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Les effets pervers d’une hausse draconienne du salaire minimum

Point qui remet les pendules à l’heure au sujet des travailleurs au salaire minimum et les entreprises qui les emploient

À la suite de l’annonce de la hausse du salaire minimum de 13,50 $ à 14,25 $ l’heure par le ministre Jean Boulet, certains groupes communautaires et syndicats ont avancé qu’il s’agissait d’une occasion ratée de le faire passer à 18 $ l’heure. Les auteurs de cette publication arrivent à la conclusion que même si une hausse à 18 $ l’heure peut sembler bénéfique pour les travailleurs à faible revenu, cette augmentation vertigineuse de 33 % aurait des conséquences négatives sur la santé financière de diverses entreprises des secteurs du commerce de détail, de la restauration et de l’hébergement. Ils soutiennent même que plusieurs travailleurs de ces secteurs pourraient perdre leur emploi.

En lien avec cette publication

Hausse du salaire minimum: une politique efficace? (Le Soleil, 18 janvier 2022)

Salaire minimum: l’IEDM avertit contre les effets pervers d’une hausse excessive (Le Journal de Montréal, 18 janvier 2022)

Hausse excessive du salaire minimum: « Prioriser l’éducation et la formation au lieu de la facilité », selon l’IEDM (Vingt55, 18 janvier 2022)

Groups call for higher increase to Quebec’s minimum wage (HR Reporter, 19 janvier 2022)

Minimum wage hike: An effective measure? (IEDM.ORG, 20 janvier 2022)

Quebec right to avoid significant minimum wage hike: MEI (The Suburban, 26 janvier 2022)

 

Ce Point a été préparé par Maria Lily Shaw, économiste à l’IEDM, et Gabriel Giguère, analyste en politiques publiques à l’IEDM. La Collection Fiscalité de l’IEDM vise à mettre en lumière les politiques fiscales des gouvernements et à analyser leurs effets sur la croissance économique et le niveau de vie des citoyens.

Le salaire minimum est de nouveau sur le devant de la scène, la dernière annonce étant qu’il passera de 13,50 $ à 14,25 $ de l’heure dès le 1er mai 2022. Cette hausse de 5,6 % est perçue comme étant une déception pour les syndicats et certains groupes militants(1) qui réclament plutôt une augmentation immédiate à 18 $/heure, soit un bond de 33 %. Une telle hausse peut sembler de prime abord très généreuse envers les travailleurs à faible revenu, mais elle ne devrait pas être prise sans en évaluer d’abord les coûts, autant pour ces travailleurs que pour les entreprises concernées qui les emploient.

Des entreprises fragiles

Pas moins de neuf petites et moyennes entreprises sur dix seraient directement touchées par cette hausse(2). En ce qui concerne les secteurs d’activités, c’est le commerce de détail qui emploie la part la plus importante des travailleurs au salaire minimum, soit 45 % d’entre eux. Le secteur de la restauration et de l’hébergement suit avec 23 %. Ces deux secteurs regroupent ainsi à eux seuls 68 % des travailleurs touchant le salaire minimum, soit plus de 182 000 employés(3).

On remarque également que ces secteurs sont parmi ceux ayant une marge bénéficiaire nette très faible(4). C’est-à-dire que ces entreprises ne génèrent qu’un mince surplus après avoir payé leurs impôts et avoir soustrait leurs dépenses administratives et opérationnelles telles que les coûts de matériel, de main-d’œuvre et de fabrication(5). Si l’on prend les stations-service et les restaurants à titre d’exemple, leur marge bénéficiaire se situe en dessous de 3 %(6). En d’autres mots, pour chaque tranche de 100 dollars de ventes, ces entreprises ne dégagent qu’un surplus net de 3 $ après avoir payé leurs employés et avoir réglé leurs autres dépenses.

Une hausse subite et importante du salaire minimum viendrait certainement mettre en péril la santé financière de certaines entreprises des secteurs du commerce de détail, des services de restauration et de l’hébergement, les plaçant ainsi dans une situation où elles devront se résoudre à réduire les dépenses en effectuant des mises à pied, en diminuant les heures travaillées ou en refilant la facture aux consommateurs. Par le fait même, une partie des quelque 182 000 travailleurs au salaire minimum œuvrant dans ces secteurs risqueraient de perdre leur emploi.

Qui sont les travailleurs au salaire minimum au Québec?

Selon une croyance largement répandue, le travailleur au salaire minimum typique au Québec est une mère de famille monoparentale. Ce portrait est toutefois loin de refléter la réalité.

S’il est vrai que les femmes représentaient une plus grande proportion des travailleurs au salaire minimum (58 %)(7) en 2019, ce ne sont pas nécessairement des mères de famille monoparentales. En effet, pas moins de 60,6 % des travailleurs au salaire minimum sont âgés entre 15 et 24 ans(8). Il s’agit donc majoritairement de jeunes qui sont statistiquement moins susceptibles d’avoir un enfant sous leur responsabilité(9) comparativement au groupe d’âge des 25 à 44 ans qui, eux, représentent 17,8 % des travailleurs au salaire minimum, soit quatre fois moins(10). Qui plus est, parmi les jeunes âgés de 15 à 24 ans, 74 % résident encore avec au moins un de leurs parents(11), une situation familiale que nous retrouvons typiquement chez les étudiants. D’autre part, 61,6 % des travailleurs au salaire minimum occupent un poste à temps partiel(12), soit une situation qui caractérise la majorité des étudiants ayant un emploi(13). (Voir la Figure 1.)​

Le profil typique du travailleur au salaire minimum est donc plutôt un jeune âgé de 15 et 24 ans, travaillant à temps partiel dans le secteur du commerce de détail ou de la restauration et de l’hébergement. La réalité est loin du profil très minoritaire de la mère de famille monoparentale qui est typiquement utilisé par certains partis politiques pour illustrer la précarité financière de ces travailleurs(14). Il est tout de même pertinent d’examiner plus en détail l’aspect fiscal de la situation d’un chef de famille monoparentale afin d’avoir un meilleur aperçu de son revenu net, qui n’est pas non plus celui auquel on s’attendrait.

Un revenu net beaucoup plus élevé

Être payé au salaire minimum en tant que chef de famille monoparentale n’a pas les mêmes répercussions que pour un étudiant à temps partiel. Le régime fiscal tient en effet compte des besoins et responsabilités d’une personne avec des enfants à charge, un fait trop souvent évincé de la discussion sur la hausse du salaire minimum.

Prenons le cas d’un chef de famille monoparentale travaillant 35 heures par semaine pendant 52 semaines. Pour l’année 2021, son taux horaire de 13,50 $ de l’heure correspond à un revenu annuel brut de 24 570 $(15). C’est souvent ici que s’arrête le calcul justifiant une augmentation importante du salaire minimum, ce qui ne permet pas du tout d’avoir un portrait factuel de la réalité de ces travailleurs. En effet, le salarié chef de famille monoparentale perçoit un montant additionnel de 12 615 $ en prestations diverses. Après le paiement des impôts et cotisations, son revenu annuel net s’élève à 34 672 $ (voir le Tableau 1), ce qui équivaut à faire passer son taux horaire de 13,50 $ à 19,05 $ de l’heure. Ce montant est supérieur à ce que revendiquent les organisations syndicales.

Conclusion

Une augmentation draconienne du salaire minimum, si elle venait à se concrétiser, aurait des effets nocifs sur les travailleurs que l’on tente d’aider et sur l’économie du Québec en général. Elle mettrait en péril les emplois des travailleurs typiques au salaire minimum, soit les jeunes étudiants qui occupent des postes à temps partiel dans des secteurs qui ne pourraient pas nécessairement supporter le poids de cette hausse, étant donnée leur marge bénéficiaire très faible. Quant aux mères de famille monoparentales que l’on cite souvent en exemple pour illustrer le sort de ces travailleurs, leur situation n’est pas du tout typique et il existe d’autres moyens plus efficaces et moins économiquement dommageables de leur venir directement en aide, comme l’éducation et la formation, ainsi que les mesures ciblées.

Références

  1. Jean-Francois Desbiens, « Salaire minimum : ”une autre occasion ratée”, estime la Coalition Minimum 18 $ », néomédia, 15 janvier 2022.
  2. Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, Les PME québécoises et le salaire minimum, novembre 2021, p. 3.
  3. Calculs des auteurs. Institut de la statistique du Québec, Statistiques, Par thèmes, Emploi et marché du travail, Rémunération et avantages sociaux, Salaire minimum, Employés rémunérés au taux du salaire minimum, résultats selon diverse caractéristiques de la main-d’œuvre, 1997-2020, Québec, 12 mai 2021.
  4. Statistique Canada, Tableau : 33-10-0006-01, Statistiques financières et fiscales des entreprises, selon le type d’industrie, 2021.
  5. Voir plus en détail : Banque de développement du Canada (BDC), Articles et outils, Boîte à outils de l’entrepreneur, Outils financiers, Marge bénéficiaire nette.
  6. Statistique Canada, op. cit., note 4.
  7. Institut de la statistique du Québec, op. cit., note 3.
  8. Idem.
  9. Institut de la Statistique du Québec (ISQ), Naissances et taux de fécondité selon l’âge de la mère, indice synthétique de fécondité et âge moyen à la maternité, Québec, 2013-2020, 18 mars 2021.
  10. Institut de la statistique du Québec, op. cit., note 3.
  11. Calculs des auteurs. Il s’agit d’une moyenne pondérée pour des données de 2016. Institut de la Statistique du Québec, Regard statistique sur la jeunesse, État et évolution de la situation des Québécois âgés de 15 à 29 ans 1996 à 2018, février 2020, p. 22; Institut de la Statistique du Québec, Estimation de la population selon l’âge et le sexe, Québec 1er juillet 1971 à 2021, 29 septembre 2021.
  12. Institut de la statistique du Québec, op. cit., note 3.
  13. Pierre-Paul Biron et Magalie Lapointe, « Nos jeunes commencent à travailler de plus en plus tôt », Le Journal de Québec, 3 janvier 2020.
  14. Marie-Ève Dumont, « Elle a élevé trois enfants alors qu’elle gagnait 9 $ de l’heure », Le Journal de Montréal, 12 mars 2018; Gouvernement du Québec, nouvelles, « Mise à jour économique : Québec solidaire demande des mesures phares pour lutter contre la pauvreté », Aile parlementaire de Québec Solidaire, 21 novembre 2017.
  15. Suzie St-Cerny, Luc Godbout et Matis Allali, Ménage québécois travaillant au salaire minimum : des comparaisons, Chaire de recherche en fiscalité et finances publiques, avril 2021, p. 19.
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