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La NCP : Une mesure qui va nuire à la relance économique du Québec

Une erreur écologique et économique considérable en temps de Covid-19

Note économique montrant que le Canada deviendra le seul pays au monde à imposer une telle mesure si peu flexible, qui s’appliquera non seulement au transport, mais aussi aux procédés industriels

Le gouvernement fédéral publiera incessamment la nouvelle Norme sur les combustibles propres (NCP). Bien que cette réforme ait suscité moins d’attention du grand public que l’imposition d’une taxe sur le carbone, ce sont encore une fois les entreprises manufacturières et les consommateurs canadiens qui vont en subir les effets. Cette publication de l’Institut économique de Montréal lève le voile sur les effets pervers de la NCP.

En lien avec cette publication

Le gouvernement fédéral mettra en péril des emplois en période de relance (Le Journal de Montréal, 17 septembre 2020)

The feds new fuel standard will jeopardize jobs (Journaux Sun Media, 17 septembre 2020)

 

Cette Note économique a été préparée par Miguel Ouellette, économiste à l’IEDM. La Collection Énergie de l’IEDM vise à examiner l’impact économique du développement des diverses sources d’énergie et à réfuter les mythes et les propositions irréalistes qui concernent ce champ d’activité important.

Vers la fin de 2016, le gouvernement fédéral annonçait son intention de consulter les provinces afin d’établir une nouvelle politique énergétique, soit la Norme sur les combustibles propres (NCP). L’objectif étant de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) tout en favorisant l’usage de combustibles, de sources d’énergie et de technologies à plus faible intensité en carbone. Ainsi, le gouvernement canadien a annoncé que la norme sera rendue publique à l’automne 2020.

Bien que l’intention derrière cette mesure énergétique soit louable, son format sera dommageable pour l’économie canadienne et son effet sur l’environnement est très incertain. La norme prévoit que, d’ici 2030, le Canada revienne à 30 % au-dessous des émissions de GES de 2005(1). Cependant, le Canada deviendrait le seul pays au monde à inclure dans une telle politique le gaz naturel et le propane(2), plaçant ainsi de nombreuses entreprises canadiennes en position de désavantage concurrentiel. Bien qu’être au-devant de la parade soit souvent une bonne chose, être seul dans la parade en est une toute autre.

Un format peu flexible

Dans la forme actuelle de la NCP, le Canada deviendra le seul pays au monde à imposer une telle mesure si peu flexible : elle s’appliquera à tous les combustibles fossiles (liquides, solides et gazeux), donc non seulement au transport, mais aussi aux procédés industriels. Elle obligera ainsi les fournisseurs de combustibles fossiles à réduire la teneur en carbone des carburants au cours de leur cycle de vie, et donc de prendre en compte toutes les émissions de gaz à effet de serre associées à leur extraction, leur production, leur distribution et leur utilisation. Ainsi, les entreprises devront respecter la norme soit en agissant elles-mêmes ou en achetant des crédits d’autres entreprises qui émettent moins de carbone, ce qui augmentera inévitablement leurs coûts de production.

En plus de la fenêtre extrêmement restreinte de dix ans pour revenir à 30 % au-dessous des émissions de GES de 2005, la norme ne se substituera pas aux politiques environnementales en vigueur, tant fédérales que provinciales; elle les complémentera(3). La tarification du carbone restera donc en vigueur malgré cette nouvelle norme. Cette duplication réglementaire, jumelée au format peu flexible de la norme, placera les entreprises canadiennes de plusieurs secteurs dans une position précaire et désavantageuse par rapport à la concurrence internationale, entre autres vis-à-vis certains exportateurs américains près des frontières canadiennes. C’est le cas du secteur manufacturier, qui sera un des secteurs les plus impactés par la NCP.

Un dur coup à prévoir pour le secteur manufacturier

Au Canada, le secteur manufacturier embauche environ 1,7 million de travailleurs et représente plus de 10 % du PIB du pays. Les entreprises manufacturières exportent chaque année des marchandises d’une valeur de plus de 354 milliards de dollars, ce qui correspond à 68 % de toutes les exportations canadiennes de marchandises(4). Cela va sans dire que ce secteur est économiquement important pour le pays et qu’il est très sensible à sa position concurrentielle vis-à-vis les exportateurs étrangers.

Sachant que le gaz naturel est le combustible le plus utilisé dans les processus de fabrication des entreprises manufacturières canadiennes(5) et que la NCP s’appliquera à ce combustible, il n’y a aucun doute que ces entreprises verront aussi leurs coûts de production augmenter(6). Puisque de nombreuses entreprises sont impliquées dans la fabrication de biens, nous assisterons à l’effet boule de neige : la première entreprise dans la chaîne de production refilera une partie de la facture à la deuxième, la deuxième à la troisième, et ainsi de suite jusqu’au consommateur final. Il est à noter que les coûts d’énergie pour ces entreprises figurent déjà parmi les plus élevés en Amérique du Nord, ce qui est surtout le cas pour celles situées en Ontario(7).

Au Québec, ce sera près de 300 000 emplois à la production dans le secteur manufacturier qui pourraient être touchés, à divers degrés, par l’application de la NCP(8). Une estimation raisonnablement précise de la portion de ces emplois qui sera perdue est toutefois impossible à faire à ce stade, et d’ailleurs les diverses associations sectorielles des entreprises touchées n’en ont pas. Chose certaine, l’instauration de cette mesure aura forcément un impact négatif sur le niveau d’emploi du secteur manufacturier au Canada en ce qu’elle viendra ajouter une couche additionnelle de coûts et de contraintes. De plus, le nombre d’emplois potentiellement touchés est encore beaucoup plus élevé si l’on tient compte de tous les autres secteurs de l’économie québécoise qui seront eux aussi assujettis à la NCP, comme les secteurs du transport, forestier, pétrolier, minier et bien d’autres.

Lorsqu’un gouvernement analyse l’implémentation d’une nouvelle politique énergétique du genre, il a une obligation morale d’en évaluer les possibles effets pervers sur les travailleurs et les entreprises. Pourtant, dans sa brève analyse coût-avantage, le gouvernement fédéral fait fi des pertes potentielles d’emplois dans tous ces secteurs pourtant cruciaux pour l’économie canadienne et se penche uniquement sur ceux qui seraient créés par la transition vers les énergies dites vertes. Même sans la NCP, le marché s’oriente de plus en plus vers ces énergies et ces emplois seront créés tôt ou tard, et ce sans heurter automatiquement les emplois du secteur manufacturier comme le fera la NCP dans sa mouture actuelle.

Les coûts de transport au Canada pour ces entreprises deviendront aussi plus élevés. Ceci est dû notamment à l’effet direct sur le prix des combustibles utilisés pour le transport sous la NCP, mais aussi à l’ajout d’une couche réglementaire à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre(9) en vigueur depuis 2018. En effet, les entreprises manufacturières paient déjà une redevance pour la pollution liée au transport de marchandises depuis l’instauration de cette loi. L’introduction de la NCP viendra donc ajouter des coûts additionnels aux entreprises qui sont déjà imposées pour cette pollution.

D’ailleurs, dans sa propre analyse, le gouvernement fédéral mentionne que « [l]es coûts différentiels liés à la conformité pour les parties réglementées en raison de la NCP reviendraient probablement aux utilisateurs finaux du carburant (c.-à-d. les ménages et les utilisateurs industriels) par l’augmentation des prix des combustibles fossiles liquides »(10). Les consommateurs et les entreprises manufacturières seront donc en partie responsables d’assumer les coûts de cette nouvelle norme.

Un impact environnemental incertain

En plus de son impact économique négatif pour le secteur manufacturier et l’économie canadienne en général, la NCP rate la cible en ce qui a trait aux changements climatiques. Bien que ceux-ci soient réels et présentent un problème à attaquer, nous nous devons de juger les politiques énergétiques selon les résultats potentiels, et non pas selon les intentions derrière celles-ci. Un aspect majeur que la NCP semble omettre est que les changements climatiques sont un phénomène mondial, et non pas uniquement national.

Le Canada est seulement responsable de 1,5 % des émissions de GES mondiales. À titre comparatif, les États-Unis génèrent 12,8 % des GES mondiaux, et la Chine, 25,8 %. Quand nous nous concentrons uniquement sur le secteur manufacturier, on constate que les entreprises canadiennes ont réussi à diminuer leurs émissions de GES de près de 40 % depuis 1990. À l’inverse, pendant la même période, les États-Unis et la Chine ont vu les leurs augmenter de plus de 34 % et 1080 % respectivement(11) (voir la Figure 1).

Ces faits illustrent les efforts de réduction des émissions de GES dans le secteur manufacturier canadien et à quel point une délocalisation des entreprises du pays vers des régions où les restrictions sont beaucoup moins présentes aurait un effet néfaste sur l’environnement. Avec la mondialisation, les entreprises sont plus mobiles que jamais. Bien qu’un cadre réglementaire environnemental soit nécessaire et souhaitable, la NCP rendrait les pays comme la Chine et l’Inde plus attrayants et nous assisterions possiblement à une fuite des GES : les émissions du Canada diminueront, mais étant donnée la délocalisation possible d’entreprises locales, l’effet net mondial pourrait bien être négatif.

De plus, les entreprises canadiennes utilisent déjà le gaz naturel, qui est un combustible fossile plus propre que le charbon, qui est quant à lui majoritairement utilisé par les manufactures en Chine et aux États-Unis. En effet, brûler du gaz naturel émet près de deux fois moins de CO2 que brûler du charbon(12). Le Canada est déjà en avance sur de nombreux pays exportateurs et les entreprises canadiennes du secteur manufacturier sont responsables de plus de 30 % des dépenses en recherche et développement du pays(13). Une délocalisation des activités inciterait un retour vers le charbon et d’autres combustibles fossiles moins propres.

Un désavantage concurrentiel certain

Depuis quelques années, le Canada a vu son avantage concurrentiel diminuer face aux autres pays. En 2010, le Canada se classait au neuvième rang des pays les plus concurrentiels; il occupe désormais la quatorzième place(14). Les mesures réglementaires déconnectées du monde économiquement lié dans lequel nous vivons en sont en partie responsables.

Malheureusement, le secteur manufacturier canadien n’en est pas épargné. Bien qu’il demeure un secteur économique clé, les emplois ont chuté d’environ 23 % depuis 2000(15). Toutefois, une partie de ce phénomène peut être dû à l’évolution naturel du marché de l’emploi, mais ce n’est pas la seule cause. Les politiques peu flexibles comme la NCP minent la compétitivité internationale des entreprises canadiennes, ce qui n’impactent pas seulement les firmes en soi, mais aussi les humains qui y travaillent. Tel qu’illustré dans la Figure 2, le secteur manufacturier canadien a régressé face à ses rivaux internationaux depuis 20 ans. Un bâton additionnel dans les roues de ce secteur ne fera qu’empirer la situation.

D’ailleurs, sur le site web d’« Entreprise et industrie » du Gouvernement du Canada, il y est inscrit que « [d]ans un contexte mondial très concurrentiel, le rôle du gouvernement est de favoriser une concurrence équitable pour les entreprises canadiennes qui veulent se développer à l’étranger, et de s’assurer que le marché canadien demeure libre et concurrentiel »(16). La NCP devrait logiquement tenir compte de cette mission qui vient du même gouvernement qui l’implémente.​

Conclusion

Bien que le réchauffement climatique soit un réel défi et que le Canada ait les moyens d’être un chef de file en matière d’environnement, il est impératif de bien évaluer les politiques énergétiques proposées. Dans un monde où la concurrence internationale est omniprésente, le gouvernement fédéral devrait s’assurer que le cadre réglementaire soit efficace et bénéfique pour les Canadiens.

En ce sens, la NCP fait fausse route tant sur le plan économique qu’écologique. Comme mis de l’avant par l’économiste William Nordhaus, prix Nobel d’économie en 2018, la coopération internationale est de mise dans le combat contre les changements climatiques. Le Canada ne devrait pas faire cavalier seul dans cette bataille, surtout étant donné son impact minime sur les émissions de GES mondiales. Le gouvernement devrait plutôt mieux saisir l’interconnectivité des pays face à cet enjeu mondial.

Sachant que les entreprises canadiennes font des efforts importants en matière de réduction des GES et d’innovation, et que les consommateurs canadiens ont diminué leurs émissions de GES par personne d’environ 20 % depuis 2000(17), la réglementation environnementale devrait en tenir compte et ne pas décourager les efforts déjà en place.

De plus, la situation actuelle de la COVID-19 ajoute de nombreux obstacles à l’économie canadienne et au commerce international. Le gouvernement fédéral devrait encourager la reprise économique en étant plus flexible, et non en rendant le cadre réglementaire actuel plus contraignant. La NCP sera un défi de plus pour les entreprises canadiennes qui peinent à se sortir de cette pandémie.

Encourageons plutôt les politiques énergétiques qui auront un impact positif certain sur l’environnement et qui ne mettent pas l’économie canadienne dans l’eau chaude. Le combat contre les changements climatiques passera par la coopération internationale et par les efforts individuels. Si le Canada souhaite devenir le chef de file en ce qui a trait à l’environnement, la NCP n’est certainement pas une solution appropriée, et elle devrait être revue.

Références

  1. Gouvernement du Canada, Environnement et ressources naturelles, Norme sur les combustibles propres, 24 avril 2020.
  2. Association canadienne de l’industrie de la chimie, « Les coûts du gaz naturel doubleront pour l’industrie chimique en vertu de la Norme sur les combustibles propres proposée », communiqué, 9 avril 2019.
  3. Gouvernement du Canada, op. cit., note 1.
  4. Gouvernement du Canada, Entreprise et industrie, Passerelle du secteur de la fabrication, 12 mars 2020.
  5. Statistique Canada, « Consommation d’énergie du secteur de la fabrication, 2018 », Le Quotidien, 29 octobre 2019.
  6. Les fournisseurs et importateurs de gaz naturel devront investir pour la transformation de leur produit. Une partie de la facture sera donc refilée à leurs clients, soit les manufactures. De plus, les entreprises manufacturières devront moderniser leurs équipements afin de répondre à la NCP. Voir Gouvernement du Canada, « Norme sur les combustibles propres : Cadre d’analyse coûts-avantages », Environnement et Changement climatique Canada, février 2019.
  7. Ross McKitrick et Elmira Aliakbari, Rising Electricity Costs and Declining Employment in Ontario’s Manufacturing Sector, Institut Fraser, octobre 2017, p. 1.
  8. Sacha Mendez-Leblond, « Le manufacturier en bref : Statistiques régionales du Québec, 2013, 2014 et 2015 », Institut de la statistique du Québec, septembre 2017.
  9. Gouvernement du Canada, Site Web de la législation, Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, août 2020.
  10. Gouvernement du Canada, op. cit., note 6, p. 15.
  11. En valeur absolue, les secteurs manufacturiers du Canada, des États-Unis et de la Chine sont responsables de 21 Mt, 220 Mt et 1 100 Mt de CO2 respectivement (données de 2016). Voir Mengpin Ge et Johannes Friedrich, « 4 Charts Explain Greenhouse Gas Emissions by Countries and Sectors », World Resources Institute, 6 février 2020.
  12. U.S. Energy Information Administration, Natural gas explained, 6 décembre 2020.
  13. Gouvernement du Canada, Entreprise et industrie, Passerelle du secteur de la fabrication, Innovation, 12 mars 2020.
  14. Selon l’index de compétitivité international du World Economic Forum. Voir Klaus Schwab, The Global Competitiveness Report 2019, World Economic Forum, 8 octobre 2019, p. xiii; Klaus Schwab, The Global Competitiveness Report 2010-2011, World Economic Forum, 21 octobre 2010, p. 15.
  15. Statistique Canada, Tableau 14-10-0023-01 : Caractéristiques de la population active selon l’industrie, données annuelles, 2000-2019.
  16. Gouvernement du Canada, Entreprise et industrie, Passerelle du secteur de la fabrication, Commerce, 12 mars 2020.
  17. Gouvernement du Canada, Ressources naturelles Canada, Faits saillants sur l’énergie, Énergie et les émissions de gaz à effet de serre (GES), 24 juillet 2020.
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