Des patients plus découragés que jamais
L’accès aux soins, ce n’est pas qu’une question de coûts. C’est aussi une question de temps.
Si vous ne vous sentez pas bien du tout, et qu’on vous demande de patienter cinq, huit ou douze heures avant de voir un médecin, peut-on vraiment considérer que vous avez accès aux soins de santé?
On peut aussi comprendre que, confrontés à une attente aussi longue, certains patients se découragent et quittent les urgences avant même d’avoir été soignés.
Ces patients découragés sont plus nombreux que jamais au Québec.
Au cours des 11 premiers mois de la dernière année, ils sont plus de 376 000 à avoir quitté les urgences sans avoir reçu de soins.
Cela représente plus d’un patient sur 10, par rapport aux 326 5349 Québécois et Québécoises qui se sont présentés aux urgences de la province au cours de la même période.
Si le chiffre est énorme, c’est sa progression qui est inquiétante.
La dernière fois que nous avions compilé les données, en 2018-2019, nous avions constaté un nombre semblable de patients découragés – soit environ 378000 –, mais le constat portait sur une année complète, avec un nombre de visites aux urgences supérieur de près de 15 pour cent.
Mais ce qui est encore plus alarmant, c’est la catégorisation des cas qui quittent nos urgences avant d’avoir été soignés.
Échelle de priorité
Le système de santé québécois trie les cas en fonction d’une échelle de priorité décroissante de un à cinq.
Un cas dit de priorité cinq – ou P5 – est considéré comme non urgent. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de problème de santé, mais plutôt qu’il s’agit d’un cas qui peut patienter un certain temps sans risques majeurs.
Au milieu de l’échelle, un cas de priorité trois – ou P3 – est considéré comme urgent, tandis qu’un cas de priorité un – ou P1 – nécessite une réanimation et doit être traité le plus rapidement possible.
Parmi les quelque 376000 Québécois et Québécoises qui ont quitté les urgences sans avoir été soignés l’an dernier, 103715 étaient considérés comme des cas urgents ou plus graves.
C’est une augmentation de 25 % en cinq ans du nombre de cas urgents qui partent sans avoir été traités.
En termes d’accès aux soins, le diagnostic ne pourrait être plus clair : la situation est grave et continue à se détériorer.
Certains diront que ce n’est qu’une question de financement, que notre système de santé géré par l’État fonctionnerait comme sur des roulettes si on y injectait quelques milliards de dollars supplémentaires.
Pourtant, cela fait bien des années que l’on consacre toujours plus de ressources au système de santé, sans observer d’amélioration notable dans la ponctualité de notre accès aux soins.
Entre 2018-2019 et l’an dernier, les dépenses du ministère de la Santé et des Services sociaux ont crû de 41,3 pour cent, atteignant un peu plus de 59,4 milliards de dollars.
Pour donner une idée de ce que cela représente, si on prend la totalité de l’impôt sur le revenu payé au provincial l’an dernier par les Québécois et les Québécoises, et qu’on y ajoute la totalité de l’impôt payé au provincial par les entreprises du Québec, il nous manquerait encore 5,6 milliards de dollars pour arriver à financer le système de santé.
Et malgré les 2,5 milliards de dollars additionnels que le gouvernement prévoit y domper cette année, il y a fort à parier que la situation ne s’améliorera pas de manière substantielle. Ce n’est pas tant un problème de ressources que d’organisation.
Le Québec et le Canada ne sont pas seuls à s’être dotés d’un système de santé universel, c’est-à-dire accessible à tous et à toutes. Nous sommes cependant parmi les seuls à insister pour que les établissements qui dispensent ces soins soient gérés par des employés gouvernementaux.
En France, par exemple, près d’un hôpital sur trois est géré par des entrepreneurs indépendants. Au Royaume-Uni, qui a servi d’inspiration pour notre système de santé, la proportion s’élève à près de 40 pour cent. Aux Pays-Bas, ce sont tous les hôpitaux qui sont indépendants.
Tous ces pays disposent de systèmes de santé universels comme le nôtre, où l’accès est garanti à tous et à toutes. La différence réside dans l’organisation des soins, dans la mesure où le gouvernement permet aux hôpitaux de se faire concurrence pour attirer les patients, ce qui permet de réduire les temps d’attente et, ultimement, d’offrir aux patients un accès ponctuel aux soins dont ils ont besoin.
Cela fait trop longtemps qu’on essaie de régler un problème d’organisation en dompant toujours plus d’argent.
Il est grand temps que Québec change d’approche en laissant les cliniques et les hôpitaux indépendants améliorer l’accès aux soins de santé pour les Québécois et les Québécoises.
Emmanuelle B. Faubert est économiste à l’IEDM et l’auteure de « Les Québécois ne devraient pas devoir quitter l’urgence avant d’avoir été soignés ». Elle signe ce texte à titre personnel.