Face à Trump, s’allier avec le Canada

En collaboration avec Nicolas Bouzou*
Devant les coups de menton, les intimidations et les décisions protectionnistes de Trump, la plupart des gouvernements occidentaux sont tétanisés, ne sachant comment réagir face à une approche prédatrice des négociations qui substitue le rapport de force au droit.
C’est ainsi que Trump menace d’annexer le Canada en l’étranglant économiquement, de cesser d’assurer la sécurité de l’Europe, et d’imposer des tarifs douaniers tous azimuts en dehors et toutes les conventions signées ou admises depuis 1945.
En lâchant les valeurs occidentales, Trump commet une erreur géostratégique en validant les visées expansionnistes de pays qui, comme la Russie, menacent notre mode de vie libéral. En légitimant une guerre commerciale, il commet une grave erreur économique du point de vue même des intérêts américains.
Les mesures protectionnistes constituent de l’autosabotage. Elles vont renchérir les coûts de production pour les entreprises américaines et augmenter le prix des courses au supermarché pour les ménages modestes américains.
La littérature académique sur l’expérience des droits de douane sur l’acier et l’aluminium mis en place sous le premier mandat de Trump en 2018 montre qu’elle a généré une perte nette pour l’économie américaine. Ces mesures ont permis de sauver quelques emplois mais elles ont dégradé la qualité des produits et renchéri les prix pour les entreprises et pour les consommateurs.
Face au retour du protectionnisme, la pire chose que pourraient faire les démocraties libérales serait d’imiter les États-Unis en répliquant aux guerres commerciales ou en se repliant sur soi. Ce n’est pas parce notre plus puissant allié décide d’aller à l’encontre de la raison qu’il faut faire de même.
Le Canada et l’Europe gagneraient au contraire à se tenir loin du chantage économique et à multiplier les accords de libre-échange en dehors des Etats-Unis. C’est en échangeant davantage aujourd’hui que nos deux continents poseront les conditions de la paix et de la prospérité demain.
Sous la pression, le Canada et l’Europe ont une occasion historique de renforcer leurs liens, dans un processus gagnant-gagnant qui démentira la vision antilibérale de l’actuelle administration américaine.
Rappelons que l’idée selon laquelle nous avons moins de raisons de nous faire la guerre lorsque nous faisons du commerce est une belle idée française (« le doux commerce » de Montesquieu). Rappelons également que le Québec doit sa naissance, son émancipation et sa survie grâce à l’esprit entrepreneurial et commerçant de ses coureurs des bois. Les Canadiens et les Français sont bien placés pour connaître et comprendre les vertus du libre-échange.
Sur un plan plus pratique, il est nécessaire de travailler à de nouveaux partenariats commerciaux entre le Canada et l’UE. Commençons par le plus évident: ratifier le CETA qui a déjà eu des impacts positifs des deux côtés de l’Atlantique pour le mettre intégralement en application, en particulier ce qui concerne les aspects liés à la protection des investissements et au régalement des différends entre les investisseurs et les États.
On observe effectivement une hausse importante des échanges entre les deux blocs depuis 2017: + 51 % pour les biens et + 10 % pour les services. Des centaines de milliers d’emplois en dépendent, et ces accords commerciaux procurent de nouveaux marchés pour les entreprises des deux cotés de l’Atlantique dans l’automobile, la chimie, les cosmétiques ou l’agroalimentaire.
Ce serait en outre une erreur de négliger le rôle important que le Canada peut jouer grâce à ses ressources naturelles abondantes. La quasi-totalité des exportations de pétrole et de gaz naturel canadien sont pour l’heure acheminés vers les États-Unis, mais les astres sont alignés pour que le Canada se dote finalement des infrastructures nécessaires à leur exportation vers l’Europe et l’Asie-Pacifique.
De plus, le Canada compte sur des réserves importantes d’uranium et de minéraux critiques, de quoi en faire un véritable arsenal pour l’économie d’aujourd’hui et de demain dont l’Europe pourrait vraisemblablement bénéficier.
Sous la pression, le Canada et l’Europe ont une occasion historique de renforcer leurs liens, dans un processus gagnant-gagnant qui démentira la vision antilibérale de l’actuelle administration américaine.
Daniel Dufort est président et directeur général de l’IEDM, Nicolas Bouzou est économiste et directeur et fondateur d’Asterès. Ils signent ce texte à titre personnel.