Le cirque clownesque du nationalisme économique
Le nationalisme économique, en plus d’être une forme insidieuse de protectionnisme, a ce petit défaut: il donne parfois l’impression de vivre dans une république de bananes.
Cette semaine, le gouvernement de François Legault a décidé d’accorder une aide financière de 200 M$ US (276 M$ CA) aux trois actionnaires milliardaires du Cirque du Soleil dans le but de leur donner un coup de pouce dans la relance de l’entreprise.
Les actionnaires bénéficiaires de ces fonds publics québécois sont le fonds américain TPG, le fonds chinois Fosun et la Caisse de dépôt et placement du Québec. Probablement pas des pauvres.
D’ailleurs, je me demande bien ce qu’en pense Guy Laliberté, lui qui s’inquiétait publiquement, il y a quelques années, «des trop grandes inégalités entre les riches et les pauvres». Ceci, bien sûr, en nous faisant la morale à ce sujet depuis son île privée en Polynésie française.
Peut-être que si le gouvernement ne venait pas siphonner 200 M$ US de la poche des petits travailleurs pour les donner à des actionnaires milliardaires, il y en aurait moins, d’inégalités?
Pendant que des PME crèvent et qu’on méprise les preneurs de risque, on récompense les échecs des extrêmement riches.
C’est aussi ça, le nationalisme économique.
Le gouvernement du Québec devrait se concentrer sur ses missions de base et cesser de jouer aux apprentis sorciers de l’économie.
Notez que, personnellement, j’aime bien les spectacles du Cirque du Soleil. Ils sont en général saisissants et créatifs. Mais pourquoi ce type d’entreprise devrait-elle bénéficier des largesses de l’État, sous prétexte qu’il faut absolument qu’elle demeure au Québec, sous contrôle québécois?
Qu’un entrepreneur québécois vende librement son entreprise à des Américains ou des Européens, tant mieux pour lui, il n’y a pas de mal à ça. Bien sûr, si des gens perdent leur emploi – ce qui arrive aussi quand le propriétaire demeure québécois – il y aura une période d’ajustement. Mais d’autres entreprises, aujourd’hui étrangères, se trouveront à être achetées par des Québécois à leur tour. De plus, la vente à un nouveau propriétaire résulte parfois en fait en une expansion des activités, et non forcément l’inverse.
D’ailleurs, quand Couche-Tard achète des dépanneurs aux États-Unis, est-ce qu’on pense que c’est une mauvaise chose pour les Américains? Pas besoin de faire de débats de société chaque fois que ce genre de transaction survient. Et surtout, pas besoin de siphonner les poches des contribuables sitôt que l’on craint qu’une entreprise disparaisse, ou que son siège social déménage. De toute façon, en ce cas précis, Québecor, une entreprise bien d’ici, avait manifesté un certain intérêt, sinon un intérêt certain envers une possible acquisition. Je ne prends pas ici parti en faveur d’un acquéreur potentiel en particulier plutôt qu’un autre, j’indique seulement qu’il existait des possibilités.
Le protectionnisme (qui se déguise souvent sous le manteau du nationalisme économique) est une vieille fausse bonne idée qui relève d’une conception prémoderne de l’économie. Aux 16e et au 17e siècle, ce protectionnisme prenait souvent la forme du «mercantilisme». Il a été intellectuellement taillé en pièces à partir du 18e siècle par des économistes comme Adam Smith, Jean-Baptiste Say, James Mill, John Stuart Mill, David Ricardo, et d’autres.
Or, il est toujours navrant de réaliser à quel point certains concepts économiques de base demeurent au fond très incompris, et ce, même chez des citoyens éduqués occupant des positions importantes au sein de la société. Ou peut-être connaissent-ils parfaitement ce à quoi je fais référence, mais décident néanmoins de faire la sourde oreille?
Michel Kelly-Gagnon est président et directeur général de l’IEDM. Il signe ce texte à titre personnel.