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Et si on modulait les droits de scolarité?

Note économique examinant les avantages, autant pour les universités que pour les étudiants, d’aligner les droits de scolarité sur les coûts des différentes formations

Une modulation des frais de scolarité québécois en fonction des coûts de formation par programme serait plus équitable, et moins coûteuse pour plus de la moitié des étudiants au premier cycle, selon cette note publiée par l’Institut économique de Montréal (IEDM).

En lien avec cette publication

Modulation des frais de scolarité: une solution pour régler les iniquités (Le Journal de Montréal, 10  janvier 2023)

Et si les frais de scolarité étaient fixés selon le vrai prix des cours universitaires? (Le Soleil, 10 janvier 2023)

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Entrevue avec Michel Poitevin (Midi Pile, 95,7 KYK FM, 11 janvier 2023)

 

Cette Note économique a été préparée par Michel Poitevin, chercheur associé senior à l’IEDM et professeur au département de sciences économiques de l’Université de Montréal. La Collection Éducation de l’IEDM vise à explorer dans quelle mesure une plus grande autonomie institutionnelle et la liberté de choix pour les étudiants et les parents permettent d’améliorer la qualité des services d’éducation.

Lors du « printemps érable », en 2012, les étudiants sont sortis dans les rues de Montréal quotidiennement pendant plusieurs semaines pour protester contre une hausse importante des droits de scolarité proposée par le gouvernement Charest(1). Finalement, le mouvement étudiant a eu gain de cause et la hausse ne s’est jamais matérialisée. Depuis, la question des droits de scolarité a complètement été évacuée du discours public au Québec.

L’efficacité économique dicte que les droits de scolarité déterminés par le gouvernement devraient se rapprocher de ceux qui émergeraient d’une concurrence entre les universités, modulés par un ajustement qui tiendrait compte de l’externalité sociale positive que l’éducation supérieure confère à la société québécoise. Ainsi, des droits de scolarité optimaux équivaudraient au coût marginal de la formation, moins l’externalité marginale sociale.

Une politique des droits de scolarité doit donc reposer sur des principes d’efficacité qui prescrivent que ces droits doivent être établis en fonction 1) des coûts des différentes formations et 2) de l’externalité positive. Les droits optimaux doivent varier d’une discipline à l’autre dans la mesure où les coûts de formation sont aussi différents d’une discipline à l’autre. Une telle modulation des droits de scolarité permettrait d’envoyer aux étudiants universitaires de meilleurs signaux quant aux coûts des formations.

Or, dans le cadre de la politique actuelle, les universités facturent les mêmes droits de scolarité pour toutes les formations. Ainsi, il se crée des déséquilibres majeurs entre ce que paient les étudiants pour différents programmes et les coûts de formation de ces programmes.

Certains étudiants, par exemple en sciences sociales, paient un fort pourcentage du coût de leur formation alors que d’autres, par exemple en médecine vétérinaire, n’en paient qu’une très faible partie. Les étudiants en sciences sociales se retrouvent donc indirectement à subventionner fortement les étudiants d’autres disciplines à coûts élevés. Puisque dans la plupart des cas, les disciplines dont les coûts de formation sont élevés sont associées à des salaires élevés à la diplomation, la politique actuelle, en plus d’être inefficace, génère des iniquités flagrantes et totalement injustifiées entre les étudiants des différentes formations.

Une nouvelle grille des droits de scolarité

Une politique plus judicieuse des droits de scolarité devrait donc être basée sur les coûts institutionnels de formation (tels que mesurés par le ministère de l’Enseignement supérieur) et tenir compte de l’externalité sociale positive de l’enseignement universitaire.

Les chercheurs Rui Castro et Michel Poitevin(2) ont évalué que l’externalité sociale positive de l’éducation universitaire représente 40 % des rendements totaux de cette éducation, ce qui est relativement généreux au vu de la littérature sur le sujet. En conséquence, les droits de scolarité proposés sont plus faibles que si on avait supposé une externalité moins importante. Ainsi, l’étudiant doit payer 60 % des coûts totaux de sa formation. Puisque ces coûts incluent non seulement les coûts institutionnels, mais également le salaire auquel il renonce lorsqu’il fréquente l’université, Castro et Poitevin ont calculé que l’étudiant doit payer un tiers des coûts institutionnels de sa formation.

Sur la base de ces calculs, nous élaborons notre proposition pour les droits de scolarité (avant frais afférents) des premier et deuxième cycles (voir le Tableau 1). Les droits sont calculés pour l’année 2021-2022, dernière année pour laquelle les données sont disponibles pour les calculs.

Pour chacune des disciplines (suivant la classification du ministère de l’Enseignement supérieur), on retrouve dans les deux premières colonnes un indice des coûts institutionnels de formation relativement à la psychologie au premier cycle, qui est la discipline la moins coûteuse. Ainsi, la psychologie au premier cycle a un indice de 1,00, alors que la médecine vétérinaire est près de 15 fois (14,51) plus chère(3).

En évaluant les coûts totaux de formation, et en supposant que l’étudiant en paie 60 %, on calcule les droits de scolarité totaux que les étudiants québécois devraient payer. À l’aide de la grille des poids de chacune des disciplines et du nombre d’étudiants dans chacune d’entre elles, on calcule qu’un étudiant en psychologie devrait payer 1556 $ pour l’année scolaire 2021-2022. Les droits de scolarité des autres disciplines ne sont que des multiples de ce montant, déterminés par les indices de coûts.

Les étudiants dans des disciplines à coûts de formation élevés se retrouvent à payer des frais beaucoup plus élevés. Par exemple, un étudiant de premier cycle en médecine vétérinaire devrait payer des droits de scolarité de 22 582 $ et celui en médecine dentaire, 13 478 $, alors qu’un étudiant en génie ou en informatique devrait payer 3268 $. Une logique similaire s’applique aux étudiants de deuxième cycle. Les droits de scolarité optimaux plus élevés au deuxième cycle s’expliquent par le ratio étudiants-professeurs plus faible, ce qui augmente les coûts de formation.

Si on compare les droits proposés dans cette grille avec les droits effectivement payés par les étudiants en 2021-2022, soit 2725 $, on constate rapidement qu’au premier cycle, les étudiants des trois dernières catégories (qui représentent 55 % des étudiants de premier cycle en 2021-2022(4)) ont trop payé relativement à ce qu’il aurait été efficace de leur facturer, alors que les autres n’ont pas assez payé. Au deuxième cycle, tous les étudiants n’ont pas assez payé (par rapport à la politique efficace), ce qui n’est pas surprenant étant donné les coûts pour former un étudiant à ce cycle.

Les droits de scolarité proposés ici sont très raisonnables par rapport à ceux qui sont facturés dans de grandes universités canadiennes telles que l’Université de Toronto ou l’Université de la Colombie-Britannique. Bien que les comparaisons ne soient pas aisées étant donné le regroupement des disciplines au Québec, on remarque qu’à l’Université de Toronto, pour l’année 2022-2023, au premier cycle, les droits de scolarité sont de 6100 $ en arts et sciences(5). En administration, ils sont de 6100 $ la première année et grimpent ensuite à 15 900 $ pour les années 2 à 4 du programme(6). Les droits de scolarité sont de 37 080 $ en médecine dentaire(7) et de 23 090 $ en médecine(8).

À l’Université de Colombie-Britannique, pour l’année 2021-2022, au premier cycle, les droits de scolarité en arts et sciences sont de 5617 $(9). En administration, ils sont de 5617 $ la première année et de 8323 $ pour les années 2 à 4 du programme(10). Les droits de scolarité en médecine dentaire et en médecine sont de 19 219 $(11). Pour plusieurs disciplines et une majorité d’étudiants, les droits de scolarité québécois, qui se situeraient entre 1556 $ et 3268 $, serait nettement inférieurs aux droits exigés de 6100 $ et plus à l’Université de Toronto, et de 5617 $ et plus à l’Université de Colombie-Britannique.

Les impacts sur l’accessibilité et les revenus des universités

Quelles seraient les impacts de la mise en place d’une telle modulation des droits de scolarité? Une première conséquence est que plusieurs étudiants paieraient plus pour la formation qu’ils reçoivent actuellement, ce qui pourrait avoir une incidence sur l’accessibilité aux études. Il est toutefois peu probable que la modulation ait une incidence importante sur l’accessibilité au premier cycle.

D’une part, 55 % des étudiants de premier cycle verront une baisse importante de leurs droits de scolarité. D’autre part, ceux qui subiront une hausse sont les étudiants avec les meilleures perspectives d’emploi suivant leur diplomation. (Une exception serait pour les beaux-arts, où la formation est très coûteuse et les perspectives d’emploi sont plus variables.) On peut donc s’attendre à ce que la plupart des étudiants poursuivent leurs études même dans les disciplines devenues plus coûteuses. Pour ceux qui n’auraient pas les moyens d’accéder à ces disciplines, le gouvernement pourrait bonifier son aide financière aux bons étudiants dans le besoin.

Au deuxième cycle, même si la hausse proposée peut sembler importante, il ne faut pas oublier que la durée du programme est d’une ou deux années et que la diplomation mène en général à de très bons emplois, meilleurs que ceux que les étudiants obtiendraient après leur premier cycle. Ces études demeureraient donc très rentables pour les étudiants malgré la hausse des droits. Encore une fois, il y aurait moyen de bonifier l’aide financière pour les étudiants dans le besoin.

Il est possible que des impératifs du marché du travail incitent le gouvernement à favoriser certaines disciplines. Dans ce cas, le gouvernement pourrait (comme il l’a annoncé au printemps 2022) offrir des bourses ciblées pour attirer des étudiants dans ces disciplines jugées prioritaires.

La mise en place de la modulation des droits de scolarité entraînerait aussi une hausse importante des revenus issus des droits de scolarité (payés par les étudiants québécois) des universités québécoises. En effet, nos simulations montrent qu’en 2021-2022, les universités auraient touché plus de 175 M$ en revenus supplémentaires(12), et ce, même si 55 % des étudiants de premier cycle auraient payé des droits plus faibles. Ce montant représente une hausse de plus de 30 % des revenus des droits de scolarité des étudiants québécois perçus par les universités.

Une telle injection de fonds pourrait servir à financer les étudiants dans le besoin qui seraient particulièrement affectés par la hausse des droits dans leur discipline, mais surtout, elle pourrait également servir à bonifier la qualité des formations offertes, et ainsi combler partiellement l’écart de financement (et de qualité) entre les universités québécoises et les universités ailleurs au pays (voir la Figure 1).

Les droits de scolarité au Québec contribuent beaucoup moins au financement total des universités qu’ailleurs au Canada, alors que le financement public représente une part beaucoup plus importante au Québec. Cette structure de financement rend les universités québécoises vulnérables aux décisions politiques trop souvent volatiles. Et on ne peut affirmer que l’État québécois compense les droits de scolarité plus faibles, car le financement total provincial est en réalité beaucoup plus élevé ailleurs au Canada.

Une dernière conséquence de la modulation serait qu’une majorité des étudiants de premier cycle verraient une baisse relativement importante de leurs droits de scolarité. Cette politique nous apparaît dès lors politiquement réalisable.

Conclusion

En somme, la modulation des droits de scolarité est plus efficace et plus équitable pour les étudiants, chacun payant un même pourcentage des coûts de sa formation. De plus, comme la modulation est alignée sur les coûts des différentes formations, elle envoie de meilleurs signaux aux étudiants quant à ces coûts. La modulation permet également d’augmenter la qualité de nos universités et des formations en y injectant des fonds supplémentaires. Elle permettrait de combler partiellement l’écart de financement entre les universités québécoises et d’autres universités canadiennes.

Enfin, l’incidence de la modulation sur la fréquentation universitaire serait minimale parce qu’un grand nombre d’étudiants constateraient une baisse – ou seulement une très légère hausse – de leurs droits, alors que ceux qui subiraient une hausse plus forte seront ceux qui étudient dans des disciplines à forte valeur ajoutée comme la médecine ou la médecine vétérinaire. Le bien-fondé d’un ajustement des frais de scolarité pour les universités québécoises semble donc bien établi, profitant autant aux universités qu’aux étudiants.

Références

  1. Émilie Bilodeau, « Printemps érable, dix ans plus tard. Une génération au front », La Presse, 12 février 2022.
  2. Rui Castro et Michel Poitevin, Éducation et frais de scolarité, CIRANO, février 2013; Rui Castro et Michel Poitevin, « Niveau et modulation des droits de scolarité », dans Marcelin Joanis et Claude Montmarquette (dir.), Le Québec économique 7 : Éducation et capital humain, Presses de l’Université Laval, 2018.
  3. Gouvernement du Québec, Règles budgétaires et calcul des subventions de fonctionnement aux universités du Québec, année universitaire 2021-2022, p. 170.
  4. Calculs de l’auteur. Idem.
  5. University of Toronto, Tuition Fee Schedules for Publicly-Funded Programs 2022-23, Planning & Budget Office, mars 2022, p. 11.
  6. Ibid., p. 11 et 13.
  7. Ibid., p. 14.
  8. Idem.
  9. University of British Columbia, Vancouver Calendar 2021/2022. Undergraduate, consulté le 23 août 2022.
  10. Idem.
  11. Idem.
  12. Calculs de l’auteur. Gouvernement du Québec, op. cit., note 3.
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