette (voir la Figure 2).

Les calculs dans les deux scénarios reposent sur l’estimation de la mise à jour budgétaire d’automne, selon laquelle « [u]ne hausse plus importante que prévu des taux d’intérêt de 1 point de pourcentage sur une pleine année entraînerait une augmentation de la dépense d’intérêts de […](8) » :

  • 1re année : 597 millions de dollars
  • 2e année : 1,03 milliard de dollars
  • 3e année : 1,42 milliard de dollars
  • 4e année : 1,74 milliard de dollars
  • 5e année : 2,05 milliards de dollars

Scénario 1 : Hausse du taux effectif de la nouvelle dette reflétant les hausses de la Banque du Canada intervenues après la mise à jour budgétaire d’automne 2022

Ce premier scénario estime les répercussions d’une hausse du taux d’intérêt effectif de 20 %, soit la proportion de la hausse de la Banque du Canada, qui a porté son taux directeur de 3,75 % au moment de la mise à jour à 4,50 % au début de 2023. Le taux effectif sur la nouvelle dette passerait ainsi de 3,80 % à 4,56 %, soit 0,76 point de pourcentage.

Ce nouveau taux plus élevé entraînerait un surcoût en matière de dépenses d’intérêt de 1,56 milliard de dollars en 2027. Au total, le surcoût représenterait près de 4,93 milliards de dollars de plus d’ici à 2027(9).

Scénario 2 : Retour du taux effectif à 6,00 %

Ce deuxième scénario correspond à un retour du taux moyen à 6,00 %, niveau de la première moitié des années 2000 (taux simulé aussi dans la publication de l’IEDM de 2013). L’augmentation du taux effectif serait dans ce cas de 2,20 points de pourcentage (soit 6,00 % moins 3,80 %).

Dans un tel scénario, le surcoût des dépenses d’intérêt représenterait 4,51 milliards de dollars en 2027. Au total, à l’horizon de la fin mars cette année-là, ce surcoût serait de 14,28 milliards de dollars.

Des surcoûts importants

Pour remettre ces chiffres en contexte, le gouvernement s’attend à retirer 49,89 milliards de dollars de revenus par l’impôt des particuliers en 2027(10). En divisant ce montant par les 6,85 millions de contribuables québécois(11), on obtient une facture d’impôt moyenne de 7 286,88 $ par contribuable en 2027.

Le scénario 1, où le service de la dette verrait un surcoût de 1,56 milliard de dollars en 2027, représenterait une augmentation des frais similaire à la totalité des impôts payés par 213 809 contribuables québécois moyens – soit un peu moins que le nombre d’habitants dans la ville de Longueuil(12).

Le scénario 2, où le service de la dette verrait un surcoût de 4,51 milliards de dollars en 2027, représenterait une augmentation des frais similaire à la totalité des impôts payés par 618 920 contribuables québécois moyens – soit environ 60 000 de plus que le nombre d’habitants de la ville de Québec(13).

Conclusion

L’augmentation des taux d’intérêt coûtera cher au gouvernement provincial et ultimement aux contribuables québécois.

À l’approche du dépôt du budget, il serait prudent que le ministère des Finances revoie ses projets de dépenses et devance le retour à l’équilibre budgétaire pour éviter que la situation n’empire. Considérant les milliards de dollars qui sont en jeu, le gouvernement du Québec doit faire preuve d’un peu de retenue.

Références

  1. Lenka Martinek, « Comment une hausse des taux d’intérêt influencerait-elle le service de la dette du Québec? », IEDM, Point, mars 2013, p. 1.
  2. En se basant sur les données précédant le 17 novembre 2022, le gouvernement a ainsi révisé à la hausse le service de la dette par rapport à son budget de mars 2022 de 1,681 milliard de dollars pour l’exercice budgétaire en cours. Ministère des Finances du Québec, Le point sur la situation économique et financière du Québec, décembre 2022, p. D.10.
  3. Le service de la dette inclut également la gestion de titres par le Fonds d’amortissement afférent à des emprunts du gouvernement et à d’autres produits financiers, notamment des produits dérivés, qui sont touchés par la variation des taux d’intérêt.
  4. Il s’agit du taux effectif des emprunts, appelé aussi taux moyen pondéré de la dette. Le taux moyen de 2022 reflète seulement 57 % du programme d’emprunts de 2022-2023 réalisés. Ministère des Finances du Québec, op. cit., note 2, p. E.21 et E.23.
  5. Ibid., p. E.29.
  6. Banque du Canada, Grandes fonctions, Politiques monétaires, Taux directeur, consulté le 28 février 2023.
  7. Joël-Denis Bellavance, « La Banque du Canada est ouverte à une nouvelle hausse du taux directeur », La Presse, 16 février 2023.
  8. Ministère des Finances du Québec, op. cit., note 2, p. E.9.
  9. Calculs des auteurs. Idem.
  10. Ibid., p. A.6.
  11. Ministère des Finances du Québec, Statistiques fiscales des particuliers 2019, Statistiques sommaires, Profil des contribuables, consulté le 28 février 2023.
  12. Institut de la statistique du Québec, Tableau : Estimation de la population des municipalités de 25 000 habitants et plus, Québec, 1er juillet 2001 à 2022, 2022.
  13. Idem.
Back to top