Le plafonnement des émissions est une politique contre-productive
Lorsque le ministre fédéral de l’environnement Steven Guilbeault a présenté son premier projet de plafonnement des émissions pour les secteurs pétrolier et gazier au début du mois de novembre, il a été acclamé par tout un chacun comme la solution miracle à nos problèmes de changement climatique. Le premier ministre Trudeau a été tellement impressionné qu’il a immédiatement démissionné et remis les clés du royaume à M. Guilbeault.
Je plaisante, bien sûr. Dans les faits, l’annonce en a contrarié plus d’un. La première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, par exemple, a accusé le gouvernement fédéral de faire semblant de collaborer avec la province productrice d’énergie, pour finalement présenter « exactement la même politique que celle proposée il y a un an, sans aucun changement ». Mme. Smith a déclaré que son gouvernement envisageait « toutes les options juridiques » à sa disposition et a depuis annoncé plusieurs mesures pour lutter contre le plafond.
Je ne peux m’empêcher de conclure que le gouvernement fédéral est tout simplement en train de politicailler et que ce plafond d’émissions n’a absolument rien à voir avec la lutte contre le changement climatique.
Tout d’abord, le Canada dispose déjà d’un mécanisme de tarification du carbone ciblant toutes les industries. Pourquoi le gouvernement fédéral a-t-il besoin de doubler la mise et de cibler un secteur spécifique si l’objectif est simplement de réduire les émissions globales? Après tout, une tonne de gaz à effet de serre est une tonne de gaz à effet de serre, peu importe le secteur qui l’émet.
J’avais l’impression que le but d’un système de tarification du carbone était de laisser les forces du marché déterminer la meilleure manière de réduire les émissions. Après tout, s’il est moins coûteux de réduire les émissions ici, qui est Steven Guilbeault pour intervenir et déclarer du haut de sa tribune : « Non, tu dois réduire les émissions là-bas, et de telle manière! »?
Il y a aussi le fait que la réduction de la production pétrolière et gazière au Canada — une conséquence attendue par la première ministre Smith et d’autres, malgré les assurances contraires du gouvernement fédéral — ne contribuera en rien à la réduction des émissions mondiales, puisque la demande mondiale en hydrocarbures ne sera pas affectée par le décret canadien.
Cela signifie que chaque baril de pétrole ou mètre cube de gaz laissé dans le sol ici sera extrait du sol ailleurs. Il se peut que nos émissions diminuent, mais celles d’un autre pays augmenteront. En fait, si les normes environnementales de cet autre pays sont moins strictes que les nôtres, cette hausse des émissions pourrait bien dépasser nos réductions locales, auquel cas les émissions mondiales finiraient par augmenter!
Mais si cette manœuvre politique ne permet pas de sauver la planète, elle aura en revanche des conséquences économiques négatives très concrètes pour les Canadiens.
Je ne peux m’empêcher de conclure que le gouvernement fédéral est tout simplement en train de politicailler et que ce plafond d’émissions n’a absolument rien à voir avec la lutte contre le changement climatique.
D’une part, de nombreux Canadiens perdront leur emploi. Un rapport publié en mars dernier par la société de conseil Deloitte estime qu’une telle mesure entraînerait la perte, ou empêcherait la création, de 112 900 emplois au pays d’ici à 2040.
Et les emplois dans le secteur pétrolier et gazier sont particulièrement attrayants, dans la mesure où ils sont parmi les mieux rémunérés au pays. Le salaire moyen des travailleurs de l’extraction pétrolière et gazière est de 151 461 $, soit près de 2,4 fois le salaire moyen canadien.
Les travailleurs du secteur ne seront pas les seuls à en pâtir. Le même rapport de Deloitte estime que d’ici 2040, la nouvelle réglementation réduirait le PIB canadien d’un pour cent par rapport à son potentiel. Cela peut sembler négligeable, mais pouvons-nous vraiment nous permettre de retrancher 34,5 milliards de dollars au potentiel économique du Canada?
Le Conseil canadien des affaires a reconnu, dans une déclaration publique, que l’imposition d’un plafond pour les émissions pétrolières et gazières appauvrirait les Canadiens et qu’il s’agissait d’une politique particulièrement néfaste compte tenu de la stagnation actuelle de l’économie canadienne. Le Conseil estime également que cette mesure « envoie un mauvais signal à notre principal partenaire commercial » et qu’elle « restreindrait le commerce énergétique transfrontalier et nuirait à nos intérêts communs en matière d’économie et de sécurité ».
Bill Morneau, le ministre des Finances pendant les cinq premières années du mandat de Justin Trudeau, a également critiqué publiquement la mesure ces dernières semaines. Il a suggéré que le gouvernement réévalue l’échéancier du plafonnement des émissions du secteur pétrolier et gazier de manière à mieux s’aligner sur les États-Unis et leur futur président. Il a souligné que le monde avait beaucoup changé depuis le premier mandat de M. Trump et que « la sécurité énergétique deviendra un enjeu majeur ».
Rien de tout cela n’a d’importance si votre objectif principal est de vous en prendre au secteur pétrolier et gazier, coûte que coûte. Mais si l’objectif est de gouverner de manière responsable, dans l’intérêt des Canadiens et des Canadiennes, alors il faut renoncer au plafonnement des émissions de gaz et de pétrole.
Daniel Dufort est président et directeur général de l’IEDM. Il signe ce texte à titre personnel.