L’entrée tardive à l’école primaire au Québec: pour une plus grande liberté de choix des parents

Note économique montrant comment repousser l’entrée à l’école pour certain enfants respecterait le rythme unique de développement des enfants et favoriserait leur réussite éducative future
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Cette Note économique a été préparée par Guillaume Pouliot, professeur adjoint à la Harris School of Public Policy et au Collège de l’Université de Chicago et chercheur associé à l’IEDM, en collaboration avec Emmanuelle B. Faubert, économiste à l’IEDM. La Collection Éducation de l’IEDM vise à explorer dans quelle mesure une plus grande autonomie institutionnelle et la liberté de choix pour les étudiants et les parents permettent d’améliorer la qualité des services d’éducation.
On sait que certains enfants aux aptitudes intellectuelles exceptionnelles sont parfois admis en première année du primaire plus tôt que le prévoit le régime pédagogique. Ce dont on parle moins, c’est du choix des parents de repousser l’entrée à l’école primaire dans l’intérêt de leur enfant.
Il ne s’agit pas ici du redoublement, qui consiste à répéter une année scolaire. On parle plutôt de l’obtention d’une dérogation pour reporter volontairement l’entrée d’un enfant à l’école afin de lui permettre notamment d’acquérir une maturité suffisante(1).
Au Canada, l’éducation est une compétence provinciale. Au Québec, la Loi sur l’instruction publique fixe l’âge de la fréquentation scolaire obligatoire à six ans(2). Bien que la plupart des jeunes soient prêts à être scolarisés à cet âge, certains ne le sont pas, surtout parmi les plus jeunes de leur cohorte scolaire. Sans nécessairement présenter de handicap, certains enfants ont besoin de plus de temps avant d’entrer au primaire. Même si les parents sont généralement bien investis dans l’éducation de leur enfant et qu’ils savent si celui-ci est prêt ou non, la décision ne leur revient pas.
Des écarts développementaux importants au début du primaire
Cette restriction du pouvoir décisionnel des parents est d’autant plus discutable que le développement des enfants à cet âge présente des variations considérables. On ne naît pas tous avec les mêmes capacités et, surtout, on ne se développe pas tous au même rythme, que ce soit sur le plan cognitif, affectif ou physique.
On ne naît pas tous avec les mêmes capacités et on ne se développe pas tous au même rythme, que ce soit sur le plan cognitif, affectif ou physique.
Pour jauger ces différences de développement des enfants qui fréquentent la maternelle cinq ans, le Québec s’est doté d’un outil : l’Enquête québécoise sur le développement des enfants à la maternelle (EQDEM)(3). Menée tous les cinq ans depuis 2012, l’enquête utilise l’Instrument de mesure du développement de la petite enfance(4). Le processus est simple, mais rigoureux : pour chaque élève, les enseignants évaluent cinq domaines clés du développement, soit 1) la santé physique et le bien-être, 2) les compétences sociales, 3) la maturité affective, 4) le développement cognitif et langagier, ainsi que 5) les habiletés de communication et les connaissances générales.
Un enfant est considéré comme vulnérable si son score dans un domaine de développement est classé dans le 10e centile inférieur de la distribution des scores de tous les enfants du Québec en maternelle pour ce domaine lors de l’année en question(5). Bien qu’elle soit relative, cette mesure permet de comprendre que certains enfants sont moins prêts que d’autres à entamer leur parcours scolaire. En effet, les données(6) révèlent qu’en 2022, plus d’un enfant sur quatre était considéré comme vulnérable dans au moins un des domaines clés du développement (voir la Figure 1).
Au Québec, les parents peuvent faire une demande de dérogation scolaire, mais elle est difficile à obtenir, puisqu’ils doivent prouver que l’admission tardive de leur enfant permettra d’éviter un « préjudice grave ». Plusieurs conditions doivent également être remplies(7) pour que la demande soit acceptée. Il s’agit d’une mesure exceptionnelle pour laquelle il faut constituer un dossier complet comprenant les avis professionnels de l’enseignant au niveau préscolaire, de la direction de l’école et d’un spécialiste du centre de services scolaire. Dans tous les cas, le report de la scolarisation d’un enfant à l’école n’est pas laissé au choix des parents. La décision finale revient au centre de services scolaires.
L’âge relatif : un déterminant du succès scolaire ignoré dans le système actuel
À cause de la rigidité de ce système, les enfants nés quelques jours avant la date limite pour l’entrée obligatoire à l’école sont susceptibles d’être désavantagés par rapport à leurs pairs à peine plus âgés, en raison des différences de maturité. Un enfant né juste avant la date limite sera relativement plus jeune que ses camarades, tandis qu’un enfant né juste après sera relativement plus âgé. Dans la littérature spécialisée, c’est ce que l’on appelle l’âge relatif(8).
Par exemple, au sein d’une même cohorte d’élèves de 1re année du primaire, les enfants nés le 30 septembre ou un peu avant, en raison de leur âge relativement jeune, seront en moyenne moins développés sur les plans physique, cognitif, émotionnel ou social au moment de commencer l’école vers la fin du mois d’août. Cette immaturité peut entraîner des défis d’adaptation scolaire, comme une capacité réduite à suivre des consignes, une gestion plus difficile des émotions ou un retard dans certains apprentissages de base. À l’inverse, les enfants nés le 1er octobre ou un peu après bénéficieront d’une maturité accrue qui pourra leur donner un avantage(9).
L’effet de l’âge relatif sur différents indicateurs de performance scolaire a été documenté dans la littérature scientifique. Une étude a démontré que les plus jeunes de chaque cohorte, en quatrième année, obtiennent des résultats inférieurs de 4 à 12 centiles à ceux des enfants plus âgés de la cohorte. Ce désavantage persisterait jusqu’en huitième année, où la différence se situe entre 2 et 9 centiles(10). Dans cette même étude, les données du Canada et des États-Unis indiquent que les plus jeunes ont systématiquement moins de chances d’accéder à l’université.
Cette immaturité peut entraîner des défis d’adaptation scolaire, comme une capacité réduite à suivre des consignes, une gestion plus difficile des émotions ou un retard dans certains apprentissages de base.
L’avantage de l’âge relatif a par ailleurs été popularisé par Malcolm Gladwell dans son livre à succès Outliers, dans lequel il illustre ce phénomène tant dans le monde du sport — où les joueurs de hockey professionnels sont disproportionnellement nés dans les premiers mois de l’année — que dans le système d’éducation.
D’autres recherches révèlent que les élèves plus jeunes que leurs pairs sont plus susceptibles de présenter des troubles d’apprentissage. Par exemple, une recherche conclut qu’un mois supplémentaire d’âge relatif diminue de 2 à 5 % la probabilité de recevoir des services d’éducation spécialisée(11). En 2023, une étude québécoise révélait que les enfants nés à la fin du mois de septembre ont 35 % plus de chances de recevoir un diagnostic de trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) que ceux nés au début octobre(12).
La Figure 2 montre que lorsqu’on compare les taux de diagnostics de TDAH des enfants nés l’été à ceux nés à l’automne ou en hiver, les différences sont tout aussi remarquables. En effet, les données indiquent que les mois de naissance où la proportion de jeunes diagnostiqués avec un TDAH est la plus élevée sont septembre, suivi d’août puis de juillet(13).
Selon une étude récente de l’OCDE, ces différences d’âge relatif ont des conséquences importantes sur le parcours scolaire(14). Les élèves les plus jeunes de leur cohorte présentent non seulement de moins bons résultats aux tests standardisés de PISA(15), mais aussi un risque accru de redoublement et de troubles d’apprentissage. Ces désavantages initiaux affectent leur confiance en soi et leurs choix éducatifs futurs, pouvant même influencer leur niveau de scolarité et leurs perspectives professionnelles. Plus préoccupant encore, ces effets sont observés dans la grande majorité des 45 pays étudiés, suggérant un problème systémique plutôt que local.
Retarder l’entrée scolaire : ce qu’en dit la recherche
L’entrée tardive à l’école n’est pourtant pas une pratique nouvelle. Aux États-Unis, on y avait déjà recours dans les années 1970 et sa popularité n’a cessé de croître depuis les années 1980(16). Des études suggèrent qu’environ 5 % de tous les enfants américains entrant au primaire en bénéficieraient, voire jusqu’à 14 % dans certains États(17).
Cependant, au Québec, le phénomène reste marginal. Par exemple, La Presse répertoriait seulement 125 cas en 2009(18), ce qui représenterait environ 0,2 % des 69 918 élèves de 1re année cette année-là(19). Plus récemment, en 2019, les commissions scolaires (aujourd’hui les centres de services scolaire) de la grande région de Montréal rapportaient entre 5 et 20 dérogations de report de l’entrée scolaire acceptées chaque année, ce qui représente encore un infime pourcentage des élèves de 6 ans(20). Bien qu’aucune donnée publique ne soit disponible, ces chiffres montrent que le phénomène reste marginal.
En 2023, une étude québécoise révélait que les enfants nés à la fin du mois de septembre ont 35 % plus de chances de recevoir un diagnostic de TDAH que ceux nés au début octobre.
Même si davantage de recherche est nécessaire pour mieux comprendre la nature causale et l’impact de cette pratique, les résultats existants sont probants. En Caroline du Nord, deux études(21) s’appuyant sur un changement de la politique relative à la date limite d’inscription scolaire ont révélé que retarder d’un an l’entrée à l’école permettait aux élèves d’obtenir des résultats nettement meilleurs en mathématiques et en lecture(22), et que les progrès se maintenaient jusqu’à la 5e année du primaire.
Une autre étude canadienne conclut que l’entrée tardive aurait des effets plus durables que le retard involontaire sur les performances scolaires, particulièrement en ce qui concerne le redoublement au primaire, les résultats en mathématiques et l’évitement de parcours d’études moins prestigieux. Ces bénéfices sont plus marqués chez les garçons défavorisés, chez qui l’on observe aussi une réduction de l’anxiété et de l’épuisement mental(23).
Conclusion
Accorder aux parents québécois davantage de latitude pour décider de l’âge d’entrée à l’école de leurs enfants pourrait non seulement mieux respecter le rythme unique de développement de chaque enfant, mais aussi favoriser leur réussite éducative future. Étant donné les différences de maturité observées chez les jeunes enfants et les conséquences à long terme de ces premières expériences scolaires, une plus grande souplesse dans les politiques actuelles permettrait de mieux répondre aux besoins individuels. Une plus grande liberté parentale dans ces décisions faciliterait une transition plus douce vers la vie scolaire, en offrant aux enfants plus vulnérables un cadre mieux adapté à leur développement à ce stade précoce de leur parcours éducatif. Après tout, les parents sont les mieux placés pour évaluer la maturité de leur enfant et son niveau de préparation à l’école.
Références
- Le terme anglais « redshirting », utilisé dans la littérature scientifique et dans plusieurs médias, réfère désormais à la pratique de reporter volontairement l’entrée à l’école d’un enfant, par analogie avec le sport universitaire américain où certains membres de l’équipe, vêtus d’un chandail rouge, sont gardés hors des compétitions pendant une année afin de favoriser leur développement physique et technique. Tímea Laura Molnár, « Can Academic Redshirting Shrink the Education Gender Gap? Causal Evidence on Student Achievement and Mental Health », Central European University and IZA, 30 juin 2024, p. 1.
- Gouvernement du Québec, Loi sur l’instruction publique, art. 14, LégisQuébec, consulté le 19 décembre 2024.
- Institut de la statistique du Québec, Enquête québécoise sur le développement des enfants à la maternelle (EQDEM), consulté le 19 décembre 2024.
- Institut de la statistique du Québec, Présentation de l’Instrument de mesure du développement de la petite enfance, consulté le 19 décembre 2024.
- Institut de la statistique du Québec, Enquête québécoise sur le développement des enfants à la maternelle 2022. Portrait statistique pour le Québec et ses régions administratives, octobre 2023, p. 36.
- Ibid., p. 106.
- Gouvernement du Québec, Règlement sur l’admissibilité exceptionnelle à l’éducation préscolaire et à l’enseignement primaire, art. 5, LégisQuébec, consulté le 19 décembre 2024.
- Kelly Bedard et Elizabeth Dhuey, « The Persistence of Early Childhood Maturity: International Evidence of Long-Run Age Effects », The Quarterly Journal of Economics, 2006, p. 1438.
- Ibid., p. 1437-1438.
- Ibid., p. 1439.
- Elizabeth Dhuey et Stephen Lipscomb, « Disabled or young? Relative age and special education diagnoses in schools », Economics of Education, vol. 29, no 5, 2010, p. 858.
- Catherine Haeck et al., « Surdiagnostic du TDAH au Québec: Impact de l’âge d’entrée à l’école, différences régionales et coûts sociaux et économiques », CIRANO, Rapport de projets 2023RP-08, avril 2023, p. 2.
- Ibid., p. 14.
- Pauline Givord, « How a student’s month of birth is linked to performance at school: New evidence from PISA », OCDE, no 221, 2020.
- Le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) est une évaluation internationale standardisée de l’OCDE qui mesure les compétences des élèves de 15 ans en lecture, en mathématiques et en sciences. OCDE, Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA), consulté le 19 décembre 2024.
- Elizabeth Graue et James DiPerna, « Redshirting and early retention: Who gets the « gift of time » and what are its outcomes? », American Educational Research Journal, vol. 37, no 2, 2000, p. 509-534; C. Kevin Fortner et Jade Marcus Jenkins, « Kindergarten redshirting: Motivations and spillovers using census-level data », Early Childhood Research Quarterly, vol. 38, 2017, p. 44.
- Daphna Bassok et Sean F. Reardon, « “Academic redshirting” in kindergarten: Prevalence, patterns, and implications », Educational Evaluation and Policy Analysis, vol. 35, no 3, p. 284 et 296; C. Kevin Fortner et Jade Marcus Jenkins, ibid.
- Sylvia Galipeau, « La maternelle à 6 ans », La Presse, 21 août 2008.
- Statistique Canada, Tableau 37-10-0007-01 : Nombre d’élèves dans les programmes réguliers pour les jeunes, écoles primaires et secondaires publiques, selon l’année d’études et le sexe, 10 octobre 2024.
- Florence Sara G. Ferraris, « Le “redshirting”, quand les dérogations scolaires font école », Le Devoir, 9 mars 2019.
- Philip J. Cook et Songman Kang, « Girls to the front: How redshirting and test-score gaps are affected by a change in the school-entry cut date », Economics of Education Review, vol. 76, p. 8; Jade Marcus Jenkins et C. Kevin Fortner, « Forced to Redshirt: Quasi-Experimental Impacts of Delayed Kindergarten Entry », Journal of Research on Educational Effectiveness, avril 2024, p. 7.
- Entre 0,2 et 0,3 écart-type.
- Tímea Laura Molnár, Essays in Applied Microeconomics, University of British Columbia, août 2017, p. 68.