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Les gouvernements ne sont pas des promoteurs immobiliers: le cas néo-zélandais

Point montrant qu’au lieu de créer un nouvel organe bureaucratique, le gouvernement fédéral du Canada devrait encourager la construction de logements en réduisant la réglementation superflue et le fardeau fiscal

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Ottawa et la construction de logements: un échec en Nouvelle-Zélande (Le Soleil, 27 juin 2025)

Failed New Zealand scheme is cautionary tale for Carney’s homebuilding agency: report (National Post, 26 juin 2025)

Entrevue avec Renaud Brossard (Couture dans le mid, Radio X, 30 juin 2025)

Entrevue avec Renaud Brossard (Marc Boilard, QUB Radio, 2 juillet 2025)

 

Ce Point a été préparé par Gabriel Giguère, analyste senior en politiques publiques à l’IEDM, en collaboration avec Yassine Benabid, stagiaire en recherche à l’IEDM, et Renaud Brossard, vice-président, Communications à l’IEDM. La Collection Réglementation de l’IEDM vise à examiner les conséquences souvent imprévues pour les individus et les entreprises de diverses lois et dispositions réglementaires qui s’écartent de leurs objectifs déclarés.

Dans le cadre de la campagne électorale fédérale de 2025, l’idée de créer une société d’État pour agir comme promoteur immobilier a fait surface, avec la proposition initiale de Bâtir Maisons Canada, devenue Maisons Canada(1). Le nouveau gouvernement libéral souhaite ainsi jouer un rôle actif dans la construction de logements abordables au pays. Pourtant, cette fonction de promoteur immobilier a historiquement été réalisée par le secteur privé, et non par l’État. Le cas de la Nouvelle-Zélande illustre le manque d’efficience et d’expertise des pouvoirs publics dans la construction de logements, et la nécessité pour le nouveau gouvernement fédéral de renoncer à cette avenue au Canada.

L’expérience néo-zélandaise

Devant la hausse des prix des propriétés résidentielles, le gouvernement néo-zélandais a lancé en 2018 un programme – KiwiBuild – pour répondre à la demande des premiers acheteurs(2). Avec deux milliards de dollars néo-zélandais (environ 1,7 milliard de dollars canadiens) de capitaux initiaux, il avait pour objectif de construire 100 000 logements abordables en une décennie en permettant à l’État d’agir comme promoteur immobilier(3).

En 2024, les constructions cumulées de KiwiBuild ne représentaient toutefois qu’une part infime des logements construits dans le pays(4). Certains médias locaux ont indiqué qu’il aurait fallu 436 ans pour atteindre la cible initiale du programme au rythme de départ(5).

Il s’avère que du début du programme jusqu’à la fin 2024, seulement 2389 logements ont été construits(6), dont 177 durant sa dernière année complète d’activité, en 2024 (voir la Figure 1). En incluant les logements actuellement en construction, seulement 3071 logements auront été finalisés depuis le début du programme(7).

L’échec de cette tentative d’accroître le rôle de l’État dans la construction de logements est évident : en près de sept ans, le gouvernement de la Nouvelle-Zélande n’avait atteint qu’à peine 3 % de sa cible de dix ans. Il s’agit d’un exemple éloquent des limites de l’intervention de l’État dans ce secteur. En effet, une année seulement après l’adoption du programme, le gouvernement avait déjà renoncé à son objectif de construire 100 000 nouveaux logements abordables. L’échec de KiwiBuild a mené le gouvernement suivant à y mettre fin en octobre 2024(8).

Les causes de l’échec du programme KiwiBuild

Une cible déconnectée de la réalité

Tout d’abord, la cible des 100 000 nouvelles constructions semble avoir été choisie sans processus rigoureux, plutôt que sur la base d’une consultation approfondie des acteurs du secteur de la construction. Cela a donc compromis, dès le départ, l’atteinte des objectifs du programme : seulement 49 logements ont été construits au lieu des 1000 prévus en 2018, la première année du programme. L’écart entre les objectifs de KiwiBuild et le nombre de logements construits s’est aussi considérablement creusé par la suite.

L’illusion du préfabriqué

De plus, les logements proposés présentaient des prix peu compétitifs, compte tenu de leur qualité et du type de construction (préfabriqué). Cette tentative de substitution partielle des promoteur privés par une initiative publique s’est avérée inefficace, du fait que les prix fixés étaient nettement supérieurs au premier quartile du marché dans plusieurs quartiers à travers le pays. Cela a incité les premiers acheteurs à se tourner vers des options plus avantageuses proposées par le secteur privé(9).

Un projet inintéressant pour les banques

Enfin, malgré les objectifs du gouvernement néo-zélandais, les banques ont montré une réticence à financer les maisons préfabriquées du programme KiwiBuild. En effet, elles ont souvent refusé d’accorder des hypothèques(10), les maisons préfabriquées ne constituant pas une garantie suffisante tant que les modules ne sont pas installés sur le terrain, ce qui accroît le risque en cas de défaut de paiement(11).

Conclusion

L’expérience en Nouvelle-Zélande met en lumière les limites de l’intervention de l’État dans le développement immobilier, surtout en matière d’allocation des ressources. Contrairement aux promoteurs immobiliers, pour qui le marché du logement est au cœur de leur activité, l’État n’a pas la capacité de remplir un tel mandat, en raison de ses missions multiples et de ses contraintes budgétaires.

Le gouvernement Carney devrait tirer les leçons de cet échec, lui qui promet un rôle accru du gouvernement fédéral dans la construction de logements au Canada. Plutôt que de créer Maisons Canada, il devrait établir un cadre favorable à la construction de nouveaux logements, en réduisant la réglementation superflue et le fardeau fiscal. Un environnement réglementaire stable et prévisible permettrait aux promoteurs privés d’opérer efficacement pour construire les logements dont les Canadiens ont besoin, sans qu’un nouvel organe bureaucratique soit nécessaire.

Références

  1. Parti libéral du Canada, Un Canada Fort, Bâtir, 2025.
  2. Gouvernement de la Nouvelle-Zélande, « KiwiBuild Fact Sheet », mars 2018.
  3. Au taux de change du 2 juin 2025 à 83 cents canadiens par dollar néo-zélandais. Idem.
  4. Calculs des auteurs. New Zealand Ministry of Housing and Urban Development, Home, Stats and Insights, The Housing Dashboard, Home Building, consulté le 29 mai 2025.
  5. Ce rythme était de 19 maisons construites par mois, de 2018 jusqu’au premier mois de 2020. Thomas Coughlan, « KiwiBuild will take more than 400 years to reach original target », Stuff, 27 mai 2020.
  6. New Zealand Ministry of Housing and Urban Development, op. cit., note 4.
  7. Idem.
  8. Chris Bishop, « Turnaround plan to get Kāinga Ora back on track », Beehive.govt.nz, 4 février 2025.
  9. Le programme Maisons Canada se basant a priori sur un rôle accru du préfabriqué, il faut noter que les critères pour ces maisons au Canada ne sont pas identiques à ceux pour les maisons standards. REALTOR.ca, « Les maisons modulaires et préfabriquées peuvent-elles aider à régler la crise du logement au Canada? », Association canadienne de l’immobilier, 13 septembre 2024; Greg Ninness, « There is probably no need for a scheme such as KiwiBuild outside of Auckland, Greg Ninness argues, adding KiwiBuild may yet have its day albeit not in its existing form », Interest, 15 juin 2019; Parti libéral du Canada, « Les libéraux de Mark Carney dévoilent le plan de logement le plus ambitieux du Canada depuis la Seconde Guerre mondiale », communiqué de presse, 31 mars 2025.
  10. Thomas Coughlan, « How to make prefabs stack up », Newsroom, 25 juin 2018.
  11. Ariana Stuart et Joe Bergin, « Prefab growing pains », Building Magazine, juin-juillet 2018.
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