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Textes d'opinion

Le Québec dépend des infirmières indépendantes

Le Québec peine à conserver ses infirmières. Pour chaque tranche de 100 infirmières formées dans les cégeps et universités du Québec chaque année, 44 ont quitté la profession avant d’avoir 35 ans entre 2016 et 2021. Le fait est que nos hôpitaux les brûlent, et que bon nombre d’entre elles cherchent à le quitter à tout prix.

En interdisant le recours aux agences de placement, tel le ministre de la Santé, Christian Dubé l’a fait en 2023, Québec se retrouve à restreindre l’accès à l’une des dernières bouées de sauvetage qui les rattachaient au métier.

À peine un an plus tard, les Nord-Côtiers et Nord-Côtières sont les premiers à faire les frais de cette interdiction. Bien que les transferts interrégionaux aient pu être évités pour l’instant, tout indique que le lest donné par le ministre n’est qu’une solution temporaire à un problème permanent.

Dans une région où plus de 60 pour cent des postes sont couverts par de la main-d’œuvre indépendante, en faire l’interdiction revient à abandonner les patients locaux. Cela se traduit en fermetures de blocs opératoires, une plus faible disponibilité de lits d’hôpitaux, plus d’attente aux urgences et plus de transferts hors-région.

Dans les faits, cette loi s’articule comme un ultimatum aux infirmières : revenez travailler pour le gouvernement ou changez de carrière. Dans un contexte où 44 jeunes infirmières sur 100 quittent déjà la profession avant d’atteindre l’âge de 35 ans, on se doute bien des effets que cela risque d’avoir.

Et les raisons pour lesquelles elles partent ne sont plus un secret pour personne.

Commencer sa carrière en tant qu’infirmière, cela signifie d’innombrables quarts de soirs, de fins de semaine et d’heures supplémentaires. Cela veut aussi dire être surchargé de travail et exercer son métier dans des conditions de travail épuisantes.

Lorsque les infirmières ont été sondées sur la question, en 2023, on apprenait que parmi les 42 pour cent d’infirmières qui songent à quitter leur profession, 71 pour cent d’entre elles mettaient en cause la surcharge de travail.

Pour l’année budgétaire 2021-2022, par exemple, la Côte-Nord a accueilli 68 nouvelles infirmières, alors qu’elle en a perdu 111. La situation était similaire au cours des deux années précédentes.

Afin d’éviter de réduire les services à la population, les établissements de santé de la région se sont donc trouvés à accroître leur recours à la main-d’œuvre indépendante année après année.

Loin d’être le problème, les agences de placement sont plutôt un symptôme de la façon dont notre système de santé traite son personnel et les mène à l’épuisement.

Pour bien des infirmières, ces agences indépendantes sont une soupape qui les retient dans la profession, plutôt que de contempler un changement de carrière.

Dans les régions plus éloignées qui peinent à attirer du personnel, telle la Côte-Nord, le personnel indépendant est essentiel pour faire fonctionner les urgences et les cliniques. Déjà en 2022, alors que la loi n’était encore que projet, les régions éloignées sonnaient l’alarme, avertissant le gouvernement qu’une politique d’interdiction du recours à la main-d’œuvre indépendante allait mettre en danger l’accès aux soins.

Ce n’est pas en leur tordant le bras qu’on réussira à convaincre le personnel de santé de rester. Il faut trouver un moyen de les inciter à rester de leur plein gré. Plus de flexibilité, plus d’autonomie, de quoi rendre la profession plus attirante.

Ça ne prenait pas une boule de cristal pour voir que cette loi allait mettre en danger notre système de santé.

Tout ceci se passe alors que la loi n’est pas encore entièrement en place. Pour l’instant, l’utilisation de personnel indépendant est encore possible en Côte-Nord jusqu’en 2026, mais cela se fait sous des conditions très restrictives.

Alors que l’interdiction du recours à la main-d’œuvre indépendante s’élargira dans de nouvelles régions du Québec, la Côte-Nord nous permet de savoir à quoi l’on peut s’attendre si le gouvernement Legault refuse de reculer.

Puisque le Québec manque d’infirmières, on ne peut pas se permettre d’interdire l’une des dernières bouées de sauvetage qui les retient dans le métier.

Emmanuelle B. Faubert est économiste à l’IEDM. Elle signe ce texte à titre personnel.

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