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Textes d'opinion

La liberté d’expression au service de l’innovation verte

L’écoblanchiment, soit l’utilisation d’arguments écologiques de façon trompeuse pour améliorer son image, nuit aux efforts pour protéger la nature. Ottawa a choisi de s’y attaquer. Mais les meilleures intentions ne donnent pas toujours les meilleurs résultats. Et en matière d’écoblanchiment, le gouvernement fédéral a erré en changeant la Loi sur la concurrence.

C’est en parlant des innovations vertes qu’on accélère leur adoption.

En parler permet de trouver des investisseurs pour soutenir le projet, d’intéresser des clients pour qu’ils puissent l’adopter et de démocratiser cette connaissance auprès du public.

Malheureusement, des changements récents à la Loi sur la concurrence, au fédéral, risquent de complexifier cette diffusion des innovations vertes.

Ces changements, bien cachés à la page 429 de l’énorme projet de loi sur la mise à jour économique de l’automne dernier, ont pour effet d’inverser le fardeau de la preuve lors d’accusations d’écoblanchiment.

Plutôt que de demander à celui qui fait ces accusations de démontrer la culpabilité de l’accusé, il incombera plutôt à l’accusé de démontrer son innocence hors de tout doute raisonnable.

Sans me prononcer sur la question des principes juridiques – pour laquelle un juriste serait plus qualifié –, j’estime que cette inversion du fardeau de la preuve risque d’avoir un effet négatif important sur notre capacité à soutenir les innovations vertes.

Bien plus que d’éviter la diffusion de propositions d’écoblanchiment, ces changements viennent augmenter les risques pour les projets les plus verts et complexifier leur financement.

Risques financiers

Prenons, par exemple, le promoteur d’un projet de captage et de séquestration de carbone. Cette technologie vise à capter le CO2 déjà dans l’air ou avant qu’il ne soit émis, et à l’enfouir bien profondément dans le sol afin d’éviter qu’il puisse avoir un effet sur le climat. Une approche qui suscite de grands espoirs pour la décarbonation des activités de certaines industries lourdes, par exemple.

Si les bénéfices environnementaux peuvent être importants, les coûts financiers le sont eux aussi. Le promoteur d’un tel projet doit donc trouver le moyen d’attirer l’attention d’investisseurs. Un de ses arguments de vente, il va de soi, est le fait que ce projet a des effets positifs sur l’environnement, en réduisant l’empreinte carbone d’un procédé de fabrication donné. Or, en faisant cette affirmation, il court un risque financier.

Un groupe en désaccord avec lui pourrait décider de le traîner en justice pour l’accuser de faire de l’écoblanchiment. Le promoteur devrait donc prouver à un juge, hors de tout doute raisonnable, que son projet a bel et bien un impact environnemental positif, sans quoi il s’exposerait à d’importantes pénalités financières. Même s’il a gain de cause, les frais judiciaires à eux seuls représentent plusieurs dizaines de milliers de dollars de dépenses.

Il n’est donc pas surprenant de voir que les promoteurs de tels projets, devant ces risques importants, ont choisi d’ôter la mention des bénéfices environnementaux de leurs prospectus et de leurs communications.

C’est le cas de Pathways Alliance, un grand projet de captage et de séquestration de carbone qui, d’ici 2030, cherche à capter de 10 à 12 millions de tonnes de CO2 par année à partir des installations de production d’hydrocarbures en Alberta.

Au lieu d’aller dans l’atmosphère, ces millions de tonnes de gaz à effet de serre seraient enfouis à environ 1600 mètres de profondeur, dans une formation géologique stable.

Jusqu’au mois de juin dernier, le site web du projet regorgeait de documents techniques et de pages explicatives parlant de ses coûts, de ses bénéfices et offrant des réponses à une série de questions.

Si vous le visitez aujourd’hui, tout cela a laissé place à une page d’accueil avec un très court texte d’environ 250 mots présentant vaguement le projet, ainsi qu’une explication du fait que les récentes modifications à la Loi sur la concurrence ont accru le risque de communiquer les bienfaits environnementaux des projets d’entreprises canadiennes.

Les craintes ne concernent pas que les projets de captage et de séquestration. La Fédération canadienne de l’agriculture, par exemple, mène présentement des consultations auprès de ses membres afin d’en mesurer l’incidence.

L’Association canadienne des bovins, quant à elle, émet déjà des réserves quant à l’absence de standard clair sur la question. Il semble que le texte soit si peu clair quant aux barèmes de ce qui constitue ou non de l’écoblanchiment que les méthodes de calcul des émissions présentement en vigueur pourraient être remises en question.

Contraindre les entreprises à passer sous silence leurs efforts d’innovation verte ne nous fera pas avancer en tant que société.

La liberté d’expression a longtemps servi l’innovation verte, en permettant d’aller chercher les fonds nécessaires pour la soutenir, la publiciser auprès de clients potentiels et lutter contre le cynisme en environnement.

La Loi sur la concurrence permettait déjà de lutter contre les informations trompeuses. Inverser le fardeau de la preuve, comme l’a fait le fédéral, ne fera que rendre les innovateurs plus frileux lorsque vient le temps de communiquer les bienfaits de leurs projets.

Gabriel Giguère est analyste senior en politiques publiques à l’IEDM. Il signe ce texte à titre personnel.

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