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Cibles de réduction des émissions du Canada pour 2030: négligeables à l’échelle mondiale et potentiellement contre-productives

Point montrant que nos efforts de réduction d’émissions, qui auront un effet destructeur sur l’économie, produiront un gain environnemental minime ou inexistant, et pourraient même faire augmenter les émissions mondiales

Pour limiter ses émissions de gaz à effet de serre, le Canada a tout intérêt à se concentrer sur les répercussions mondiales plutôt que sur les effets locaux, selon cette étude publiée par l’Institut économique de Montréal.

En lien avec cette publication

Cible locale pour diminuer les GES: un «coup d’épée dans l’eau» selon une étude (Le Journal de Montréal, 16 février 2023)

Canadian emission targets miss the forest for the trees (True North, 16 février 2023)

Entrevue avec Emmanuelle B. Faubert (Midi actualité, 107,7 FM, 16 février 2023)

 

Ce Point a été préparé par Krystle Wittevrongel, analyste senior en politiques publiques et leader du projet Alberta à l’IEDM, en collaboration avec Emmanuelle B. Faubert, économiste à l’IEDM. La Collection Environnement de l’IEDM vise à explorer les aspects économiques des politiques de protection de la nature dans le but d’encourager des réponses à nos défis environnementaux qui présentent le meilleur rapport coût-efficacité.

Au début de 2019, l’IEDM a publié un article sur l’envergure des émissions de GES du Québec et de ses objectifs de réduction. Parce que la part de la province dans les émissions mondiales est infime, des dizaines d’années d’efforts de réductions des émissions pourraient être anéanties par une fraction seulement de la croissance des émissions dans d’autres pays comme la Chine. On avait alors constaté qu’il suffisait de onze jours et demi à la Chine pour rayer trente ans d’efforts de réductions au Québec(1).

Les gouvernements provincial et fédéral viennent tous deux d’annoncer de nouvelles cibles de réduction des GES pour l’année 2030. Que représentent ces réductions à l’échelle de la planète?

De plus en plus insignifiantes

Au Québec, la cible de réduction d’émissions est de 37,5 % sous le niveau de 1990 d’ici 2030, tandis qu’au Canada, l’objectif est de 40 à 45 % sous le niveau de 2005(2). Ces objectifs correspondent à une réduction au cours des sept prochaines années de 31 mégatonnes (Mt) d’équivalent CO2 au Québec et entre 287 et 324 Mt au Canada, par rapport au niveaux de 2019(3).

Proportionnellement, la part du Québec dans les émissions mondiales a baissé régulièrement, de 0,29 % en 1990 à 0,18 % en 2019, représentant une réduction de 38 %. La part du Canada a aussi diminué, passant de 2,0 % à 1,6 % entre 2005 et 2019, une réduction de 20 %(4). Cela fait du Canada un émetteur minime à l’échelle mondiale et du Québec, un émetteur encore moindre(5). Parallèlement, les émissions des puissances asiatiques émergentes comme la Chine et l’Inde continuent de grimper année après année.

En comparaison, la Chine, première émettrice de CO2 au monde, était responsable de 27,4 % des émissions mondiales en 2019 – une hausse de 41 % par rapport à 2005(6). Ses émissions annuelles sont plus de 400 fois plus élevées que les réductions que le Québec compte faire d’ici 2030(7). Autrement dit, la Chine émettait en 2019 en moins de 22 heures l’équivalent de l’entièreté des émissions que la province tente d’éliminer. Les sacrifices que le Québec s’apprête à faire dans les sept prochaines années en matière de restrictions sur la production, d’emplois non créés et de renonciation à des gains de qualité de vie (sans compter l’abandon de revenus pour le gouvernement) seront réduits en poussière en moins de 22 heures d’émissions chinoises.

Quant au Canada, il suffirait d’un peu plus d’une semaine (entre 8,2 et 9,3 jours) à la Chine pour émettre assez d’équivalent CO2 pour faire contrepoids aux cibles fédérales (voir la Figure 1). En fait, si l’on atteignait la carboneutralité demain matin, les émissions épargnées chaque année ne représenteraient qu’environ 21 jours d’émissions chinoises(8).

Risque de fuite de carbone

En outre, en ce qui a trait aux émissions, les lois de l’offre et de la demande doivent être considérées à l’échelle mondiale. Dans ce cas, la demande mondiale de combustibles fossiles demeure élevée, c’est pourquoi d’autres pays continuent de développer le secteur. Si les gouvernements empêchent les producteurs de répondre à la demande intérieure et extérieure en pétrole et en gaz, les producteurs étrangers s’en chargeront.

En effet, si le Canada poursuit ses objectifs de réduction à tout prix, les entreprises risquent de transférer la production dans un territoire moins sévère sur le plan des normes et des restrictions d’émissions, ce qui pourrait mener à une augmentation des émissions mondiales(9). C’est ce qu’on appelle une fuite de carbone, un phénomène pouvant se produire même lorsque la production est relocalisée dans un pays aux normes environnementales strictes. Par exemple, même le gaz naturel produit aux États-Unis a une empreinte environnementale plus élevée, émissions comprises, que celui du Québec(10).

En somme, les mesures de réductions des GES du Canada auront au mieux un effet anecdotique, anéanti en quelques jours par les grands émetteurs de CO2 asiatiques. Encore pire, elles mèneront fort probablement à des fuites de carbone. Advenant que le Canada ne fasse qu’exporter ses émissions dans un pays aux normes semblables, le bilan des émissions serait alors nul. Toutefois, si les normes de ce pays sont moins strictes que celles du Canada, il pourrait en fait y avoir une augmentation des émissions mondiales. Donc, soit les mesures de réduction de GES auront un effet destructeur sur l’économie contre un gain environnemental minime ou inexistant, soit la planète s’en tirera encore plus mal en dépit de nos efforts.

Nos gouvernements doivent revoir leurs objectifs dans une perspective mondiale. Alors que l’insécurité énergétique plane, que les coûts d’énergie sont élevés et que notre qualité de vie est en jeu, ils doivent se rendre à l’évidence : les sacrifices des Québécois et de l’ensemble des Canadiens n’en valent peut-être pas la chandelle, et sont potentiellement contre-productifs à l’échelle mondiale.

Références

  1. Germain Belzile, « Réduction des GES : des cibles ambitieuses pour des impacts insignifiants », IEDM, Le Point, janvier 2019, p. 1.
  2. Gouvernement du Québec, ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, Changements climatiques, Engagements du Québec, consulté le 18 janvier 2023; Environnement et Changement climatique Canada, Plan de réduction des émissions pour 2030 : Prochaines étapes du Canada pour un air pur et une économie forte, mars 2022, p. 7.
  3. Calculs de l’auteure. Environnement et Changement climatique Canada, ibid., p. 100; Environnement et Changement climatique Canada, Rapport d’inventaire national 1990-2020 : sources et puits de gaz à effet de serre au Canada – Partie 3, 2022, p. 24.
  4. Calculs de l’auteure. Ibid.
  5. Pour les mettre en perspective, les cibles de 2030 représentent une réduction mondiale de 0,62 % à 0,70 % pour le Canada et de 0,07 % pour le Québec. Calculs de l’auteure, fondés sur les émissions de 2019.
  6. Calculs de l’auteure. La Chine a émis 19,4 % des émissions mondiales en 2005. La Banque mondiale, Émissions totales de GES (kt d’équivalent CO2) – Chine, consulté le 19 janvier 2023; La Banque mondiale, Émissions totales de GES (kt d’équivalent CO2), consulté le 19 janvier 2023.
  7. Calculs de l’auteure.
  8. Calculs de l’auteure, fondés sur les émissions de 2019.
  9. CLEAR Center at UC Davis, « What is Carbon Leakage? », 24 avril 2022.
  10. Pierre-Olivier Roy et Jean-François Ménard, Technical Report: Environmental Profile of the Quebec Gas Initiative and Comparison with Other Chains, CIRAIG, juin 2019, p. 51.
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