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Le Canada doit revoir sa stratégie en matière d’oléoducs

Note économique sur la nécessité de diversifier les exportations canadiennes de pétrole en construisant de nouveaux oléoducs, le moyen le plus sécuritaire et écologique de transporter le pétrole

L’annulation du permis de Keystone XL par le président américain Joe Biden à son premier jour en poste met en lumière le risque pour le Canada de dépendre d’un seul pays pour ses exportations de produits pétroliers. Or, selon ce qui ressort de cette Note économique, la construction de nouveaux oléoducs en sol canadien permettrait justement au pays de réduire ce risque et de maximiser les revenus provenant de l’exportation du pétrole, facilitant ainsi la création d’emplois et l’amélioration du niveau de vie des Canadiens.

En lien avec cette publication

Pétrole: mettons fin à notre dépendance envers les États-Unis (Le Quotidien, 25 février 2021)

To save Canada’s energy industry, we need to end dependence on the US market (Western Standard, 25 février 2021)

Diane Francis: Why it’s time to resurrect Energy East (Financial Post, 25 février 2021)

Canada needs Enbridge’s Line 5 (Sun Media Papers, 27 février 2021)

Canada needs west-east oil pipeline to end dependence on America as global demand grows: report (Canadian Energy Centre, 8 mars 2021)

«Build pipelines across Canada»: Montreal Economic Institute (The Suburban, 10 mars 2021)

Should Canada build more pipelines? (Journal of Commerce, April 5, 2021)

Entrevue avec Miguel Ouellette (Mario Dumont, QUB radio, 25 février 2021)

Entrevue (en anglais) avec Miguel Ouellette (Roy Green Show, Global Radio, 28 février 2021)

Entrevue avec Miguel Ouellette (Le café show, Ici Radio-Canada, 2 mars 2021)

 

Cette Note économique a été préparée par Miguel Ouellette, directeur des opérations et économiste à l’IEDM. La Collection Énergie de l’IEDM vise à examiner l’impact économique du développement des diverses sources d’énergie et à réfuter les mythes et les propositions irréalistes qui concernent ce champ d’activité important.

Dès l’élection de Joe Biden en novembre dernier, l’attention au Canada s’est tournée vers ce que celle-ci pourrait représenter pour notre économie et notre secteur de l’énergie. Durant sa première journée en poste le 20 janvier dernier, le président Biden a signé un décret présidentiel annulant le permis de Keystone XL(1). Compte tenu de ses prises de position durant sa campagne(2), on peut s’attendre à ce que cette décision coûteuse, tant pour les Américains que pour les Canadiens, soit suivie d’autres semblables.

Les gouvernements canadiens, tant au niveau fédéral que provincial, devront sans aucun doute composer avec ce changement de vision chez nos voisins du Sud et revoir, dès maintenant, leur stratégie économique quant aux projets énergétiques. En effet, l’arrivée d’un président américain qui s’oppose aux projets énergétiques chers à l’économie canadienne, jumelée à une mobilisation accrue des groupes de pression anti-oléoducs, comporte des risques très élevés. Il importe donc d’y voir clair et de saisir l’opportunité économique qui s’offre aux Canadiens.

En effet, au cours des dernières décennies, l’industrie pétrolière et gazière canadienne s’est hissée au rang des plus importantes au monde. Le Canada est aujourd’hui le quatrième exportateur net mondial et le sixième producteur mondial d’énergie(3). À l’échelle nationale, le secteur de l’énergie emploie directement et indirectement plus de 830 000 travailleurs en plus de représenter environ 10 % de notre PIB(4).

D’ailleurs, au cours des cinq dernières années, l’industrie pétrolière et gazière a garni les coffres de l’État fédéral à hauteur de 14 milliards de dollars, en moyenne, par année. À titre comparatif, le total de ces recettes publiques perçues représente plus de la moitié de la somme des déficits de toutes les provinces pendant la pandémie(5). L’effervescence économique de ce secteur a aussi permis aux entreprises pétrolières et gazières canadiennes d’investir massivement en recherche et développement, faisant diminuer les émissions de gaz à effet de serre par baril du pétrole des sables bitumineux de 36 % entre 2000 et 2018(6). Malgré les obstacles réglementaires, politiques et ceux liés à la conjoncture économique mondiale, l’industrie pétrolière et gazière canadienne a toujours su se relever et continuer de croître. Les familles canadiennes bénéficient d’un secteur énergétique fort et financièrement stable, et nous nous devons de le préserver.​

Le moyen de transport le plus sécuritaire et écologique

Contrairement à ce que prétendent plusieurs groupes de pression, les oléoducs sont le moyen de transport des combustibles le plus sécuritaire et écologique pour le Canada. Un processus rigoureux et éprouvé a été élaboré à l’échelle nationale afin de minimiser les risques inhérents au transport de combustibles par oléoduc, y compris sur le plan environnemental.

Tel est le rôle de la Régie de l’énergie du Canada(7) qui réglemente les oléoducs durant tout leur cycle de vie – allant de leur conception à l’évaluation de la demande d’approbation, en passant par leur construction et leur exploitation jusqu’à la cessation de leur exploitation(8). Aux termes de la Loi sur la sûreté des pipelines, les pollueurs sont tenus financièrement responsables de tous les frais et dommages qu’ils causent à l’environnement(9). D’ailleurs, les entreprises en violation de la loi sont sujettes à des amendes pouvant aller jusqu’à un million de dollars et leurs dirigeants sont passibles de peines d’emprisonnement d’un à cinq ans.

Ces dispositions ont incité les entreprises à prendre des mesures de sécurité concrètes. Les oléoducs sont désormais surveillés en tout temps à partir de centres de contrôle centralisés qui reçoivent notamment des données en temps réel sur la pression et le volume(10). C’est entre autres grâce à ces mesures que les projets d’oléoducs sont devenus si sécuritaires.

Les déversements, fuites et ruptures d’oléoducs sont désormais extrêmement rares. En moyenne, chaque année, plus de 99,99 % du pétrole transporté par les oléoducs sous réglementation fédérale l’a été en toute sécurité(11). Lorsqu’il se produit des déversements de pétrole, ce n’est qu’en très faible quantité et cela se limite habituellement au site de l’oléoduc, où la récupération est faite lors d’opérations de nettoyage. En fait, d’après la Régie, c’est l’équivalent approximatif de deux wagons-citernes qui se déverse chaque année au Canada(12).

En comparaison, en février 2020, un seul déraillement a déversé 1,2 million de litres de pétrole en Saskatchewan(13), soit l’équivalent d’environ sept fois la quantité totale de pétrole déversé par oléoduc chaque année. Sans compter que le transport de combustibles par oléoduc émet de 61 % à 77 % moins de GES que le transport par train(14). De plus, il n’y a eu aucun accident mortel lié directement à l’exploitation d’un système d’oléoduc de compétence fédérale depuis 1990(15).

Il ne s’agit pas de remettre en question la pertinence et la sécurité du transport de combustibles par train, bateau ou camion, mais bien de mettre en lumière les bénéfices associés aux oléoducs et de montrer que de nouveaux projets d’oléoducs ne compromettront aucunement notre sécurité ou la protection de l’environnement sur notre territoire.

S’ouvrir à de nouveaux marchés

Lorsque le Canada ou les États-Unis annulent un projet d’oléoduc, comme ce fut le cas avec Keystone XL, ou encore lorsqu’un projet comme Énergie Est tombe à l’eau, il serait erroné de prétendre que les barils de pétrole qui devaient y être transportés ne seront simplement pas produits. En fait, bien qu’une partie du volume puisse ne pas être produite, l’autre partie sera potentiellement plutôt acheminée par train, camion ou bateau.

Dans le cas précis de Keystone XL qui devait transporter le pétrole de l’Alberta vers les raffineries du sud des États-Unis, ces dernières ont affirmé qu’elles devront se tourner en partie vers des importations de pays moins stables politiquement, notamment en Amérique latine et au Moyen-Orient. L’autre partie sera produite directement en sol américain ou importée du Canada par d’autres moyens de transport.

Qui plus est, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) prévoit que la demande mondiale de pétrole augmentera d’environ 9 % d’ici 2045(16), alors que celle des pays des Amériques membres de l’OCDE(17), principalement les États-Unis, diminuera de plus de 20 %. Pourtant, 98 % des exportations canadiennes de pétrole sont envoyées chez nos voisins du Sud(18).

Mettre tous ses œufs dans le même panier représente donc une stratégie risquée pour le Canada, qui devrait revoir sa stratégie en matière d’exportations. Les différents paliers de gouvernements devraient faciliter la création de nouveaux projets d’oléoducs au Canada pour mettre en place une infrastructure permettant une diversification de nos exportations de pétrole.

Comme nous pouvons le voir dans la Figure 1, plusieurs marchés mondiaux connaîtront une hausse importante de la demande de pétrole d’ici 2045. La demande explosera de 130 % en Inde et de plus de 40 % dans de nombreux autres pays asiatiques. Il s’agit d’une occasion en or pour le Canada non seulement d’augmenter la valeur de ses exportations, mais aussi de changer sa stratégie risquée de client unique.

Au pays, deux projets importants d’oléoducs transportant du pétrole sont en cours, soit l’expansion de Trans Mountain et le remplacement du pipeline de la Ligne 3 d’Enbridge. À eux seuls, ces deux projets créeront une infrastructure ayant la capacité d’augmenter nos exportations d’environ 12 %(19). Le Tableau 1 illustre leur importance en volume d’exportations et la valeur monétaire qui leur est associée. Deux autres projets sont inclus, soit Énergie Est et Keystone XL. Bien que ceux-ci aient été annulés, il est important de bien saisir les sommes que nous perdrons chaque jour.

Selon nos calculs(20), si les quatre projets avaient eu lieu, cette infrastructure aurait eu la capacité de générer plus de 146 millions de dollars par jour en exportations pour le Canada. Cette estimation est d’ailleurs prudente, puisqu’elle n’inclut pas les taxes et les recettes fiscales perçues, les redevances et autres revenus associés à l’exploitation de ces oléoducs. De plus, la valeur des exportations est fonction du prix du baril de pétrole, et plusieurs analystes(21) estiment que celui-ci augmentera à moyen terme. Élargir nos exportations à d’autres clients permettrait également de tirer le maximum de bénéfices par baril et de potentiellement hausser leur valeur totale.

Si ces projections illustrent le potentiel économique considérable d’augmenter nos exportations, elles révèlent aussi les coûts de ne pas acheminer le pétrole de l’Ouest vers la côte est du pays, comme aurait pu le faire Énergie Est. L’infrastructure principale arrête actuellement à Montréal, menant les raffineries des provinces maritimes à importer une partie substantielle de leur pétrole de l’Arabie saoudite. Bien entendu, même en présence d’un oléoduc, ces raffineries continueraient sans doute d’importer une partie du pétrole d’autres pays afin de diversifier leurs sources, mais cela permettrait à cette région de consommer davantage de pétrole canadien et de contribuer à la croissance de notre secteur énergétique.

Il serait donc tout à l’avantage du Canada de revoir sa stratégie en matière d’oléoducs en priorisant deux axes. Le premier consisterait à encourager la construction de nouveaux oléoducs permettant d’augmenter nos exportations vers de nouveaux marchés afin de diversifier les clients du Canada. Le deuxième, à favoriser les projets qui acheminent le pétrole d’ouest en est pour la consommation nationale.

Tout en gardant ce changement de stratégie en tête, il est à noter que celle-ci s’applique aussi aux projets d’oléoducs transportant du gaz naturel ou ceux à venir pour le transport d’hydrogène. Par exemple, mettre en péril des infrastructures comme la Ligne 5 d’Enbridge, qui transporte tant du pétrole que du gaz naturel, aurait aussi des effets économiques dévastateurs. C’est la vision économique du Canada envers son secteur énergétique qui doit changer. Le Canada se doit d’être axé sur le futur et ouvert aux possibilités qui se présentent.

Conclusion et recommandations

Le Canada est responsable de seulement 1,6 % de tous les GES émis mondialement et les émissions des sables bitumineux par baril ont diminué de 36 % entre 2000 et 2018(22). Nos gouvernements et l’industrie font des efforts constants pour améliorer le bilan environnemental du Canada, tout en investissant à coups de milliards dans la recherche et développement pour la création de technologies plus vertes.

Ces efforts sont tout à fait compatibles avec l’opportunité économique que représente la construction de nouveaux oléoducs. De nouvelles infrastructures permettraient de maximiser le volume de combustibles transportés par le moyen le plus sécuritaire et écologique, de remplacer les importations d’autres pays par du pétrole provenant d’une industrie canadienne au comportement responsable et éthique, et finalement de diversifier nos exportations en générant des milliards de dollars par années en retombées économiques qui permettront notamment de regarnir les coffres de l’État.

Afin d’y arriver, nous recommandons aux décideurs politiques des différents paliers de gouvernements de :

  • faire tout en leur pouvoir pour convaincre et inciter les États-Unis à faire marche arrière en ce qui a trait à l’annulation de projets énergétiques conjoints et promouvoir les bénéfices économiques pour les deux pays de la réalisation de tels projets;
  • travailler main dans la main, entre provinces, pour permettre au pétrole de l’Ouest d’être acheminé par oléoduc jusqu’à la côte est canadienne;
  • mieux évaluer le risque associé à la dépendance envers un client unique, soit les États-Unis, et ainsi l’importance du rôle des oléoducs dans la diversification de nos exportations de combustibles et des revenus publics qui en découlent.

Références

  1. Radio-Canada, « 1000 emplois éliminés en raison de l’annulation de Keystone XL », 21 janvier 2021.
  2. Alexandre Shield et Hélène Lequitte, « Quel avenir pour le pipeline Keystone XL sous le règne de Joe Biden? », Le Devoir, 11 novembre 2020.
  3. Gouvernement du Canada, Ressources naturelles Canada, Science et données, Données et analyse, Données et analyse énergétiques, Faits saillants sur l’énergie, Énergie et Économie, 6 octobre 2020.
  4. Idem.
  5. Calculs de l’auteur.
  6. Gouvernement du Canada, Ressources naturelles Canada, Science et données, Données et analyse, Données et analyse énergétiques, Faits saillants sur l’énergie, Énergie et les émissions de gaz à effet de serre (GES), 6 octobre 2020.
  7. La Régie, antérieurement l’Office national de l’énergie.
  8. Gouvernement du Canada, Ressources naturelles Canada, Nos ressources naturelles, Sources d’énergie et réseau de distribution, Combustibles fossiles propres, Pipelines, Le réseau de pipelines canadiens, 14 septembre 2020.
  9. Ressources Naturelles Canada, « La sécurité des pipelines », mai 2016, p. 1.
  10. Gouvernement du Canada, Ressources naturelles Canada, Nos ressources naturelles, Sources d’énergie et réseau de distribution, Combustibles fossiles propres, Pipelines, Foire aux questions (FAQ) sur les pipelines de pétrole sous réglementation fédérale au Canada, 22 septembre 2020, section 3.4.
  11. Gouvernement du Canada, op. cit., note 8.
  12. Gouvernement du Canada, op. cit., note 10, section 3.2.
  13. Kelly Geraldine Malone, « 1.2M litres of oil spilled in Guernsey, Sask. CP train derailment », Global News, 11 février 2020.
  14. Balwinder N. et al., « Life cycle Analysis of Bitumen Transportation to Refineries by Rail and Pipeline », Environmental Sciences and Technology, vol. 51, no 1, 3 janvier 2017, p. 680.
  15. Bureau de la sécurité des transports du Canada, « Sommaire Statistique : Événements de transport pipelinier 2019 », février 2020, p. 2.
  16. OPEP, 2020 World Oil Outlook 2045, octobre 2020, p. 61.
  17. États-Unis, Canada, Mexique, Chili.
  18. Gouvernement du Canada, Ressources naturelles Canada, Science et données, Données et analyse, Données et analyse énergétiques, Faits saillants sur l’énergie, Faits sur le pétrole brut, 6 octobre 2020.
  19. Calculs de l’auteur.
  20. Nos projections et calculs ont été effectués avec les données les plus récentes (2019), soit celles d’avant la pandémie de la COVID-19. Étant donné l’impact de celle-ci sur l’économie mondiale et son caractère de choc temporaire, il serait trompeur d’utiliser des données de 2020 pour établir des projections dans le moyen et long terme.
  21. Michael Franklin, « Optimism regarding COVID-19 could bolster oil and gas industry: Deloitte report », CTV News, 6 janvier 2021.
  22. Gouvernement du Canada, op. cit., note 6.
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