Favoriser la vitalité du français en respectant nos minorités
Texte d’opinion publié en primeur sur notre site.
Représentant tout juste deux pourcent de la population de l’Amérique du Nord, les Québécois ont toujours eu une bonne raison d’être sensibles au sujet de la vitalité du français. Les craintes quant à l’assimilation linguistique et culturelle ont occasionné plusieurs vagues d’interventions gouvernementales visant à protéger la langue de Molière. Le projet de loi 96 n’est que la dernière manifestation de ces inquiétudes identitaires, mais fort probablement celle qui s’attaque le plus ouvertement aux droits fondamentaux de nos amis anglophones.
En effet, l’accès aux services publics en anglais sera grandement limité. Seuls ceux qui sont éligibles à l’enseignement en anglais en vertu de critères historiques auront droit de recevoir des services dans la langue de Shakespeare. Selon le Quebec Community Groups Network, c’est entre 300 000 et un demi-million d’individus qui perdront ainsi le droit de recevoir des soins de santé dans leur langue de préférence. Ce simple fait devrait nous pousser à se questionner sur le bien-fondé du projet de loi, mais ce n’est pas tout.
Les conséquences économiques du projet de loi 96 sont multiples. Les entreprises devront absolument déposer leurs requêtes devant nos tribunaux en français, rendant la pratique particulièrement onéreuse. De plus, les entreprises de 25 employés et plus devront dorénavant se conformer à toute la gamme d’obligations qui découlent de la Charte de la langue française, qui établit le français comme étant la langue de travail au Québec. Pour plusieurs entreprises, ce sera une incitation à déménager leur succursale québécoise de l’autre côté de la rivière des Outaouais.
Au cours des dernières années, plusieurs ont décrié le fait que le Québec puisse perdre des sièges sociaux. Or, le projet de loi 96 rendra beaucoup plus difficile pour nos grandes entreprises de faire du bilinguisme un critère d’embauche, alors que l’anglais est la langue internationale des affaires. Nos fleurons québécois qui brassent des affaires à l’étranger seront donc incités à baser certaines de leurs opérations les plus vitales à l’extérieur de la province. C’est un peu le syndrome de la main droite qui ignore ce que fait la main gauche.
Il est aussi probable que le projet de loi ait des conséquences aussi inattendues que négatives pour la population francophone. Il deviendra désavantageux pour les grandes entreprises de transport ou de logistique, qui dépendent d’une coordination entre des acteurs basés dans plusieurs provinces ou même plusieurs pays, d’embaucher des Québécois sans être en mesure de s’assurer de leur bilinguisme.
L’histoire économique du Québec nous apprend également que le français se renforce lorsque les incitations à l’adopter sont au rendez-vous pour les anglophones et les allophones. Bref, l’approche incitative est plus efficace que la répression. Entre 1900 et 1940, les francophones avaient un revenu de 20 % inférieur à celui des anglophones de la province. Or, entre 1940 et 2000, les francophones ont effectué un grand rattrapage par rapport aux anglophones, de telle sorte que cet écart est complètement résorbé.
Au même moment, le taux de bilinguisme chez les anglophones a commencé à augmenter. Le même phénomène a été observé chez les nouveaux arrivants. En 1970, l’usage du français chez les non-francophones avait augmenté de dix points de pourcentage, et du même niveau depuis. La leçon que nous pouvons en tirer est bien claire : plus la majorité francophone connait du succès sur le plan économique, plus les anglophones et les allophones gagnent à apprendre le français.
La façon la plus efficace d’augmenter encore davantage la force d’attraction du français est donc de renforcer le statut économique de la majorité historique. Comment s’y prendre? Nous pourrions commencer par effectuer un rattrapage au niveau de l’éducation. Ce sont 75 % des francophones qui reçoivent leur diplôme d’études secondaires par rapport à 84,5 % des anglophones. Nous accusons également un taux de diplomation universitaire inférieur, ce qui a également des incidences négatives sur notre productivité relative.
Il n’est peut-être pas toujours attrayant pour les politiciens de miser sur l’éducation et la productivité, mais cela demeure néanmoins la véritable clé du succès. Un gouvernement qui désire renforcer la place du français aura donc tout le loisir de s’atteler à la tâche et de faire ses devoirs plutôt que de donner des leçons.
Michel Kelly-Gagnon est président et directeur général de l’IEDM. Il signe ce texte à titre personnel.