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Le Canada doit protéger et encourager davantage la liberté d’expression

Note économique évaluant les dommages économiques collatéraux associés aux limites imposées sur la liberté d’expression qui viennent ralentir et décourager l’innovation

Un climat de censure semble s’installer sur nos campus universitaires, dans des institutions culturelles et même auprès du grand public. Or ce nouveau puritanisme nuit à l’économie et appauvrit les Québécois. Cette publication montre en effet que ceux-ci seraient plus riches si la liberté d’expression était encore plus grande.

En lien avec cette publication

Il faut protéger notre liberté d’expression (Le Journal de Montréal, 14 janvier 2021)

Freedom of expression is under attack in Canada (Western Standard, 14 janvier 2021)

Montreal Economic Institute says «puritanism and censorship» hurts economy (The Suburban, 20 janvier 2021)

À travers le monde, on observe que la liberté d’expression et l’enrichissement de la population sont intimement liés (Quartier Libre, 16 février 2021)

Entrevue avec Miguel Ouellette (Richard Martineau, QUB radio, 14 janvier 2021)

Entrevue (en anglais) avec Maria Lily Shaw (The Andrew Lawton Show, True North, 19 janvier 2021)

Entrevue (en anglais) avec Maria Lily Shaw (CTV News at Noon – Montreal, 18 janvier 2021)

 

Cette Note économique a été préparée par Miguel Ouellette, directeur des opérations et économiste à l’IEDM, et Maria Lily Shaw, économiste à l’IEDM.

Dans les dernières années, un mouvement important de censure s’est établi dans la population universitaire, mais aussi au sein du grand public. Un courant qui prône une pensée unique et qui tente, parfois même de façon coercitive(1), de faire taire les individus ayant une vision différente de celle-ci. C’est d’ailleurs le cas aux États-Unis, dans plusieurs universités où des professeurs et chercheurs ont l’impression de constamment marcher sur des œufs et subissent du harcèlement de plusieurs étudiants. Malheureusement, ce mouvement semble devenir de plus en plus populaire au Canada, comme nous l’avons vu à l’Université d’Ottawa dans les derniers mois(2), et ne touche pas seulement le réseau académique, mais aussi les médias et une certaine tranche plus radicale de la population générale.

Dans une économie de marché comme la nôtre, la liberté d’expression a été un des piliers de la richesse accumulée au fil du temps et de notre bien-être actuel. C’est d’ailleurs l’opposition d’idées et la diversité des goûts qui ont incité nos entreprises à innover et à constamment chercher une façon de répondre aux différents besoins et préférences du marché. En supprimant les incitations à se démarquer et à s’améliorer, la censure et les menaces contre la liberté d’expression ont donc aussi des conséquences économiques dommageables. ​

Liberté d’expression rime avec croissance économique

Pour plusieurs adeptes de l’encadrement subjectif et strict de la liberté d’expression, le discours haineux serait si coûteux pour la société qu’il justifierait une intervention de nos gouvernements et des administrations d’universités. Bien que la société doit avoir comme but de diminuer la présence de ce type de discours, cet argument rate la cible en se concentrant seulement sur un élément, sans considérer les dommages économiques collatéraux associés aux limites imposées sur la liberté d’expression qui viennent ralentir et décourager l’innovation(3).

Bien qu’il soit vrai que le discours haineux envers des individus ou des groupes ne soit jamais celui qui favorisera l’innovation, son encadrement pourrait néanmoins engendrer des coûts pour la société, bien supérieurs aux gains de jouir d’un discours plus homogène et libre de paroles désobligeantes.

Si un encadrement était imposé et que les pénalités associées à avoir tenu un « mauvais » discours étaient assez grandes, par exemple un congédiement ou des amendes, la simple peur d’être controversé sans le vouloir pourrait diminuer la probabilité de s’engager dans des débats ou conversations. Cette autocensure ne serait pas sans conséquence.

À ce sujet, la littérature économique et scientifique en général est claire : les échanges d’idées stimulent l’innovation, et l’innovation est un des moteurs principaux de la croissance économique et de la hausse de nos niveaux de vie. C’est exactement ce que des chercheurs et économistes de l’université Stanford(4), du Dartmouth College(5) et de l’université de Californie à Berkeley(6) ont exprimé dans des articles académiques.

De surcroît, en analysant les données de 132 pays(7), nous constatons aussi qu’il existe bel et bien une corrélation entre la liberté d’expression et la richesse d’une nation, comme la courbe de tendance dans la Figure 1 l’illustre. Plus un pays favorise la liberté d’expression, plus il est riche.

Il est clair que la liberté d’expression ne soit pas la seule variable expliquant le niveau de richesse des habitants d’un pays et il importe de tenter d’isoler l’effet de la liberté d’expression à l’aide d’un modèle économique afin d’en tirer des conclusions plus rigoureuses – ce que nous avons d’ailleurs fait dans la prochaine section.

Toutefois, que nous prenions la richesse par habitant, la longévité de la population, le niveau d’éducation ou bien le taux de mortalité infantile, ce sont généralement les pays les plus libres, tant économiquement qu’au niveau de la liberté d’expression, qui font meilleure figure. Il est empiriquement clair que d’encourager les échanges d’idées favorise l’innovation et ainsi la hausse de nos niveaux de vie.

De plus, la liberté d’expression doit aussi comprendre et favoriser les libertés de presse et de débattre sur les campus académiques, ainsi que le droit de contester les orientations de nos gouvernements.

Sinon, en partant de l’hypothèse qu’une partie de la population détienne la vérité absolue, ce qui ne justifierait toujours pas de censurer les échanges d’idées, à quoi bon avoir transformé notre système d’éducation qui prônait autrefois l’endoctrinement, souvent religieux, pour un système plus libéral en ce qui a trait aux enseignements? Un pas dans la direction du retour au dogme est le contraire du progressisme que la société moderne valorise tant.

Les gains pour les Canadiens

Favoriser les échanges d’idées et la protection de la liberté d’expression est intuitivement bénéfique et les études académiques plus qualitatives le confirment. Mais concrètement, pour le Canadien moyen, que gagnerait-il économiquement si nos gouvernements mettaient en place des politiques publiques allant dans le sens des conclusions de la littérature scientifique à ce sujet?

Pour répondre à cette question, nous avons bâti un échantillon de 132 pays en y soutirant diverses variables pertinentes reliées à la richesse des habitants, à la démographie, à la santé, à l’éducation et bien sûr à la liberté d’expression. Puis à l’aide d’un modèle économétrique, nous avons isolé l’effet de la liberté d’expression sur la richesse des Canadiens (voir notre Annexe technique). L’idée étant de confirmer les conclusions des études qualitatives et des principes fondamentaux, tout en chiffrant le gain monétaire moyen par Canadien associé à l’amélioration de notre performance en matière de liberté d’expression.

Au sein de notre échantillon, le Canada figure parmi les 15 % des pays les plus libres en matière d’expression. S’il est vrai que nous vivons dans une société relativement libre, prendre ce bon classement comme acquis serait une erreur. En fait, nos calculs démontrent qu’il serait bénéfique pour le Canada et ses habitants de s’améliorer.

Comme l’illustre le Tableau 1, si le Canada mettait en place des politiques publiques favorisant davantage la liberté d’expression et qu’il arrivait à prendre la place de la Norvège, qui est le pays faisant meilleure figure à ce niveau, les Canadiens seraient individuellement plus riches de 2 522 dollars canadiens annuellement en moyenne(8). Plus précisément, pour chaque rang additionnel que le Canada gagnerait, chacun de ses habitants serait plus riche d’environ 150 dollars annuellement en moyenne.

Comme la théorie économique et les évidences empiriques l’expliquent, favoriser la liberté d’expression stimule, entre autres, l’innovation, l’entrepreneuriat et l’efficacité de la recherche, et incite nos décideurs politiques à mieux gérer les finances publiques. Ce sont toutes ces conséquences mises ensemble qui expliquent les gains annuels par habitant qui en découlent et que nous retrouvons dans le tableau. Évidemment, il ne s’agit pas d’un chèque envoyé par la poste à la fin de l’année, mais d’une hausse graduelle de nos niveaux de vie propulsée par les effets découlant de plus de liberté d’expression.

Bien entendu, se lancer dans des campagnes de censures, comme le souhaitent certains groupes de pression ou politiciens, aurait l’effet contraire, soit celui de réduire la richesse des Canadiens. Même si l’intention derrière le désir de bannir les discours haineux ou les idées provocatrices peut être parfois louable, les effets pervers économiques et sociaux sont bien réels.

Puisque la liberté d’expression n’est pas un indicateur aussi facilement quantifiable que le taux de chômage par exemple, le rang des pays sélectionnés a été conçu, entre autres, selon le niveau de pluralisme, l’indépendance des médias, l’environnement social et l’autocensure, le cadre légal, la transparence, la qualité des infrastructures d’informations et la présence de violence(9).

Ces conditions, qui déterminent le degré de liberté d’expression d’un pays donné, nous permettent ensuite de formuler des propositions concrètes de politiques publiques afin de rendre le Canada plus compétitif à ce sujet et d’en tirer les bénéfices économiques.

Il n’est pas étonnant de constater ce lien de cause à effet entre la liberté d’expression et la richesse des habitants d’un pays. Les pays dans le monde où les citoyens sont soumis à un régime autoritaire et liberticide sont aussi ceux qui sont généralement les moins riches, bien que la liberté d’expression ne soit qu’une variable à prendre en compte. Toutefois, en Occident, il est plus difficile de bien saisir les différences entre les pays en ce qui a trait à la liberté d’expression, puisque la grande majorité est relativement libre, tout comme le Canada.

Cependant, en creusant davantage, il devient clair que des différences flagrantes existent entre nos pays. Par exemple, en Norvège, il est monnaie courante de voir des efforts constants de la part de politiciens, encouragés par les citoyens, pour protéger davantage la liberté d’expression, tant au niveau national que mondial. D’ailleurs, il y a quelques années, ce pays s’est doté d’un plan d’action national et international pour favoriser l’indépendance des médias, réduire les limites déjà faibles aux échanges d’idées et augmenter la transparence de l’État(10).

Au Canada et dans plusieurs provinces en particulier, dont le Québec, l’État peut décider arbitrairement de subventionner un média plutôt qu’un autre, ce qui peut potentiellement nuire à l’indépendance des médias et donc mener à des informations biaisées et moins fiables. De plus, les échanges d’idées sont parfois découragés par plusieurs associations étudiantes sur les campus(11). Sans compter qu’il est de plus en plus difficile d’obtenir de l’information de nos gouvernements via des demandes d’accès à l’information(12). Ces exemples illustrent une partie de la différence qui existe entre la Norvège et notre pays, et qui devrait être diminuée, voire même éliminée, au bénéfice des Canadiens.

Nos recommandations

Ainsi, pour y arriver, nous proposons entre autres à nos gouvernements provinciaux et fédéral de collaborer afin de se doter d’un plan de promotion de la liberté d’expression qui viendrait :

  • Favoriser l’indépendance des médias envers le gouvernement en limitant les subventions arbitraires et, à la place, en créant un cadre réglementaire et fiscal favorable à tous les médias, incluant ceux qui souhaiteraient entrer sur le marché;
  • Inciter les universités publiques canadiennes à protéger la liberté d’expression afin qu’elles permettent réellement à leurs chercheurs, professeurs et étudiants de s’exprimer librement sans risque de représailles;
  • Augmenter les informations et données disponibles à la population en diminuant la nécessité de faire des demandes d’accès à l’information, et ce afin de faciliter les débats publics.

Avec la montée d’un mouvement prônant la pensée unique et encourageant des mesures de censure, nos gouvernements ne doivent pas céder à la pression. Les demandes de ces groupes sont économiquement néfastes, et le bien-être qui découle de vivre dans un pays relativement libre comme le Canada ne doit pas être compromis. S’il faut tirer un enseignement de la littérature scientifique et des calculs présentés dans cette publication, c’est qu’il faut en faire davantage pour protéger la liberté d’expression des Canadiens et Canadiennes.

Références

  1. Katy Steinmetz, « Fighting Words: A Battle in Berkeley Over Free Speech », Time, 1er juin 2017.
  2. Radio-Canada, « “J’ai peur depuis la première journée”, admet Verushka Lieutenant-Duval », 21 octobre 2020.
  3. Il ne s’agit pas ici des limites associées aux menaces de mort et à la diffamation au sens légal du terme.
  4. Charles I. Jones, « Sources of U.S. Economic Growth in a World of Ideas », American Economic Association, vol. 92, no 1, mars 2002, p. 5-11.
  5. Susan J. Brison, « The Autonomy Defense of Free Speech », Ethics, vol. 108, no 2, janvier 1998, p. 317.
  6. Erwin Chemerinsky et Howard Gillman, Free Speech on Campus, Yale University Press, septembre 2017, chapitre 2.
  7. Lorsque les données pour un pays n’étaient pas disponibles, nous l’avons retiré de l’échantillon.
  8. Il s’agit ici du gain en termes de PIB par habitant. À titre informatif, le PIB par habitant au Canada en 2018 était d’environ 59 600 dollars canadiens, alors que le revenu annuel moyen par habitant était de 48 000 dollars canadiens. Trading Economics, « Canada GDP per capita », 2019; Statistique Canada, Tableau 11-10-0239-01 : Revenu des particuliers selon le groupe d’âge, le sexe et la source de revenu, Canada, provinces et certaines régions métropolitaines de recensement, 24 novembre 2020.
  9. Voir le « Classement mondial de la liberté de la presse », qui agit comme indicateur de ce que nous définissons comme étant la liberté d’expression. Reporters Sans Frontières, « Méthodologie détaillée du classement mondial de la liberté de la presse », 2020.
  10. Open Government Partnership, « Promote Freedom of Expression and Independent Media (NO0051) », 2020.
  11. Campus Freedom Index, « 2020 Campus Freedom Index – Summary of Findings », 2020.
  12. Countryeconomy, Data, Government, Global Right to Information Rating, Canada, consulté le 21 décembre 2020.
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