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L’entrepreneuriat fait-il une différence en santé? Le cas des CHSLD privés conventionnés

Point montrant que les établissements financés par l’État, mais gérés par des entrepreneurs, offrent un meilleur environnement aux patients, tout en coûtant moins cher au gouvernement

Quel est l’apport de l’entrepreneuriat en santé? Malgré l’exemple de l’Europe, où l’on fait depuis longtemps une large place aux entreprises tout en assurant une couverture universelle des soins, le simple fait de poser cette question au Canada peut susciter de vives réactions. Et même lorsque la performance européenne est évoquée, on cherche toujours une autre raison pour expliquer ses résultats supérieurs. Est-il possible d’isoler la « variable entrepreneuriale »? L’exemple québécois des CHSLD peut nous aider à y arriver.

En lien avec cette publication

L’entrepreneuriat fait-il une différence en santé? (Le Soleil, 3 octobre 2019) Entrevue avec Patrick Déry (Politiquement incorrect, Qub Radio, 3 octobre 2019) Entrevue avec Patrick Déry (Mario Dumont, LCN-TV, 3 octobre 2019)

Entrevue (en anglais) avec Patrick Déry (CTV News Montreal Noon, CFCF-TV, 3 octobre 2019)

 

Ce Point a été préparé par Patrick Déry, analyste associé senior à l’IEDM. La Collection Santé de l’IEDM vise à examiner dans quelle mesure la liberté de choix et l’initiative privée permettent d’améliorer la qualité et l’efficacité des services de santé pour tous les patients.

Quel est l’apport de l’entrepreneuriat en santé? Malgré l’exemple de l’Europe, où l’on fait depuis longtemps une large place aux entreprises tout en assurant une couverture universelle des soins, le simple fait de poser cette question au Canada peut susciter de vives réactions. Et même lorsque la performance européenne est évoquée, on cherche toujours une autre raison pour expliquer ses résultats supérieurs(1). Est-il possible d’isoler la « variable entrepreneuriale »? L’exemple québécois des CHSLD peut nous aider à y arriver.

Le Québec compte un peu plus de 400 centres d’hébergement de soins longue durée (ou CHSLD)(2). Ceux-ci accueillent principalement des aînés en perte d’autonomie qui nécessitent plusieurs heures de soins chaque jour. La plupart de ces établissements reçoivent du financement public et sont gérés par l’État. Cependant, à l’intérieur du réseau public, une soixantaine de CHSLD sont dits « privés conventionnés » : ils sont subventionnés par l’État, mais exploités par des entrepreneurs. (Les établissements restants, les CHSLD privés non conventionnés, sont gérés de façon indépendante et ne reçoivent pas de financement public.)

Au 31 mars 2017, le Québec comptait 317 CHSLD publics, 59 CHSLD privés conventionnés et 39 CHSLD privés non conventionnés(3). Le cas des CHSLD privés conventionnés est intéressant puisque ceux-ci reçoivent le même financement que les établissements publics et sont soumis aux mêmes conditions : la clientèle, les coûts d’hébergement et les conditions de travail y sont les mêmes. Les patients y accèdent par le même guichet régional et versent la même contribution. Les établissements privés conventionnés sont donc parfaitement intégrés au réseau public et le gouvernement du Québec les présente comme tels(4). La seule différence est leur mode de gestion, qui produit des résultats forts différents tant pour l’usager que pour l’État.

De meilleurs services…

Les visites d’évaluation de la qualité des milieux de vie dans les CHSLD, réalisées sans préavis par le ministère de la Santé et des Services sociaux(5), montrent un écart énorme entre les résultats obtenus par les établissements publics et les privés conventionnés. Nous avions déjà constaté cet écart dans une précédente publication sur un échantillon représentant la moitié des CHSLD du Québec(6). Un rapport plus récent, obtenu suite à une demande d’accès à l’information, donne un portrait encore plus complet puisqu’il couvre un peu plus de 85 % des CHSLD de la province.

Ainsi, parmi les 356 CHSLD visités entre le 1er avril 2015 et le 31 mars 2017, seulement 17,6 % des établissements publics (soit 49 sur un total de 279) ont été évalués comme étant « très adéquats » par les représentants du ministère. Quelque 71 % des établissements publics ont été considérés comme offrant un milieu de vie « acceptable », et 11,5 % (soit 32 établissements publics) ont vu leur milieu de vie qualifié de « préoccupant »(7) (voir la Figure 1).

En contrepartie, les milieux de vie de 64,4 % des CHSLD privés conventionnés (soit 29 sur un total de 45) ont été jugés « très adéquats », une proportion presque quatre fois plus élevée que pour les établissements publics. Aucun CHSLD privé conventionné n’a reçu la mention « préoccupant ».

(Il est intéressant de noter la performance des CHSLD privés non conventionnés, qui ne reçoivent aucun financement de l’État et qui doivent rendre les mêmes services avec moins de ressources. Ces établissements sont proportionnellement plus nombreux que les CHSLD publics à avoir reçu la mention « préoccupant », quoiqu’une plus grande partie de leurs milieux de vie ont également été qualifiés de « très adéquats » que dans les établissements publics, malgré leur désavantage. On remarque aussi que l’écart entre le privé et le public est bien moins grand que celui entre le public et le privé conventionné.)​

… À moindre coût

En plus d’offrir un meilleur environnement aux patients, les CHSLD privés conventionnés coûtent moins cher à l’État, tout en arrivant à générer des profits pour les entreprises qui les gèrent. Une étude réalisée il y a plusieurs années avait en effet montré que le coût global par jour de présence était de 12 % plus élevé dans les établissements publics que dans les établissements privés conventionnés. Si on ne considérait que les coûts de fonctionnement (soit en excluant la composante clinique), cette différence s’élevait alors à 26 %(8).

L’auteur de l’étude avait évalué que la gestion entrepreneuriale des établissements privés conventionnés faisait économiser 30 millions $ chaque année au trésor public. Il estimait aussi que des économies supplémentaires « minimales » de 125 millions $ pouvaient être réalisées si ce mode de gestion était étendu à l’ensemble du réseau des CHSLD. Calculés en dollars d’aujourd’hui, ces montants s’élèvent respectivement à près de 50 et 200 millions $. On ne peut qu’imaginer les sommes qui pourraient être dégagées si des modes de gestion plus performants étaient adoptés ne serait-ce que par une partie du réseau hospitalier.

Une solution éprouvée

La performance supérieure des CHSLD privés conventionnés ne surprendra pas ceux qui s’intéressent aux systèmes de santé européens. Au fil des années, on a recensé plusieurs exemples où, à ressources égales, la gestion entrepreneuriale s’est avérée supérieure à la gestion publique en ce qui a trait à la qualité des services rendus. Cela a été le cas en Allemagne(9), en Espagne(10), en France(11) et en Suède(12), notamment. La littérature économique a aussi montré que les établissements privés offrent généralement de meilleurs soins tout en étant plus efficaces(13).

La performance de nos systèmes de santé ne dépend pas que d’une variable, et bien des choses peuvent être faites pour les améliorer. Une plus grande ouverture à l’entrepreneuriat à l’intérieur des systèmes publics, tout en maintenant la couverture universelle, demeure néanmoins une solution qui a fait ses preuves, ici et ailleurs. Il n’y a aucune raison de ne pas y avoir recours davantage, que ce soit pour les CHSLD, les hôpitaux, ou toute autre composante des systèmes de santé.

Références

1. Alain Vadeboncœur, « Le privé sauvera les urgences… vraiment? », L’actualité, 23 août 2019.
2. Précisément 418 au 31 mars 2019. Commission de la Santé et des Services sociaux, L’étude des crédits 2019-2020, Ministère de la Santé et des Services sociaux, Réponses aux questions particulières − Opposition officielle, vol. 3, p. 13-14.
3. Ministère de la Santé et des Services sociaux, « Visites ministérielles d’évaluation de la qualité de vie en CHSLD, Bilan statistique national, Période du 1er avril 2015 au 31 mars 2017 », novembre 2017, p. 2.
4. Gouvernement du Québec, Santé Montréal, Centres d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD) de Montréal, Qu’est-ce qu’un centre d’hébergement de soins de longue durée, page consultée le 3 septembre 2019; Commission de la Santé et des Services sociaux, Les conditions de vie des adultes hébergés en centre d’hébergement et de soins de longue durée – Mandat d’initiative, Document de consultation, septembre 2013, p. 6.
5. Isabelle David, État des connaissances : Qualité du milieu de vie en centre d’hébergement pour les personnes âgées en perte d’autonomie, Institut national d’excellence en santé et en services sociaux, 2018, p. 48.
6. Patrick Déry, « Faire appel à l’entrepreneuriat pour héberger et soigner nos aînés », Le Point, IEDM, 26 avril 2018.
7. Les visites ont eu lieu dans 279 CHSLD publics, 45 CHSLD privés conventionnés et 32 CHSLD privés non conventionnés entre le 1er avril 2015 et le 31 mars 2017. Ministère de la Santé et des Services sociaux, op. cit., note 3.
8. Pierre Fortin, « Examen des coûts d’opération comparatifs des réseaux privé et public en matière de gestion des centres d’accueil et d’hébergement et des centres hospitaliers de soins de longue durée », Rapport soumis à l’Association des centres hospitaliers et des centres d’accueil privés du Québec, École des sciences de la gestion, Université du Québec à Montréal, novembre 1996, p. 11.
9. Frederik Cyrus Roeder et Yanick Labrie, « Le secteur privé dans un système de santé public : l’exemple allemand », Note économique, IEDM, 21 février 2012.
10. Yanick Labrie, « Le rôle positif du profit dans le domaine de la santé », Note économique, IEDM, 6 novembre 2014.
11. Yanick Labrie, Pour un système de santé universel et efficace – Six propositions de réforme, Cahier de recherche, IEDM, 13 mars 2014.
12. Patrick Déry et Jasmin Guénette, « Saint Göran : un hôpital concurrentiel dans un système universel », Note économique, IEDM, 17 octobre 2017.
13. Voir par exemple Paul H. Jensen, Elizabeth Webster et Julia Witt, « Hospital type and patient outcomes: An empirical examination using AMI readmission and mortality records », Health Economics, vol. 18, 2009, p. 1440-1460; Karen Eggleston et al., « Hospital ownership and quality of care: What explains the different results in the literature? », Health Economics, vol. 17, 2008, p. 1345-1362.

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