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Textes d'opinion

L’électricité avant l’étatisation

Peu de mythes nationaux sont aussi forts que celui d’Hydro-Québec. Dans l’imaginaire collectif québécois, l’étatisation de l’électricité s’est imposée comme un symbole de libération d’une industrie dominée par les Anglais.

Nonobstant le mythe, Hydro-Québec n’est pas particulièrement performante comme société d’État cependant. En 2019, des chercheurs de HEC Montréal trouvaient que la productivité d’Hydro-Québec avait chuté de 20 % depuis 1981.

Sur la même période, la quasi-totalité des études sur l’efficacité globale des compagnies d’électricité à l’étranger observent pourtant des gains d’efficacité.

Comme le 14 novembre dernier marquait le 60e anniversaire de l’élection du gouvernement de Jean Lesage en 1962 — et de son célèbre slogan Maîtres chez nous — il est opportun de se pencher sur la performance historique du marché de l’électricité d’avant la nationalisation, afin de comprendre la trajectoire depuis son étatisation.

L’argument fréquemment avancé dans les cours d’histoire québécois est celui des hommes politiques de l’époque en faveur de l’étatisation, tels Philippe Hamel et Télesphore-Damien Bouchard. Ceux-ci comparaient les prix en vigueur dans le marché privé québécois à ceux du marché ontarien étatisé, soutenant que si l’État prenait en charge l’industrie électrique, les Québécois feraient des économies.

Une première faille dans cette comparaison vient du fait qu’une portion importante des prix élevés au Québec provenait des taxes que le gouvernement imposait. En Ontario, le monopole d’État était exempt de taxes et d’impôts. Au Québec, près du tiers des montants payés pour l’électricité s’envolait en taxes diverses en 1939.

La deuxième faille vient du fait que la société d’État ontarienne carburait beaucoup à l’argent des contribuables à l’époque. Le prix de vente de l’électricité était plus bas que le coût effectif. Elle affichait donc des pertes année après année.

S’il s’était agi d’une entreprise privée, cela n’aurait eu des incidences que sur les investisseurs, mais comme elle était détenue par la province, les pertes étaient épongées à même le compte de taxes des citoyens. En ajustant pour cette subvention aux frais des contribuables, on se rend compte que le coût de production de l’électricité était 32 % plus faible au Québec qu’en Ontario à l’époque.

En bref, l’un des principaux arguments utilisés pour promouvoir l’étatisation à l’époque omettait à la fois le rôle des taxes expliquant le prix plus élevé au Québec et l’effet de subventions à la consommation à même le compte de taxes donnant l’illusion d’un prix plus faible en Ontario.

Déjà, le mythe historique voulant que les compagnies d’électricité privées du Québec en profitaient pour surfacturer les Québécois en prend un coup. Cela étant dit, si les arguments ont eu du mordant à l’époque, c’est qu’ils devaient refléter une part du vécu des clients et clientes des compagnies d’électricité privées de l’époque.

À cela s’ajoute le facteur d’augmentation de la demande ontarienne. Le prix réglementé de l’électricité étant plus bas que le prix du marché, l’Ontario a vu sa demande en électricité augmenter de façon très rapide et très marquée.

Comme les sites les plus efficaces, tels ceux de la vallée du Niagara, avaient déjà été développés, la seule option politiquement viable pour le gouvernement ontarien était d’importer de l’électricité, en grande quantité, des marchés voisins. Flairant la bonne affaire, les grands producteurs d’électricité québécois ont rapidement signé des ententes d’approvisionnement avec l’Ontario, menant à une explosion des exportations.

De moins de 4 % de la quantité produite au Québec en 1926, l’électricité exportée vers l’Ontario atteignait 20 % au début des années 1930. La demande excédentaire ontarienne s’est donc portée sur le marché québécois.

Une telle augmentation de la demande a entraîné une augmentation des prix. Par rapport au reste du Québec, les clients des producteurs québécois connectés au marché ontarien ont vu leurs tarifs augmenter de 13 à 21 %.

L’effet électoral n’a pas tardé à se faire sentir. Dès 1936, la réglementation et l’étatisation de l’électricité étaient un sujet chaud au Québec. Dans les circonscriptions où les producteurs d’électricité avaient un lien les connectant à l’Ontario, près du tiers de la diminution des appuis au Parti libéral du Québec s’expliquerait par cette grogne envers l’augmentation des prix.

Le mécanisme ayant mené à l’étatisation du marché de l’électricité était en branle. Huit ans plus tard, le gouvernement libéral d’Adélard Godbout créait Hydro-Québec. En 1962, Jean Lesage était porté au pouvoir avec une promesse de compléter l’étatisation. Ironiquement, le monopole québécois de la production d’électricité est un effet pervers de l’étatisation ontarienne.

Soyons clairs : mieux comprendre l’histoire ne nous donne pas de marche à suivre pour l’avenir. Cela nous indique par contre que le mythe national entourant Hydro-Québec n’est pas aussi noir ou blanc qu’on aime le croire. Pour débattre plus rationnellement de l’avenir de notre « fleuron national », peut-être serait-il temps de remiser l’épouvantail d’un passé fictif.

Vincent Geloso est économiste senior à l’IEDM et l’auteur de « L’électricité au Québec avant la nationalisation ». Il signe ce texte à titre personnel.

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