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Le Québec face à la forte augmentation des grèves syndicales

Point montrant que le gouvernement doit inclure les secteurs public et parapublic dans son rééquilibrage des pouvoirs de négociation, afin d’assurer la sécurité sociale et économique

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Conflits de travail: le Québec, champion des grèves au pays (Le Journal de Montréal, 8 mai 2025)

Are the number of Quebec strikes taking the province hostage? (CTV News, 10 mai 2025)

Entrevue avec Gabriel Giguère (Reg against le matin, BLVD 102.1, 8 mai 2025)

Entrevue avec Gabriel Giguère (La commission, 98,5 FM, 8 mai 2025)

Entrevue avec Gabriel Giguère (Richard Martineau, QUB Radio, 8 mai 2025)

Entrevue avec Gabriel Giguère (Maurais live, Radio X, 12 mai 2025)

Entrevue avec Gabriel Giguère (Couture dans le mid, Radio X, 12 mai 2025)

Entrevue avec Gabriel Giguère (Richard Martineau, QUB Radio, 8 mai 2025)

Reportage (en anglais) avec Gabriel Giguère(CTV News, 10 mai 2025)

 

Ce Point a été préparé par Gabriel Giguère, analyste senior en politiques publiques à l’IEDM. La Collection Réglementation de l’IEDM vise à examiner les conséquences souvent imprévues pour les individus et les entreprises de diverses lois et dispositions réglementaires qui s’écartent de leurs objectifs déclarés.

Le nombre de grèves a explosé depuis 2023 au Québec(1). Cette augmentation rapide perturbe la vie des Québécois, et ces prises d’otage de la population(2) ont poussé le gouvernement du Québec à déposer le projet de loi 89(3). Celui-ci vise à établir un équilibre entre le droit de grève et de lock-out, et les impacts économiques et sociaux sur la population(4). Cependant, le projet de loi proposé ne va pas assez loin : il devrait également s’appliquer au secteur public, alors que celui-ci fait l’objet d’une exception dans sa mouture actuelle(5).

Une explosion du nombre de grèves au Québec

En 2023, les Québécois ont subi un total de 691 arrêts de travail, fracassant le record précédent de 384 établi en 1974, à l’aube de la commission Cliche. En 2024, ce record a été battu de nouveau avec 759 arrêts de travail ayant affecté les Québécois cette année. La cadence ne semble pas ralentir en 2025, avec 378 arrêts de travail recensés au cours des deux premiers mois de l’année(6) (voir la Figure 1). Il s’agit d’une augmentation sans précédent. Au cours de la décennie ayant précédé la pandémie, les Québécois ont été touchés par 85 arrêts de travail par année, en moyenne.

Une telle dynamique démontre que le recours à la grève devient une méthode de plus en plus répandue. Si une telle mesure de contestation des conditions de travail était considérée comme exceptionnelle avant la pandémie, les syndicats semblent désormais l’avoir banalisée.

Cette croissance du nombre de grèves au Québec est également inédite lorsqu’on la compare avec les autres provinces canadiennes. En effet, la part annuelle moyenne du Québec dans l’ensemble des arrêts de travail au Canada est passée d’environ 56 % entre 2013 et 2022 à 91 % entre 2023 et 2025(7).

Les syndicats présents au Québec ont de facto pris la population en otage à plusieurs reprises au cours des dernières années, ce qui semble avoir poussé le ministre – à juste titre – à agir sur la question(8).

Les abus syndicaux dans le secteur public

Cette forte augmentation du nombre d’arrêts de travail est attribuable en grande partie au secteur public. En effet, la proportion des arrêts de travail de ce secteur a augmenté au cours de la dernière décennie au Québec, passant d’un plancher de 12 % en 2016 à un plafond de 87 % en 2023 et 2024. Cette proportion reste toujours élevée en 2025 et témoigne de la prédominance du secteur public dans l’explosion du nombre de grèves au Québec.

Plus précisément, un sous-secteur se distingue des autres par la récurrence des grèves : celui de l’éducation, de la santé et des services sociaux, qui représente 89 % de tous les arrêts de travail depuis 2023 au Québec(9). Sans surprise, les Québécois ont ressenti les impacts de ces grèves et continuent d’en faire les frais au quotidien.

À titre d’exemple, les grèves des enseignants en 2023 ont affecté de nombreux parents qui n’ont pas pu aller travailler(10). Ce sont par ailleurs les enfants qui en ont souffert le plus, puisqu’ils ont été privés de leur droit à l’éducation. Un enjeu comparable se présente dans le secteur de la petite enfance, marqué par des grèves répétées au premier trimestre 2025, bien que plusieurs garderies soient privées(11).

Si de telles prises d’otage sont possibles de la part des syndicats au Québec, c’est notamment en raison du taux très élevé de syndicalisation dans le secteur public, qui atteignait 84,7 % en 2024, comparativement à 22,9 % dans le secteur privé(12).

Le nécessaire abandon de l’exception du secteur public dans le projet de loi 89

Il est essentiel que le ministre abandonne l’exception(13) accordée aux secteurs public et parapublic dans le projet de loi 89. Dans sa mouture actuelle, le projet de loi empêcherait le ministre ou le Tribunal administratif du travail d’intervenir dans les secteurs public et parapublic, alors que ces secteurs sont à l’origine de l’explosion du nombre de grèves au Québec. Sans cette intégration, le gouvernement adopterait un projet de loi qui ne s’attaque que partiellement au problème, compte tenu de la disproportion du nombre de grèves attribuable au secteur public.

Le rééquilibrage des pouvoirs de négociation prévu par le projet de loi 89 est un premier pas dans la bonne direction pour le Québec. La hausse rapide – et sans précédent au Canada – du nombre de grèves au Québec nuit à l’économie québécoise et met en lumière les dérives syndicales observées dans le secteur public québécois. Le recours croissant aux grèves par ces syndicats doit être freiné.

Il est donc nécessaire que le gouvernement aille plus loin et inclue les secteurs public et parapublic dans le projet de loi 89 pour assurer un meilleur équilibre entre l’exercice de l’activité syndicale et la sécurité sociale et économique.

Références

  1. Statistique Canada, Tableau 14-10-0352-01 : Arrêts de travail au Canada selon la juridiction, l’industrie basé sur le système de classification des industries de l’Amérique du Nord (SCIAN) et l’indice à la vie chère (IVC), Emploi et Développement social Canada – Programme du travail occasionnel (nombre sauf indication contraire), 19 mars 2025.
  2. Charles Lecavalier, « Jean Boulet veut se donner le pouvoir d’intervenir », La Presse, 19 février 2025.
  3. Gouvernement du Québec, Projet de loi no 89, Loi visant à considérer davantage les besoins de la population en cas de grève ou de lock­out, déposé le 19 février 2025.
  4. Assemblée nationale, Journal des débats de l’Assemblée nationale – Jean Boulet PL 89, 19 février 2025, vol. 47, no 184.
  5. Gouvernement du Québec, op. cit., note 3.
  6. Gouvernement du Canada, Arrêts de travail selon le secteur et l’année, Emploi et Développement social Canada, 28 février 2025.
  7. Calculs de l’auteur.
  8. Charles Lecavalier, op cit., note 2.
  9. Statistique Canada, op. cit., note 1.
  10. Patrick Bellerose, « Grève générale illimitée: les profs toucheront 102 000$, rappelle le ministre Bernard Drainville », Le Journal de Montréal, 27 novembre 2023.
  11. Agence QMI, « Trois nouvelles journées de grève dans les CPE », Le Journal de Montréal, 8 avril 2025.
  12. Institut de la statistique du Québec, Taux de présence syndicale, résultats selon le genre pour diverses caractéristiques de la main-d’œuvre et de l’emploi, 2006-2024, Québec, Ontario et Canada, 28 février 2025.
  13. Pour les données de Statistiques Canada, « secteur public » inclut le parapublic. Gouvernement du Québec, op. cit., note 3.
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