La Révolution tranquille au Québec: l’intervention de l’État n’explique pas le progrès économique
Point montrant que l’expansion de l’État québécois au début des années 1960 ne permet pas ou peu d’expliquer la convergence de la province avec le reste du Canada
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Ce Point a été préparé par Vincent Geloso, professeur adjoint en économie à la George Mason University et économiste senior à l’IEDM, et Chandler Reilly, professeur adjoint d’économie à la Metropolitan State University de Denver. La Collection Fiscalité de l’IEDM vise à mettre en lumière les politiques fiscales des gouvernements et à analyser leurs effets sur la croissance économique et le niveau de vie des citoyens.
Les propositions de réforme relatives au rôle du gouvernement québécois et à son degré d’implication dans l’économie évoquent fréquemment certains événements historiques. Ainsi, on pense souvent au Québec qui a surmonté sa pauvreté relative au sein du Canada grâce à l’intervention accrue de l’État dans l’économie, dans la foulée de la Révolution tranquille du début des années 1960(1).
Dans cette étude, nous présentons un aperçu de nouvelles recherches qui montrent que l’expansion de l’État québécois ne permet pas ou peu d’expliquer la convergence de la province avec le reste du Canada.
La perspective conventionnelle
L’année 1960 est considérée comme une année cruciale, non seulement parce qu’elle marque la fin d’une intervention historiquement minimale de l’État dans l’économie québécoise(2), mais aussi parce que l’expansion de l’État a été plus rapide que celle observée dans le reste du Canada. Cela s’explique par sa plus grande implication dans de multiples marchés (par exemple, l’électricité, la fabrication de l’acier, l’apport de capitaux aux petites entreprises, l’augmentation des subventions à des groupes d’entreprises clés) et par une augmentation importante des dépenses consacrées à des missions sociales telles que l’éducation et la santé.
On prétend que cela permettrait d’expliquer pourquoi le Québec a pu combler son écart avec les régions les plus riches du Canada. En 1960, le revenu par habitant au Québec était inférieur de 29,4 % à 34,5 % à celui de l’Ontario(3). En 1975, l’écart s’était réduit pour se situer entre 22,6 % et 24,8 %(4).
Cette perspective conventionnelle n’a toutefois pas fait l’objet d’une analyse empirique sérieuse, notamment en ce qui concerne l’existence ou non d’un véritable lien de causalité. Après tout, le rattrapage du Québec aurait pu être attribuable à des facteurs sans rapport avec l’expansion de l’État. En effet, dans une étude récente, nous utilisons des méthodes d’inférence causale pour montrer que la convergence économique du Québec après 1960 ne peut être attribuée à l’implication accrue de l’État(5).
Un portrait plus précis
Afin de tester la perspective conventionnelle, nous avons recueilli des données socioéconomiques sur l’espérance de vie, la scolarisation, le revenu par habitant, le revenu par travailleur, le revenu ajusté à la taille du ménage, les salaires et les dépenses publiques de 1945 à 1975. Nous avons ainsi pu faire appel à ce que l’on appelle une « méthode à contrôle synthétique » pour former un Québec composite à partir d’un mélange d’autres provinces de la période antérieure à 1960. Le principe est le suivant : 1960 marque le début d’une « période de traitement » (à l’image d’une expérience en laboratoire) au cours de laquelle le Québec a bénéficié d’un traitement sous la forme d’une intervention étatique plus importante que partout ailleurs au Canada.
Le Québec composite est censé représenter ce qu’aurait été le Québec sans le traitement en question. Au cours de la période précédant le traitement (1945 à 1960), le Québec composite et le Québec réel devraient être identiques. Au cours de la période de traitement, la différence entre le Québec réel et le Québec composite représente l’effet causal du traitement, nous indiquant dans quelle mesure, le cas échéant, la Révolution tranquille a influencé le développement de la province.
Nous avons répété la procédure pour chacun des indicateurs socioéconomiques de notre base de données. Le Tableau 1 résume ces résultats en présentant les effets cumulés après 15 ans, c’est-à-dire en 1975.
Nos calculs montrent que, dans l’ensemble, la Révolution tranquille n’a guère amélioré le niveau de vie. En effet, parmi nos quatre indicateurs de niveau de vie, des effets positifs n’ont été observés que sur les salaires réels, et seulement temporairement, dans les années 1960, pour ensuite disparaître dans les années 1970. Toutefois, l’absence de résultats sur le PIB réel par travailleur ou par habitant laisse croire que ces effets transitoires sur les salaires horaires ont été compensés par une diminution du nombre d’heures travaillées ou des revenus non salariaux (tels que les revenus d’entreprise, les revenus des travailleurs autonomes ou les revenus d’investissement).
L’espérance de vie à la naissance affiche un léger gain de 0,11 an (moins de 2 %). Des gains de scolarisation de près d’une année sont également observés. Toutefois, ce dernier résultat est entièrement attribuable à l’augmentation de l’âge minimum pour quitter l’école au début des années 1960(6). Il ne peut être attribué à la plus grande intervention de l’État dans l’économie.
Au mieux, des preuves peu convaincantes
Bien que les preuves que la Révolution tranquille ait contribué à améliorer le niveau de vie soient peu concluantes, la taille de l’État québécois a certainement augmenté de façon spectaculaire après 1960. En 1975, le gouvernement dépensait près de 3 milliards $ de plus qu’il ne l’aurait fait sans la Révolution tranquille, et prélevait les montants d’impôt correspondants. Cette somme représente 4,7 % du PIB de l’époque. Considérés dans leur ensemble, les résultats empiriques brossent un tableau clair d’un État en expansion qui n’a guère contribué à améliorer les conditions de vie des Québécois.
Notre recherche est la première à utiliser des méthodes empiriques de pointe pour tester la thèse bien établie selon laquelle la Révolution tranquille serait à l’origine du rattrapage de la province par rapport au reste du Canada. Le Québec a certainement convergé, mais il s’avère que l’intervention accrue de l’État n’a pas été un facteur déterminant.
Références
- Rodney Haddow, Comparing Quebec and Ontario: Political Economy and Public Policy at the Turn of the Millennium, University of Toronto Press, 2015.
- Ruth Dupré, « Was the Quebec Government Spending so Little?: A Comparison with Ontario, 1867–1969 », Journal of Canadian Studies, vol. 28, no 3, août 1993, p. 45-61; Ruth Dupré, « Un siècle de finances publiques québécoises: 1867-1969 », L’Actualité économique, vol. 64, no 4, p. 559-583.
- Cet écart s’explique par le fait que l’une des données (la plus faible) repose sur le revenu par personne et l’autre sur le revenu par personne ajusté pour tenir compte des différences de taille des ménages. Vincent Geloso, Vadim Kufenko et Klaus Prettner, « Demographic change and regional convergence in Canada », Economics Bulletin, vol. 36, no 4, octobre 2016, p. 1904-1910.
- Ibid.
- Vincent Geloso et Chandler Reilly, « Revisiting Quebec’s Quiet Revolution: A Synthetic Control Analysis », Canadian Journal of Economics, 2024 (à paraître).
- Julien Gagnon, Vincent Geloso et Maripier Isabelle, « The incubated revolution: Education, cohort effects, and the linguistic wage gap in Quebec during the 20th century », Journal of Economic Behavior & Organization, vol. 207, mars 2023, p. 327-349; Philip Oreopoulos, « The Compelling Effects of Compulsory Schooling: Evidence from Canada », Canadian Journal of Economics, vol. 39, no 1, février 2006, p. 22-52.