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Freiner la bureaucratie fédérale canadienne en s’inspirant de l’approche de Chrétien

Point démontrant comment contenir la bureaucratie fédérale tout en prenant des mesures concrètes pour rétablir la santé financière du Canada

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Tens of thousands of federal public service jobs should be eliminated, think tank says (National Post, 15 mai 2025)

Think tank calls for ‘Chretien-style’ review of federal public service, resulting in thousands of job cuts (CTV News, 15 mai 2025)

Fonction publique fédérale: une refonte «à la Chrétien», propose un groupe de réflexion (Noovo Info, 15 mai 2025)

Ottawa urged to tackle bureaucratic bloat with Chrétien-era cuts (Western Standard, 19 mai 2025)

Entrevue avec Gabriel Giguère (Reg against le matin, BLVD 102.1, 15 mai 2025)

Entrevue avec Renaud Brossard (Benoit Dutrizac, QUB Radio, 15 mai 2025)

 

Ce Point a été préparé par Conrad Eder, chercheur associé à l’IEDM, en collaboration avec Gabriel Giguère, analyste senior en politiques publiques à l’IEDM. La Collection Réglementation de l’IEDM vise à examiner les conséquences souvent imprévues pour les individus et les entreprises de diverses lois et dispositions réglementaires qui s’écartent de leurs objectifs déclarés.

Les gouvernements fédéraux successifs ont tous laissé leur empreinte sur la taille et la portée de la fonction publique canadienne. Contrairement à ceux de ses prédécesseurs, le mandat de premier ministre de Justin Trudeau s’est distingué par une expansion importante de la bureaucratie fédérale, ce qui a considérablement accru les coûts liés au personnel, tout en exacerbant les pressions budgétaires(1).

Pour contenir la bureaucratie fédérale tout en prenant des mesures concrètes pour rétablir la santé financière du Canada, les décideurs politiques devraient s’inspirer de l’Examen des programmes de 1994 du gouvernement Chrétien. Instaurée dans des circonstances comparables à celles auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui, cette initiative a permis de réduire la taille de la fonction publique fédérale tout en éliminant le déficit du Canada, en réduisant la dette nationale et en diminuant les dépenses gouvernementales(2). Aujourd’hui, une réduction comparable des effectifs fédéraux permettrait de réduire les dépenses fédérales de 9,5 milliards $ d’ici 2029(3).

De la discipline budgétaire à l’hypertrophie bureaucratique

L’expansion de la fonction publique fédérale du Canada sous Justin Trudeau représente une rupture par rapport à l’approche des administrations précédentes. Entre 1984 et 2015, les gouvernements dirigés successivement par Brian Mulroney, Jean Chrétien, Paul Martin et Stephen Harper ont tous maintenu ou réduit la taille de l’effectif fédéral par rapport à celle de la population canadienne(4). Changeant radicalement de trajectoire, le gouvernement Trudeau a fait croître la fonction publique fédérale de plus de 100 000 employés ‒ une augmentation de 40 % en termes absolus ‒ faisant passer la taille de la bureaucratie d’environ 7 fonctionnaires fédéraux par 1000 Canadiens à 9 par 1000(5) (voir la Figure 1).

Par rapport aux autres pays, le Canada souffre d’une bureaucratie hypertrophiée. Bien que ses responsabilités soient moindres, le Canada dispose d’un effectif fédéral proportionnellement plus important que celui du Royaume-Uni. Et par rapport à l’Allemagne, dotée de responsabilités gouvernementales comparables, le Canada compte environ 50 % plus de fonctionnaires fédéraux par 1000 habitants(6).

Une bureaucratie fédérale hypertrophiée a des conséquences budgétaires. Les frais liés au personnel fédéral au Canada étaient en voie de dépasser les 70 milliards $ pour la première fois lors du dernier exercice budgétaire, soit près du double du montant consacré aux dépenses en personnel avant l’élection de Justin Trudeau(7). Ces coûts démesurés contribuent aux déficits annuels chroniques du gouvernement fédéral, ce qui ne fait qu’accroître la dette nationale du Canada.

L’approche de Chrétien pour remanier la fonction publique

Lorsque Jean Chrétien est entré en fonction en 1993, le Canada comptait un nombre de fonctionnaires fédéraux par habitant tout aussi élevé, des déficits persistants et une dette nationale croissante(8). Ces pressions budgétaires ont incité son gouvernement à amorcer un examen complet des programmes en mai 1994.

Cet examen des programmes était fondamentalement différent des exercices précédents en matière de réduction des coûts, tant du point de vue de la portée que de l’exécution. Il s’est appuyé sur des critères bien définis pour évaluer les programmes fédéraux, en veillant à ce qu’ils répondent aux besoins du public, soient rentables et s’inscrivent dans le cadre budgétaire du gouvernement. L’examen a également évalué la nécessité d’une intervention fédérale pour chaque volet de programme, exploré d’autres modèles de prestation et vérifié si les ressources étaient utilisées de manière efficiente(9).

Les résultats de cet examen des programmes ont été transformateurs, puisqu’ils ont permis de faire baisser le nombre de fonctionnaires fédéraux par habitant, d’éliminer le déficit du Canada et de réduire la dette nationale(10). De 1994 à 1999, le gouvernement a retranché plus de 42 000 fonctionnaires de l’effectif fédéral, soit une réduction de 17,4 %(11), grâce à des stratégies telles que les incitations au départ volontaire, l’attrition naturelle, la privatisation de services et la délégation de la responsabilité de certains programmes à d’autres paliers de gouvernement.

Ces réformes démontrent que le Canada peut parvenir à réduire la taille de la bureaucratie fédérale, et que cela pourrait se traduire par des gains budgétaires considérables.

Un modèle pour une réforme moderne de la fonction publique

La taille de la fonction publique canadienne exige une fois de plus que l’on s’y attarde. Bien que le gouvernement ait reconnu tardivement la nécessité de freiner l’expansion de la bureaucratie fédérale(12), des mesures plus décisives s’imposent.

Alors que les Canadiens souhaitent ardemment une réduction de la taille de l’effectif fédéral(13), les décideurs politiques devraient s’inspirer de l’Examen des programmes de 1994 pour réformer la fonction publique. Le gouvernement devrait adopter une approche réfléchie pour s’assurer que les réductions d’effectifs sont effectuées de manière stratégique, en combinant les départs volontaires et l’attrition naturelle dans le cadre de réductions ciblées. Ces dernières années, les départs à la retraite et les démissions se sont chiffrés en moyenne à 3,9 % de l’effectif fédéral chaque année(14). Tirer parti de l’intelligence artificielle et d’autres outils numériques pourrait renforcer davantage les efforts destinés à réduire la taille de la fonction publique fédérale(15).

L’atteinte de résultats comparables aujourd’hui ‒ à savoir une réduction de 17,4 % de la taille de l’effectif fédéral sur cinq ans ‒ permettrait de retrancher environ 64 000 fonctionnaires fédéraux, ce qui ramènerait la fonction publique fédérale à sa taille relative d’avant l’arrivée au pouvoir de Justin Trudeau(16). Une fois mises en œuvre, ces réductions d’effectifs permettraient de réaliser une économie permanente de près de 10 milliards $ annuellement sur les dépenses du gouvernement fédéral(17).

En s’inspirant de l’examen des programmes du gouvernement Chrétien, le Canada peut contenir la taille de ses effectifs et éliminer des dizaines de milliards de dollars de dépenses fédérales, tout en établissant une base budgétaire solide pour assurer une prospérité économique durable aux Canadiens et aux Canadiennes.

Références

  1. Gabriel Giguère, « L’hypertrophie de la fonction publique fédérale : Justin Trudeau bon dernier dans le classement des premiers ministres canadiens depuis 40 ans », IEDM, Note économique, janvier 2024.
  2. Lydia Miljan, Tegan Hill et Niels Veldhuis, « CHAPTER 2: Spending Reductions and Reform: Bases for the Success of the 1995 Budget », dans William Watson (dir.), The Budget that Changed Canada: Essays on the 25th Anniversary of the 1995 Budget, Institut Fraser, p. 16-17.
  3. Calculs de l’auteur. Mark Creighton, « Mise à jour de l’outil d’analyse des dépenses en personnel : Dépenses en personnel de 2023-2024 », Bureau du directeur parlementaire du budget, 13 mars 2025; Gouvernement du Canada, Travailler au gouvernement, Innovation dans la fonction publique, Statistiques concernant les ressources humaines, Effectif de la fonction publique fédérale, 11 juillet 2024.
  4. Gabriel Giguère, op. cit., note 1.
  5. Calculs de l’auteur. Statistique Canada, Tableau 17-10-0009-01: Estimations de la population, trimestrielles, 19 mars 2025; Gabriel Giguère, op. cit., note 1.
  6. Gouvernement du Royaume-Uni, Statistical Bulletin ‒ Civil Service Statistics: 2023, 2 août 2023; Destatis, Government ‒ Public Service, consulté le 25 février 2025. Cité dans Alicia Planincic, « With 55 percent more federal employees per resident than the U.S., does Canada need its own DOGE? », The Hub, 28 février 2025.
  7. Mark Creighton et Jill Giswold, « Budget supplémentaire des dépenses (B) 2024-25 », Bureau du directeur parlementaire du budget, 20 novembre 2024, p. 9-10.
  8. Gabriel Giguère, op. cit., note 1.
  9. Ministère des finances Canada, Budget 1995, février 1995, p. 11-12.
  10. Lydia Miljan, Tegan Hill et Niels Veldhuis, op. cit., note 2.
  11. Calculs de l’auteur. Gabriel Giguère, op. cit., note 1.
  12. Ministère des Finances, Canada, Budget 2024, avril 2024, p. 348-349.
  13. Franco Terrazzano, « Poll shows Canadians want to shrink bureaucracy », Fédération canadienne des contribuables, Communiqué de presse, 6 août 2024.
  14. Calculs de l’auteur, de 2012-2013 à 2022-2023. Gouvernement du Canada, Travailler au gouvernement, Innovation dans la fonction publique, Statistiques concernant les ressources humaines, Aperçu démographique de la fonction publique du Canada, 2023, 18 février 2025.
  15. Justin Longo, « The Transformative Potential of Artificial Intelligence for Public Sector Reform », Canadian Public Administration, vol. 67, no 4, décembre 2024.
  16. Calculs de l’auteur. Statistique Canada, op. cit., note 5; Gouvernement du Canada, op. cit., note 3. Gabriel Giguère, op. cit., note 1.
  17. Calculs de l’auteur. Mark Creighton, op. cit., note 3; Gouvernement du Canada, op. cit., note 3.
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