Il est temps pour le Québec de se joindre aux projets de pipeline du Canada

Les provocations du président Donald Trump – y compris la menace imminente de tarifs douaniers massifs – ont suscité un débat renouvelé sur ce que le Canada peut faire pour diversifier le commerce et se protéger contre de telles menaces. Une façon logique de procéder est de construire l’infrastructure nécessaire pour exporter ses ressources naturelles vers d’autres marchés à travers le monde. Pourtant, un mélange de soutien mou et d’opposition catégorique de certaines provinces a constitué un obstacle majeur à la construction de pipelines dans le passé, et ce particulièrement au Québec.
Face à l’antagonisme du président Donald Trump, toutefois, il faudra changer. Pourtant, cette semaine, le premier ministre François Legault, interrogé sur la possibilité de construire des pipelines au Québec, a laissé entendre que, même si les conditions pouvaient changer à l’avenir, il n’y aurait peut-être pas encore d’« acceptabilité sociale » pour de tels projets à l’heure actuelle. Il était intéressant de noter que ses remarques complètes étaient plutôt équivoques, comparé à la réfutation ferme qui a été largement rapportée en ligne. Néanmoins, on pourrait s’attendre à ce qu’il manifeste plus de soutien en ce moment critique pour l’économie canadienne.
La prise de conscience soudaine que nous nous trouvons dans une situation d’urgence nationale a mis en évidence de nombreuses idées politiques auparavant verbeuses, allant de la résolution définitive de nos problèmes commerciaux interprovinciaux à la relance de projets d’infrastructure énergétique dont nous avons tant besoin. Le premier ministre du Québec semble ne pas avoir encore réalisé la situation, même si un sondage commandé par l’IEDM a toujours démontré qu’une pluralité, sinon une majorité absolue de Québécois sont en faveur de tels projets.
Pourtant, le Canada dans son ensemble doit faire face à la nouvelle réalité à laquelle il est confronté : nous ne pouvons plus compter sur notre allié le plus important et le plus proche pour demeurer un partenaire de libre-échange fiable.
Il va de soi que deux pays alliés comme le Canada et les États-Unis, qui partagent une frontière de plusieurs milliers de kilomètres, commercent intensément l’un avec l’autre. Les producteurs et les consommateurs de part et d’autre de cette frontière profitent depuis longtemps de l’interdépendance de leurs activités.
Pourtant, dépendre excessivement d’un seul pays pour les exportations de l’ensemble d’un secteur, par exemple celui de l’énergie, ne peut qu’être source d’ennuis. Et c’est précisément ce à quoi le Canada est confronté aujourd’hui, alors que plane la menace des tarifs douaniers américains.
Le président Donald Trump a promis d’imposer des tarifs douaniers de 25 pour cent sur tous les produits canadiens si certaines conditions ne sont pas remplies. Si l’on met de côté la question de savoir si ces conditions ont un certain mérite et dans quelle mesure les Américains eux-mêmes souffriront de ces barrières douanières, il n’en reste pas moins que le gouvernement fédéral canadien n’aurait jamais dû placer notre pays dans une position aussi vulnérable.
Imaginez un monde dans lequel nos abondantes ressources énergétiques, au lieu de converger presque exclusivement vers nos voisins du Sud, seraient aussi destinées aux pays d’Europe et d’Asie. Imaginez la possibilité de soutenir nos alliés dans leur sevrage du pétrole russe ou dans l’accélération de leur transition du charbon vers le gaz naturel.
Dans cette réalité parallèle, avec ses avantages géopolitiques et environnementaux, le gouvernement fédéral n’aurait pas boudé le secteur énergétique ces dix dernières années.
Jamais la nécessité pour le secteur énergétique canadien de diversifier ses marchés d’exportation n’a été aussi flagrante. À cette fin, le gouvernement fédéral doit rationaliser son processus d’évaluation afin de reconquérir les investisseurs potentiels.
Depuis 2015, les investissements consacrés à la construction d’installations d’extraction ou de transport par pipeline au Canada sont passés de 56,8 milliards de dollars à 42,9 milliards de dollars l’an dernier, soit une baisse de 24,4 pour cent. Cette situation est d’autant plus inquiétante que le secteur énergétique contribue à hauteur de 7,7 pour cent à notre PIB.
Alors que les investissements reculent ici, le secteur est en plein essor à l’étranger. À l’échelle mondiale, les investissements dans la production en amont de pétrole et de gaz sont passés de 481 milliards USD en 2015 à 603 milliards USD en 2024.
Comment expliquer cet écart? Les investisseurs évoquent des facteurs tels que l’incertitude quant à la réglementation environnementale, les redondances et les incohérences de la réglementation, ainsi que les coûts liés à la conformité réglementaire, pour expliquer le climat d’investissement moins favorable au Canada.
La Loi fédérale sur l’évaluation d’impact y est pour beaucoup. Au cours des cinq années depuis son adoption, le projet GNL Cedar est le seul à avoir été approuvé, et ce, après trois longues années et demie de procédures. En revanche, 17 projets ont été évalués puis approuvés au cours des cinq premières années de la législation précédente.
Si la procédure d’approbation de GNL Cedar avait respecté l’échéancier prévu par la Loi, soit moins d’un an et demi, le projet aurait possiblement pu être opérationnel d’ici 2026 au lieu de la fin 2028 qui est prévue à l’heure actuelle. Mais au moins, le projet va de l’avant et promet d’exporter un jour du gaz naturel canadien vers les marchés asiatiques.
Heureusement, l’agrandissement du réseau de Trans Mountain a été achevé en 2024, faisant passer les exportations non américaines de pétrole canadien d’environ 2,5 pour cent du total des exportations à environ 6,5 pour cent. Chaque petit geste compte.
Dommage, par contre, que tant d’autres projets d’infrastructures énergétiques aient été abandonnés ces dernières années. À l’heure où l’on parle, nous aurions bien besoin du pipeline Northern Gateway, du projet Énergie Est et du projet Énergie Saguenay de GNL Québec.
On ne peut pas dire non plus que les politiciens et les bureaucrates se plient aux désirs de la population. Selon un récent sondage Ipsos mené pour le compte de l’IEDM, 61 pour cent des Canadiens étaient favorables à la construction de nouveaux pipelines vers les ports de la Colombie-Britannique ou de l’Est du Canada pour accéder aux marchés de l’Europe et de l’Asie. Plus des trois quarts (76 pour cent) estimaient que le processus d’évaluation d’impact du gouvernement fédéral était trop long, et presque autant (71 pour cent) s’inquiétaient des conséquences négatives de l’annulation ces dernières années de projets énergétiques d’une valeur de 150 milliards de dollars.
Jamais la nécessité pour le secteur énergétique canadien de diversifier ses marchés d’exportation n’a été aussi flagrante. À cette fin, le gouvernement fédéral doit rationaliser son processus d’évaluation, à la fois interminable et excessivement compliqué, afin de reconquérir les investisseurs potentiels.
Plus précisément, Ottawa doit a) revenir à un processus de délivrance de permis axé sur le respect de normes environnementales claires; b) fixer un délai ferme de 18 mois pour mener à bien l’ensemble du processus, assorti de sanctions en cas de non-respect; et c) reconnaître automatiquement les évaluations provinciales déjà réalisées et les approbations déjà accordées, plutôt que de dupliquer le processus au niveau fédéral.
Alors que notre capricieux voisin du Sud menace de reprendre ses jouets et d’aller jouer tout seul dans son propre carré de sable, nos autres alliés réclament à grands cris des sources d’énergie fiables. Mieux vaudrait leur prêter main-forte, et le plus tôt serait le mieux.
Cela nécessiterait la construction de pipelines partout au pays afin que nous ne soyons plus jamais pris de court à ce point. L’existence même du Canada est en jeu. Il est temps que les politiciens québécois le comprennent.
Daniel Dufort est président et directeur général de l’IEDM. Il signe ce texte à titre personnel.