La mesure du patient d’exception: une soupape permettant aux malades québécois d’obtenir des médicaments novateurs en cas de besoin
Note économique demandant la préservation de ce mécanisme qui permet de limiter les risques pour la santé du processus très lent et bureaucratique d’approbation des médicaments
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Potential change to Quebec’s drug insurance plan a worry (Montreal Gazette, 19 décembre 2024) |
Cette Note économique a été préparée par Emmanuelle B. Faubert, économiste à l’IEDM. La Collection Santé de l’IEDM vise à examiner dans quelle mesure la liberté de choix et l’entrepreneuriat permettent d’améliorer la qualité et l’efficacité des services de santé pour tous les patients.
Bien que les Québécois n’aient généralement pas à payer directement pour recevoir des soins dans le système de santé public, celui-ci n’est pas gratuit pour autant. En effet, la population le finance par des taxes et des impôts. En 2024-2025, la santé représentera 41,9 % des dépenses de portefeuille de la province(1). Par ailleurs, les Québécois paient aussi d’une certaine façon de leur temps : entre les longues attentes aux urgences, les difficultés d’accès aux soins spécialisés et les délais d’approbation des médicaments, ils sont régulièrement confrontés à une forme ou une autre de rationnement des soins.
Dans ce contexte, afin de limiter les effets néfastes des longs délais d’accès aux médicaments novateurs, qui peuvent parfois s’étendre sur plusieurs années après leur mise en marché mondiale(2), le gouvernement du Québec a mis en place en 2005 un mécanisme appelé « patient d’exception »(3). Des changements législatifs récents pourraient toutefois menacer l’existence de cette mesure cruciale au bien-être de nombreux patients.
Pallier le rationnement des innovations pharmaceutiques
La mesure du patient d’exception permet aux patients qui n’ont pas d’autres options, sur recommandation de leur médecin, de déposer une demande d’accès à des médicaments approuvés par Santé Canada qui ne figurent pas sur la liste de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) et auxquels les patients québécois n’ont donc pas normalement accès.
Cette mesure s’applique à deux types de médicaments :
- les médicaments en attente d’une approbation de l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS), l’organisme provincial responsable de l’inscription sur la liste de médicaments couverts par le régime public québécois;
- les médicaments qui n’ont pas été inscrits sur la liste de la RAMQ, à la suite d’une évaluation défavorable de l’INESSS(4).
Pour qu’un médicament puisse être offert aux patients québécois dans un établissement de santé ou en pharmacie, il doit d’abord être approuvé par Santé Canada, qui évalue son efficacité thérapeutique et son innocuité(5). Il doit ensuite recevoir l’approbation de l’INESSS(6), qui juge de la « valeur thérapeutique » du médicament sur la base des études disponibles. Cela consiste en une évaluation de son caractère novateur par rapport aux médicaments existants, suivie d’une analyse coûts-bénéfices(7).
Cette analyse réalisée pour la RAMQ, et de ce fait pour l’ensemble de la population, se substitue ainsi à celle du médecin, pourtant le mieux placé pour juger des bénéfices individuels du médicament pour un patient(8). Le ministre de la Santé et des Services sociaux se basera sur les recommandations de l’INESSS pour déterminer si un médicament sera couvert ou non par le régime public(9).
La mesure du patient d’exception permet aux patients qui n’ont pas d’autres options de déposer une demande d’accès à des médicaments approuvés par Santé Canada.
Ce n’est qu’après avoir franchi ces étapes qu’un médicament peut être administré dans les hôpitaux et les cliniques du Québec, et que l’assurance maladie commence à en couvrir les coûts(10). Le Québec n’est pas la seule province où le système d’approbation des médicaments fonctionne ainsi. En moyenne, le délai entre l’obtention de l’approbation de Santé Canada et celle de la prise en charge des coûts par les autorités de santé provinciales est de près de deux ans (les résultats des études varient entre 537 et 678 jours de moyenne), ce qui représente une forme de rationnement de l’accès aux nouveaux médicaments(11).
Mais que se passe-t-il lorsque les médicaments déjà couverts par la RAMQ ne conviennent pas au problème de santé d’un patient et qu’un médicament non inscrit existe pour le soigner? La raison d’être de la mesure du patient d’exception est de remédier précisément à ce type de situation, et de nombreux patients en bénéficient. En 2022, 35 836 personnes ont eu recours à ce mécanisme(12), ce qui représente un total de 341 972 demandes acceptées(13) sur une période de 10 ans (voir la Figure 1).
Pour qu’un patient puisse bénéficier du mécanisme de patient d’exception, plusieurs conditions doivent être réunies. Son médecin traitant doit présenter un dossier expliquant pourquoi le médicament proposé est approprié et aucun autre traitement pharmacologique déjà disponible sur la liste des médicaments ne peut être envisagé(14). Le dossier doit ensuite être approuvé par la RAMQ pour les patients couverts par le régime public. Pour les patients inscrits à un régime d’assurance privée, le dossier est examiné par l’assureur, sur la base de critères semblables à ceux de la RAMQ et de consultations auprès de médecins et de pharmaciens-conseils(15).
L’approbation du dossier permet au patient d’accéder à ce médicament pendant un an. Après cette période, si le médicament n’a toujours pas été inscrit sur la liste des médicaments de la RAMQ et est encore considéré comme essentiel par le médecin traitant, la demande de patient d’exception doit être renouvelée pour continuer d’en bénéficier. Pour les patients atteints de maladies rares, par exemple, le mécanisme de patient d’exception leur permet d’avoir accès aux innovations pharmaceutiques lorsque l’attente serait considérablement préjudiciable à leur état de santé.
Le délai entre l’obtention de l’approbation de Santé Canada et celle de la prise en charge des coûts par les autorités de santé provinciales est de près de deux ans.
Malheureusement pour les dizaines de milliers de patients qui, chaque année, peuvent bénéficier de traitements normalement non couverts par la RAMQ grâce à ce mécanisme, leur accès pourrait être remis en question.
Les bénéfices du PE menacés
En 2023, l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi 15, Loi visant à rendre le système de santé et de services sociaux plus efficace(16). Ce projet de loi modifie la mesure de nécessité médicale particulière, similaire en principe à celle du patient d’exception, mais qui s’applique spécifiquement aux patients hospitalisés. Cette loi stipule que, même si le médecin traitant peut démontrer la nécessité d’accéder à un médicament non inscrit sur la liste de la RAMQ, le comité de pharmacologie de l’hôpital responsable d’évaluer la demande ne pourra autoriser sa couverture si l’INESSS a donné un avis négatif sur sa valeur thérapeutique, sauf dans le cas où un retard dans la prise du médicament visé entraînerait une détérioration rapide et irréversible de l’état du patient, y compris les cas d’urgence(17).
Le projet de loi adopté touche uniquement les patients hospitalisés et ne modifie pas la mesure du patient d’exception. Toutefois, il est possible que ces changements soient étendus au patient d’exception en 2025 (voir la Figure 2). Cette approche supprimerait cette « soupape de sécurité », sous prétexte de diminuer les dépenses de la RAMQ.
Rappelons qu’en septembre 2024, le premier ministre du Québec a demandé à ses ministres de « se serrer la ceinture » et de respecter les budgets leur étant octroyés(18). Lors de la mise à jour budgétaire de novembre 2024, il a été révélé que les dépenses en santé et services sociaux avaient dépassé de 3,4 milliards le budget établi en mars 2024(19). Bien qu’aucune annonce officielle n’ait été faite à ce sujet dans l’espace public, des groupes tels que l’Alliance des patients pour la santé ainsi que RAREi, le forum canadien des innovateurs spécialisés dans les maladies rares, craignent que de tels changements soient mis en œuvre prochainement(20).
Lors de l’évaluation d’un médicament pour déterminer s’il devrait être couvert par la RAMQ, l’INESSS se pose deux questions : ce nouveau médicament apporterait-il à la population des bénéfices que d’autres médicaments déjà couverts n’offrent pas, et ce traitement en vaut-il le coût?
Si l’accès à la mesure du patient d’exception devenait conditionnel à l’aval de l’INESSS, celle-ci perdrait en grande partie sa raison d’être.
Alors que cette approche vise à déterminer si un nouveau traitement devrait être couvert par le régime d’assurance public de la province, elle ne permet pas de savoir quel est le meilleur traitement pour chaque patient. En revanche, le médecin, lui, en tient compte et la mesure du patient d’exception permet de limiter les risques pour la santé de l’approche bureaucratique de l’INESSS.
Si l’accès à la mesure du patient d’exception devenait conditionnel à l’aval de l’INESSS, celle-ci perdrait en grande partie sa raison d’être, privant ainsi les patients d’une soupape leur permettant d’accéder aux médicaments nécessaires de façon exceptionnelle.
Finalement, le mécanisme du patient d’exception n’est pas seulement bénéfique pour les patients, mais aussi pour le reste du système de santé. En effet, accéder rapidement à des traitements novateurs permet d’améliorer le pronostic des patients, et ainsi d’éviter une dégradation de leur état de santé et des complications qui pourraient découler de longs délais de prise en charge par la RAMQ. Cela peut également permettre d’éviter d’autres traitements potentiellement plus coûteux pour le système de santé, tels que des chirurgies ou des hospitalisations.
Conclusion
Dans le contexte actuel de rationnement des nouveaux médicaments, il demeure essentiel de préserver la soupape de sécurité que constitue le mécanisme du patient d’exception. Les décideurs publics doivent prendre pleinement conscience de l’importance de cette mesure, tant pour les patients que pour l’ensemble du système de santé québécois, notamment en termes de coûts évités grâce à une réduction des risques pour la santé et une meilleure prise en charge de la maladie.
Il serait par ailleurs utile de réformer le processus d’approbation des médicaments, qui est un processus bureaucratique très lent, ce qui explique en grande partie la nécessité de recourir à un mécanisme comme le patient d’exception. En accélérant l’inscription des médicaments sur la liste de la RAMQ (y compris le processus d’approbation par l’INESSS et les négociations avec les fabricants) de nombreux patients pourraient simplement éviter d’avoir recours au mécanisme du patient d’exception, car ces médicaments seraient déjà couverts(21).
Le mécanisme du patient d’exception est une mesure essentielle qui permet à des dizaines de milliers de Québécois d’accéder à des médicaments non inscrits sur la liste des médicaments de la RAMQ. L’accès à cette soupape doit être préservé pour contrer le rationnement des innovations pharmaceutiques qui caractérise le système de santé québécois.
Références
- Calcul de l’auteure. Ministère des Finances du Québec, Budget 2024-2025 : Priorités Santé | Éducation – Plan Budgétaire, mars 2024, p. G.51.
- Maria Lily Shaw et Krystle Wittevrongel, « Réduire les délais d’approbation pour les nouveaux médicaments : une prescription sûre et simple », Note économique, IEDM, juin 2021, p. 2.
- Régie de l’Assurance maladie du Québec, « Liste des médicaments », Guide administratif, 23 mai 2024.
- La mesure permet aussi d’avoir recours à des médicaments d’exception pour un usage thérapeutique autre que celui reconnu sur la liste des médicaments de la RAMQ. Régie de l’Assurance maladie du Québec, Médicaments d’exception et Patient d’exception, Patient d’exception, consulté le 14 novembre 2024.
- Santé Canada, Médicaments et produits de santé, Médicaments, 7 octobre, 2024.
- Alors que l’INESSS est l’organisme responsable de l’évaluation au Québec, l’Agence des médicaments du Canada est responsable de ce même processus dans les autres provinces canadiennes. Institut national d’excellence en santé et en services sociaux, Médicaments en attente d’un avis de conformité, consulté le 14 novembre 2024.
- Institut national d’excellence en santé et en servies sociaux, Nouveaux mécanismes permettant l’accès à des médicaments à caractère jugé prometteur en oncologie: Innovation, accès, responsabilité, partage des risques et pérennité, septembre 2012, p. 7-8.
- L’INESSS évalue « la justesse du prix, le rapport entre le coût et l’efficacité du traitement, les conséquences de l’inscription du médicament à la liste sur la santé de la population et sur les autres composantes du système de santé et l’opportunité de l’inscription du médicament à la liste en regard de l’objet du régime général ». Institut national d’excellence en santé et en servies sociaux, VIMIZIM – Maladie de Morquio de type A, Avis de refus d’inscription aux listes des médicaments – Valeur thérapeutique, février 2017, p. 2.
- Si un médicament est inscrit à la liste de la RAMQ, alors les assurances privées doivent aussi le couvrir. Régie de l’Assurance maladie du Québec, Renseignements sur les régimes privés, consulté le 19 novembre 2024.
- Mathieu Bédard, « La course à obstacles des nouveaux médicaments », Point, IEDM, avril 2018, p. 1.
- Yanick Labrie, Laura Lasio et Roxane Borgès Da Silva, Réduction des délais de négociation des nouveaux médicaments dans les provinces canadiennes : effets sur la santé et sur les dépenses publiques, CIRANO, décembre 2020, p. 5.
- Régie de l’assurance maladie du Québec, « Réponse à la demande d’accès 2023-10880 », 15 mai 2023, p. 1.
- Ce total comprend les nouvelles demandes ainsi que celles de renouvellement.
- Croix Bleue Medavie, Note aux assurés de l’université de Montréal, consulté le 14 novembre 2024.
- Régie de l’Assurance maladie du Québec, op. cit., note 9; Ibid.
- Assemblée nationale du Québec, Projet de loi no 15 : Loi visant à rendre le système de santé et de services sociaux plus efficace, 13 décembre 2023.
- Ibid., articles 396-400, p. 117-118.
- Véronique Prince, « Message aux élus de la CAQ : “Il faut se serrer la ceinture!” », Radio-Canada, 23 septembre 2024.
- Ministère des Finances du Québec, op. cit., note 1; Ministère des Finances du Québec, Le point sur la situation économique et financière, novembre 2024, p. E.42.
- Information obtenue dans une infolettre envoyée par l’Alliance des patients pour la santé à ses membres ainsi que par conversation téléphonique. Alliance des patients pour la santé, Notre mission, consulté le 26 novembre 2024; iRARE, « Consultations prébudgétaires du Québec 2024-2025, Présenté au ministère des Finances du Québec », février 2024, p. 4.
- Maria Lily Shaw et Krystle Wittevrongel, op. cit., note 2.