Textes d'opinion

Destin d’Amérique

Le refus du président américain de jouer selon les règles du jeu établies suscite des réactions stupéfaites aux quatre coins du globe. Pour un monde conditionné aux lieux communs des réponses dites proportionnelles et du devoir de réserve, les sparages de Donald Trump sont tout simplement décoiffants.

C’est particulièrement vrai au Canada, où cet électrochoc semble nous avoir sorti de notre torpeur ou encore du cocon où nous logions, quelque part entre le confort et l’indifférence, à des lieues de la croissance et du dynamisme.

Dans ces moments charnières, il est important de s’entendre sur les grands principes et d’être guidé par une solide boussole plutôt que de naviguer à vue. Après tout, comme Nietzsche le faisait valoir, celui qui a un « pourquoi » peut tolérer presque n’importe quel « comment ».

Je proposerai une première règle cardinale : ne pas perdre le nord. Ultimement, peu importe les tumultes et les effets de toge, le fait de partager une frontière avec la plus grande puissance économique et militaire de l’histoire de l’humanité demeurera pour l’avenir prévisible, et sans doute au-delà, l’un de nos plus grands atouts.

Prophète surprenant pour les affaires canadiennes, Gilles Duceppe, ancien chef du Bloc Québécois, aimait bien répéter que l’on a la politique de sa géographie. Nous avons donc tout intérêt à nous rattacher à notre propre nord-américanité, et aux éléments qui nous distinguent parmi les pays d’Occident. Notre destin a son socle dans une Amérique forte et dynamique, où il est toujours possible de bâtir, de grandir et de prospérer. Il s’agit bien là de l’esprit de nos ancêtres, plus ou moins récents, qui ont bravés les éléments et autres difficultés afin de faire leur nid dans le Nouveau Monde.

Le regain de patriotisme et le « dur désir de durer », pour citer le poète, que l’on observe chez nos concitoyens est louable et sans doute nécessaire. Mais sans une canalisation productive de ces sentiments, nous risquons de ressortir inexorablement plus faibles de cette mésaventure.

Ce n’est pas en bombant le torse que nous allons réunir des conditions gagnantes pour le Canada, mais bien en réalisant que notre opportunité de bâtir un certain rapport de force se situe du côté économique. Comme le faisait valoir le général de Gaulle dans ses Mémoires d’espoir inachevés, « l’efficacité et l’ambition de la politique sont conjuguées avec la force et l’espérance de l’économie. »

Peu importe les tumultes et les effets de toge, le fait de partager une frontière avec la plus grande puissance économique et militaire de l’histoire de l’humanité demeurera pour l’avenir prévisible, et sans doute au-delà, l’un de nos plus grands atouts.

Si certaines des solutions à la crise que nous traversons sont simples, elles ne seront pas nécessairement faciles à implanter. Pour dire les choses tout bêtement : nos politiciens auront besoin d’un peu plus de courage que d’ordinaire.

Ce moment de notre histoire doit donner l’impulsion à des réformes hautement nécessaires, tant sur le plan du commerce interprovincial que sur l’amélioration du climat d’affaires. Au cours des dernières années, ce que le Canada pouvait se targuer d’avoir comme avantage concurrentiel a été grandement étiolé, voire complètement éliminé par les baisses d’impôts offertes par la première administration Trump.

Pour revigorer nos entreprises, une baisse de l’impôt sur les sociétés canadiennes et un panel de révision du fardeau réglementaire fédéral devraient être un impératif pour quiconque hérite du poste de Premier ministre du Canada. Il en va de même pour une réduction de l’impôt des particuliers, en particulier la classe moyenne canadienne qui a grandement écopée des expérimentations économiques cauchemardesques de la pandémie.

Comme je le faisais valoir dans une chronique précédente, l’exploitation accentuée de nos ressources naturelles et leur exportation vers un éventail plus large de pays, qui au demeurant les convoitent, représente une voie de salut partielle pour notre économie. Après tout, les liens économiques avec les États-Unis que je continue de voir comme une clé de voûte de notre prospérité ne veulent en aucun cas dire que nous devons nous priver de commercer avec d’autres pays, d’autant plus s’ils peuvent nous offrir des termes plus avantageux.

En ce sens, nous devrions regarder du côté des autres pays dits libéraux afin de voir dans quelle mesure nous pouvons renforcer nos ententes commerciales.

Tous nos gouvernements devront revoir les « petits privilèges » consentis à divers groupes d’intérêts syndicaux afin de permettre une réorganisation du travail sur la base de la rationalité et de l’efficacité plutôt que de la redistribution de montants extorqués du public sans réelle contrepartie. Du côté du gouvernement fédéral, on peut penser ici à la gestion de l’offre, une politique éminemment régressive, alors que pour les provinces, on pensera davantage aux actes réservés distribués comme des bonbons aux ordres professionnels. La somme de l’ensemble de ces mesures a des coûts directs faramineux pour le public, et comme effet indirect de scléroser notre économie.

Nous avons des assises solides : une géographie comportant de grandes vertus, une réputation comme pays stable et honorable, ainsi qu’une population éduquée. Peut-être même peut-on se permettre d’espérer que les défis auxquels nous faisons face vont permettre de revaloriser l’effort, qui fut naguère la pierre angulaire du progrès humain, comme le fait éloquemment valoir Olivier Babeau dans son excellent L’Ère de la flemme. 

Une fois que la neige aura fondue et que nous aurons un nouveau gouvernement fédéral, l’heure sera au grand ménage du printemps. On devra se retrousser les manches, puis y mettre un peu plus d’effort, un peu plus de courage que d’ordinaire.

Daniel Dufort est président et directeur général de l’IEDM. Il signe ce texte à titre personnel.

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