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Faire cavalier seul: les arguments en faveur de la libéralisation unilatérale des échanges commerciaux

Point montrant les avantages d’une abrogation des taxes à l’importation et autres barrières imposées aux producteurs et investisseurs étrangers, sans attendre la réciprocité

En lien avec cette publication

Trump or no Trump, think tank calls for Canada to unilaterally drop non-tariff trade barriers (National Post, 3 mars 2025)

Tariff threats: ‘Already an impact on our economy and jobs,’ (CityNews, 3 mars 2025)

Entrevue avec Renaud Brossard (Pour faire un monde, ICI Radio-Canada, 3 mars 2025)

Entrevue (en anglais) avec Renaud Brossard (The Courtney Theriault Show, Global Radio, 3 mars 2025)

Entrevue avec Vincent Geloso (Marceau le midi, BLVD FM, 4 mars 2025)

 

Ce Point a été préparé par Vincent Geloso, professeur adjoint d’économie à l’Université George Mason et économiste senior à l’IEDM. La Collection Réglementation de l’IEDM vise à examiner les conséquences souvent imprévues pour les individus et les entreprises de diverses lois et dispositions réglementaires qui s’écartent de leurs objectifs déclarés.

Le gouvernement du Canada affirme que « la libéralisation des échanges commerciaux a été un stimulant important pour la croissance économique et la prospérité »(1). À la lumière de cette déclaration et de la montée des tensions politiques avec les États-Unis au sujet des tarifs douaniers, on pourrait penser que le Canada est un champion du libre-échange, et pourtant, des barrières importantes au commerce international de nombreux produits existent toujours.

Le Tableau 1 montre l’ampleur des taxes à l’importation prélevées sur les produits laitiers, les vêtements, le cuir, les produits en caoutchouc et les céréales. Le gouvernement canadien impose également diverses « barrières non tarifaires », dont de strictes normes réglementaires, qui visent le même objectif que les tarifs douaniers. En outre, il maintient de multiples barrières qui touchent le secteur des services, comme les télécommunications et les transporteurs aériens(2).

Ainsi, les indices relatifs aux barrières commerciales placent le Canada au quatrième rang mondial en matière de tarifs douaniers, alors qu’il occupe lamentablement le 47e rang en ce qui concerne les barrières non tarifaires et le 28e rang pour ce qui est des obstacles à la libre prestation de services. Le Canada est donc considérablement protectionniste, mais d’une manière qui n’est pas souvent discutée(3).

Une politique plus judicieuse serait de procéder à une libéralisation unilatérale, indépendante des décisions des autres pays. En d’autres mots, le gouvernement doit faire cavalier seul en supprimant la totalité des taxes à l’importation et des autres barrières imposées aux producteurs et investisseurs étrangers, sans attendre la moindre réciprocité.

La libéralisation du commerce n’a pas besoin d’être réciproque

On croit généralement que la libéralisation du commerce doit être réciproque et que, si tel n’est pas le cas, elle n’est pas possible. Ce raisonnement est erroné. La grande majorité des réductions tarifaires depuis le début du XIXe siècle sont intervenues sans réciprocité.

Le premier et le plus célèbre exemple de libéralisation unilatérale a été l’abolition des tarifs douaniers sur toutes les céréales importées en Grande-Bretagne, connus sous le nom de « Corn Laws »(4). Les Corn Laws avaient pour effet de maintenir les prix des denrées alimentaires au Royaume-Uni 9 % plus élevés par rapport aux marchés mondiaux(5). Comme les produits alimentaires représentaient une part importante du budget des pauvres, la révocation des tarifs douaniers constituait en grande partie une politique « en faveur des pauvres »(6).

Cette abrogation est un événement si important dans l’histoire britannique que certains historiens affirment qu’elle « a fixé dans l’esprit de la classe ouvrière britannique en particulier, et ce, jusqu’à ce jour, la conviction profonde que le libre-échange est bon pour les pauvres, ainsi que pour les travailleurs et les travailleuses » et que c’est la raison pour laquelle « la classe moyenne inférieure et la classe ouvrière en Grande-Bretagne ont toujours été, et continuent d’être, fermement en faveur du libre-échange »(7).

Or, la Grande-Bretagne est loin d’être le seul exemple en la matière. La plupart des libéralisations commerciales du XIXe siècle ont été effectuées de manière unilatérale(8). Historiquement, le Canada a connu de nombreux épisodes de libéralisation unilatérale(9). Parmi les exemples plus récents, citons la réduction massive des tarifs douaniers en Australie sur les produits fabriqués à partir des années 1980(10) et l’abolition par la Suisse, en 2024, de la totalité des taxes à l’importation sur les produits industriels, quelle qu’en soit l’origine(11).

Certains pays ont toujours opté pour des régimes de « libre-échange unilatéral ». C’est le cas de Hong Kong, qui a longtemps fonctionné comme un port franc. À ce jour, le gouvernement hongkongais ne prélève pas de tarifs douaniers, à l’exception de faibles droits d’accise sur l’alcool fort, le tabac, les hydrocarbures et l’alcool méthylique(12). Singapour n’impose aucun tarif douanier sur « la quasi-totalité » des marchandises importées(13). Les deux pays n’appliquent que très peu de « barrières non tarifaires » qui contrôlent les flux de biens et de services sans imposer de tarifs douaniers directs (par exemple, des quotas, des licences d’importation, etc.)(14).

La période de 1983 à 2003, souvent évoquée comme le triomphe de la réciprocité grâce aux accords internationaux, a en fait été caractérisée en grande partie par des décisions unilatérale. Au cours de cette période, les pays en développement ont réduit leurs tarifs douaniers moyens de 18,6 points de pourcentage — les deux tiers de manière unilatérale, un quart au moyen d’accords multilatéraux et un dixième d’accords régionaux(15).

Un grand nombre d’études ont montré les effets généralement positifs des réductions unilatérales, en particulier pour les économies plus modestes (comme celle du Canada) qui n’ont que peu d’influence sur les événements économiques mondiaux(16). La seule étude portant sur la libéralisation unilatérale du Canada présente des résultats cohérents avec cette littérature(17).

Pourquoi la libéralisation unilatérale est-elle bénéfique?

En plus d’être une taxe directe sur les biens de consommation importés, toute taxe sur les importations revient en fin de compte à taxer les exportations. Les tarifs d’importation font augmenter les coûts de production des entreprises qui dépendent d’intrants étrangers, ce qui les empêche d’être concurrentielles sur les marchés mondiaux. Des taxes à l’importation plus élevées réduisent également l’offre de devises sur les marchés des changes, ce qui fait grimper les taux de change et affaiblit davantage la compétitivité des exportations(18). Par ailleurs, les tarifs douaniers freinent les investissements étrangers au Canada, limitant les entrées de capitaux qui pourraient autrement stimuler la productivité et les salaires(19). C’est pourquoi les simulations de l’activité économique canadienne dans un contexte de libéralisation unilatérale laissent entrevoir que le PIB augmenterait de 1,67 % et que le niveau des prix reculerait de 1,51 %(20).

Certes, la libéralisation multilatérale des échanges (entre plusieurs pays) présente généralement (mais pas toujours) des avantages plus importants que la libéralisation unilatérale (en particulier pour les pauvres)(21). Toutefois, si nous nous trouvons dans un monde imparfait et que la meilleure option n’est pas disponible, le deuxième choix devrait faire l’affaire. Compte tenu des tensions politiques actuelles et des menaces tarifaires de la part de nos partenaires commerciaux traditionnels, la libéralisation bilatérale pourrait ne pas être une option, de sorte que la libéralisation unilatérale semble être le deuxième meilleur choix.

En réalité, il s’agit d’une bien meilleure option que les accords strictement bilatéraux, qui créent ce que l’on appelle une « assiette de spaghetti » — une analogie pour la complexité qui naît du chevauchement de plusieurs accords commerciaux qui forment un enchevêtrement de règles, à l’image des spaghettis entremêlés. Cette fragmentation perturbe les flux commerciaux, dans la mesure où les entreprises peuvent prendre des décisions fondées sur des failles réglementaires plutôt que sur l’efficience économique, ce qui, en fin de compte, compromet les avantages du commerce(22).

Comme la libéralisation multilatérale n’est plus à l’ordre du jour, la seule voie possible est la libéralisation unilatérale par l’élimination totale des tarifs douaniers en vigueur et un plan concret de démantèlement des barrières non tarifaires et du protectionnisme dans le secteur des services. Cela devrait contribuer à réduire les coûts tant pour les consommateurs que pour les producteurs canadiens, permettant ainsi une croissance plus rapide de la productivité et des investissements. Dans la foulée, notre capacité à surmonter les barrières commerciales des autres pays s’en trouvera renforcée.

Références

  1. Gouvernement du Canada, À propos de l’approche du Canada en matière de commerce inclusif, consultée le 6 février 2025.
  2. Vincent Geloso, « Walled from Competition: Measuring Protected Industries in Canada », Institut Fraser, 2019, p. 3 et 9.
  3. Tholos Foundation, « International Trade Barrier Index, 2023 », 2024.
  4. Douglas A. Irwin et Maksym G. Chepeliev, « The economic consequences of Sir Robert Peel: a quantitative assessment of the repeal of the Corn Laws », Economic Journal, vol. 131, no 640, novembre 2021, p. 3322.
  5. Tony Ward, « The Corn Laws and English wheat prices, 1815–1846 », Atlantic Economic Journal, vol. 32, no 3, 2004, p. 245.
  6. Douglas A. Irwin et Maksym G. Chepeliev, op. cit., note 4, p. 3324.
  7. Donald J. Boudreaux, « Repealing the Corn Laws, 175 Years Later », Discourse, 18 juin 2021.
  8. Olivier Accominotti et Marc Flandreau, « Does Bilateralism Promote Trade? Nineteenth Century Liberalization Revisited », janvier 2006, p. 11.
  9. Vincent Geloso et al., « No wheat crisis: trade liberalization and transportation innovation in Quebec during the 1830s and 1840s », European Review of Economic History, vol. 27, no 4, novembre 2023, p. 560–580.
  10. Ross Garnaut, « Australia: A Case Study of Unilateral Trade Liberalization » dans Going Alone: The Case for Relaxed Reciprocity in Freeing Trade, MIT Press, 2002.
  11. State Secretariat for Economic Affairs (SECO), Abolition of industrial tariffs. Schweirsche Eidgenossenschaft, consultée le 5 février 2025. Voir aussi Thomas A. Zimmermann, « A Case of Unilateral Trade Liberalization: The Autonomous Abolition of Industrial Tariffs by Switzerland in 2024 », Swiss Review of International Economic Relations, vol. 73, no 1, décembre 2023, p. 113 et 139. Zimmerman note que la réduction des taxes a, à elle seule, entraîné une augmentation du PIB de 0,1 % (même si les recettes tarifaires ne représentaient que 0,03 % du PIB).
  12. International Trade Administration, Hong Kong: Country Commercial Guide, 17 février 2024.
  13. International Trade Administration, Singapore: Country Commercial Guide, 5 janvier 2024.
  14. Tholos Foundation, op. cit., note 3.
  15. Douglas A. Irwin, « The trade reform wave of 1985–1995 », AEA Papers and Proceedings, vol. 112, 2022, p. 248.
  16. Adolfo Roquez-Diaz et Lorenzo Escot, « Relationship between trade openness and economic growth in Latin America: A causality analysis with heterogeneous panel data », Review of Development Economics, vol. 22, no 2, mai 2018, p. 606–662 et 674–675; Maria Bas et Caroline Paunov, « Input quality and skills are complementary and increase output quality: Causal evidence from Ecuador’s trade liberalization », Journal of Development Economics, vol. 151, juin 2021, p. 8–10; Baybars Karacaovali, « Productivity matters for trade policy: Theory and evidence », International Economic Review, vol. 52., no 1, février 2011, p. 55–58; Maria Bas, « Input-trade liberalization and firm export decisions: Evidence from Argentina », Journal of Development Economics, vol. 97, no 2, mars 2012, p. 488–491.
  17. Tel était le cas dans les années 1830, lorsque l’ensemble des produits agricoles en provenance des États-Unis étaient autorisés à entrer librement dans le pays. Des évaluations prudentes des effets placent les gains de revenus entre 1,42 % et 7,44 %. Geloso et al., op. cit., note 9, p. 576.
  18. Olivier Jeanne et Jeongwon Son, « To what extent are tariffs offset by exchange rates? », Journal of International Money and Finance, vol. 142, 2024, p. 5 et 14.
  19. Douglas A. Irwin, « Three Simple Principles of Trade Policy », American Enterprise Institute, 1996, p. 16–26.
  20. Dan Ciuriak et al., « Freeing Trade: Why a Unilateral Approach Makes Sense for Canada », Canada Business Council, août 2016, p. 3.
  21. Douglas A. Irwin, « Does Trade Reform Promote Economic Growth? A Review of Recent Evidence », The World Bank Research Observer, vol. 40, no 1, 2025, p. 149–154 et 172–173; Pablo D. Fajgelbaum et Amit K. Khandelwal, « Measuring the unequal gains from trade », Quarterly Journal of Economics, vol. 131, no 3, 2016, p. 1154.
  22. Zakaria Sorgho, « RTAs’ Proliferation and Trade‐diversion Effects: Evidence of the ‘Spaghetti Bowl’ Phenomenon », The World Economy, vol. 39, no 2, 2015, p. 297; Marcus Lampe, « Effects of bilateralism and the MFN clause on international trade: Evidence for the Cobden-Chevalier Network, 1860–1875 », The Journal of Economic History, vol. 69, no 4, 2009, p. 1025.
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