Textes d'opinion

La politique de l’alarmisme

Bien avant le fameux « jour de la libération », la menace tarifaire américaine s’est accompagnée d’une véritable épidémie d’enflure verbale des deux côtés de la frontière canado-américaine. Pendant que le président américain s’évertue à rabaisser le prestige de ses propres fonctions avec des déclarations à l’emporte-pièce concernant l’avenir de notre pays, les commentateurs et politiciens canadiens contribuent à créer un climat de peur tout à fait délétère.

L’idée n’est pas ici de dire que ces derniers sont la cause des actions des Américains, mais bien de soulever un fait important : il est difficile de prendre les bonnes décisions lorsque nous sommes visiblement agités. C’est en entendant notre premier ministre déclarer que la relation que nous avions avec les États-Unis ne serait plus jamais la même que je me suis dit que le moment était venu de prendre une grande respiration par le nez.

Ce n’est pas parce que quelque chose est vraisemblable que cette chose est forcément vraie. Sans faire dans le déni, il importe de souligner que l’emplacement géographique joue un rôle tout à fait disproportionné dans les relations commerciales et diplomatiques, et ce ne sont pas des éléments qu’un mandat présidentiel ou une réaction canadienne intempestive ne saurait facilement altérer sur le long terme.

Si nous mettons tous nos œufs dans le même panier et agissons en présumant que notre relation avec les États-Unis ne sera plus jamais la même, cela pourrait justifier aux yeux de certains des décisions qu’il convient de qualifier de radicales soft. Par exemple, prenons l’idée voulant que le Canada doive développer sa propre industrie automobile en parfaite autarcie. On dit que le ridicule ne tue pas, et c’est bien souvent vrai, mais il peut certainement nous appauvrir.

C’est tout de même une bête symétrie : Trump s’appuie sur une fausse « urgence de sécurité nationale » pour imposer des tarifs destructeurs au Canada ainsi qu’au reste du monde, puis nos politiciens s’appuient sur une lecture plus mélodramatique que nécessaire d’une situation déjà grave pour justifier des mesures qui vont nous nuire. C’est un jeu à somme négative. Une course vers le bas.

Certains affirment que notre relation avec les États-Unis a changé à tout jamais. Il n’y a aucun doute que cela est vrai à court terme, et nous devrons renforcer notre compétitivité, comme nous aurions dû le faire il y a longtemps déjà. Mais est-ce que la politique de l’actuel président s’inscrira vraiment dans la durée?

Le président américain a donc été élu pour un deuxième et dernier mandat de quatre ans. Bien que l’administration jouisse présentement des pleins pouvoirs, les élections de mi-mandat pointent déjà à l’horizon, et le taux d’approbation du président est à la baisse, particulièrement en ce qui a trait à sa gestion de l’économie. Une défaite cuisante en Pennsylvanie, bien qu’au niveau local seulement, montre bien la fragilité des appuis républicains.

Une opposition aux tarifs tant dans le camp démocrate que dans le camp républicain commence à se former. On l’a vu avec les prises de positions pour de sénateurs comme Rand Paul, mais aussi avec celle de ténors républicains plus conventionnels comme Ted Cruz ou Mitch McConnell. Cela pourrait donc vraisemblablement indiquer que la politique actuelle sera de courte durée étant donné la réaction des marchés et l’augmentation des prix des biens de consommation qui est à prévoir, particulièrement si la chute du dollar américain devait se poursuivre.

Mais supposons maintenant que ce ne sera pas le cas. Considérant que l’administration actuelle ne sera pas toujours au pouvoir, la continuation de la politique économique de Trump s’expliquerait de deux façons possibles : 1) un appui important à cette « guerre au Canada » au sein de la population américaine ou chez les républicains du moins, ou encore; 2) la possibilité de générer un tel appui grâce à la popularité des tarifs douaniers en tant que tels.

En ce qui a trait au premier postulat, la réponse est claire : il n’y a tout simplement aucun appui pour cette attaque frontale envers le Canada au sein de l’électorat américain. La docilité de la classe politique américaine tient davantage à un manque de courage ou encore d’intérêt suffisant envers la question plutôt que d’un accord idéologique avec la direction prise par Trump à l’égard du Canada. Même des baladodiffuseurs célèbres comme Joe Rogan ont récemment soulevé l’idiotie de cette politique. Et cette docilité a déjà commencé à s’effriter.

Dans un deuxième temps, les tarifs vont faire augmenter le coût des biens de consommation aux États-Unis. Cela inquiète l’administration Trump à un point tel qu’elle exerce des pressions sur les leaders du secteur privé afin qu’ils n’augmentent pas leurs prix après l’imposition de tarifs. Bref, ces derniers vont s’avérer impopulaires auprès du public américain, d’autant plus que les perspectives de raviver le secteur manufacturier américain sont tout à fait chimériques.

En somme, la bonne nouvelle est que les éléments fondamentaux et la marche générale du monde libre militent en faveur d’un retour à la normale pour la relation commerciale canado-américaine à moyen terme. La mauvaise nouvelle est qu’il est plus payant politiquement pour certains d’ignorer ces faits et de promouvoir un programme économique qui s’avérera nuisible afin de capitaliser sur le vent de panique qui secoue notre pays..

Les velléités autarciques que nous entendons depuis quelques semaines déjà sont de mauvais augure. La prospérité future du Canada se bâtira en multipliant notre potentiel d’exporter nos ressources naturelles et des produits ou services à véritable valeur ajoutée plutôt qu’à se replier sur nous-mêmes et tenter d’inventer de nouveaux créneaux pour lesquels aucune demande véritable ne saurait exister.

Daniel Dufort est président et directeur général de l’IEDM. Il signe ce texte à titre personnel.

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