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Bonifier les soins de longue durée pour améliorer l’accès aux soins hospitaliers en Alberta

Note économique montrant comment libérer des lits d’hôpitaux occupés par des personnes nécessitant un « niveau de soins alternatif » permettrait à tous les patients de recevoir des soins de meilleure qualité et plus rapidement, tout en améliorant les conditions de travail du personnel hospitalier

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Think tank says Alberta needs more independent health providers to free up hospital beds (Western Standard, 22 février 2025)

 

Cette Note économique a été préparée par Emmanuelle B. Faubert, économiste à l’IEDM, en collaboration avec Krystle Wittevrongel, directrice de la Recherche à l’IEDM. La Collection Santé de l’IEDM vise à examiner dans quelle mesure la liberté de choix et l’entrepreneuriat permettent d’améliorer la qualité et l’efficacité des services de santé pour tous les patients.

La saturation des hôpitaux est un enjeu persistant dans l’ensemble du Canada(1). En Alberta, comme ailleurs, l’occupation prolongée des lits d’hôpitaux par des patients qui n’ont plus besoin d’être hospitalisés en est l’une des principales causes.

Ces patients demeurent à l’hôpital en attendant des services mieux adaptés. Améliorer l’accès aux soins de longue durée pour les personnes âgées, qui représentent la majorité de ces patients qui monopolisent les lits d’hôpitaux, contribuerait donc à améliorer l’accès aux soins hospitaliers pour les Albertains.

Une forte proportion de patients qui nécessitent un « niveau de soins alternatif »

Les patients qui occupent un lit d’hôpital sans nécessiter le niveau de soins et les ressources normalement associés à celui-ci sont appelés patients nécessitant un « niveau de soins alternatif » (NSA)(2). Bien que la proportion de lits occupés par ces patients fluctue au fil du temps, il s’agit d’un problème persistant(3). La Figure 1 montre la variation du pourcentage moyen de temps pendant lequel les lits d’hôpitaux ont été occupés par des patients NSA dans sept villes de l’Alberta, sur une période de cinq ans.

Bien que ce pourcentage ait diminué au cours de la période, les lits d’hôpitaux sont toujours occupés une partie importante du temps par des patients qui ne nécessitent pas un niveau de soins aussi élevé.

En moyenne, au début de l’année 2024, quelque 1500 lits de soins aigus étaient monopolisés quotidiennement par des patients NSA en Alberta (soit 18 %)(4). C’est l’équivalent de consacrer en permanence la totalité du Foothills Medical Centre, l’un des plus grands hôpitaux du Canada avec ses 1093 lits, ainsi qu’un autre grand hôpital de 400 lits, à la seule prise en charge des patients NSA de la province(5). Tous ces lits pourraient plutôt être utilisés pour traiter les patients qui nécessitent réellement des soins hospitaliers.

L’effet domino de la monopolisation des lits

La forte proportion de lits d’hôpitaux occupés par des patients NSA exerce une pression considérable sur le reste du système de soins de santé, notamment en augmentant le taux d’occupation des hôpitaux.

Les données montrent que les hôpitaux albertains fonctionnent souvent quasiment au maximum de leur capacité, voire au-delà. Par exemple, le taux d’occupation de l’hôpital de l’Université de l’Alberta n’a pas été sous la barre des 100 % depuis octobre 2021(6).

Les lits d’hôpitaux sont occupés une partie importante du temps par des patients qui ne nécessitent pas un niveau de soins aussi élevé.

Lorsque les lits réservés aux patients hospitalisés sont occupés par ceux qui n’en ont pas besoin, cela empêche les patients des services d’urgence qui ne nécessitent plus de soins urgents, mais qui doivent néanmoins être hospitalisés, d’être orientés vers les unités appropriées(7). Il en résulte ce que l’on appelle souvent la « médecine de couloir », où l’on voit des civières dans les couloirs, voire dans les placards, et de plus en plus de patients entassés dans les mêmes chambres(8). La médecine de couloir peut nuire à l’accès des patients aux soins spécialisés qu’ils devraient normalement recevoir(9).

L’impossibilité d’admettre les patients des urgences dans les unités appropriées en raison du manque de lits se répercute sur les personnes en attente de soins dans les salles d’urgence(10). Lorsque les urgences sont déjà en surcapacité, la gestion des patients qui auraient dû être transférés dans d’autres unités ralentit davantage les délais de prise en charge des nouveaux patients. En effet, un seul patient en attente de transfert, mais qui continue d’occuper un lit aux urgences, empêche en moyenne quatre patients par heure de recevoir des soins dans ce service d’urgence(11).

Cette situation peut, à son tour, nuire au pronostic des patients, dans la mesure où des maladies graves peuvent avoir des conséquences néfastes sur leur état de santé si elles ne sont pas diagnostiquées ou traitées à temps(12). Les longues attentes peuvent également mener les patients à quitter la salle d’urgence sans avoir été pris en charge, ce qui accroît davantage les risques de détérioration de leur état de santé(13).

Une telle situation affecte aussi négativement le personnel hospitalier, déjà surchargé et épuisé, notamment en raison du stress lié à la saturation des hôpitaux. Les départs se multiplient et les pénuries de personnel s’aggravent, créant ainsi un cercle vicieux pour ceux et celles qui restent en poste(14). Le personnel infirmier, par exemple, travaille dans des conditions particulièrement éprouvantes qui plongent nombre d’entre eux dans un état d’épuisement professionnel(15). Cela peut également conduire à une diminution de la qualité des soins prodigués, un autre aspect négatif pour les patients.

Des ressources médicales gaspillées

Outre ses effets sur les patients et les professionnels de la santé, ce phénomène affecte également l’allocation des ressources hospitalières en général. Les différents services utilisent des équipements spécialisés et du personnel qualifié pour dispenser des soins spécialisés. La présence de patients dans la mauvaise unité — par exemple, un patient stable après une crise cardiaque qui attend aux urgences un lit en cardiologie, ou un patient âgé en attente d’une chambre dans une maison de retraite — se traduit par une mauvaise répartition des ressources, ce qui rend l’utilisation des équipements médicaux et des professionnels de la santé hautement spécialisés moins optimale(16).

Un seul patient en attente de transfert, mais qui continue d’occuper un lit aux urgences, empêche en moyenne quatre patients par heure de recevoir des soins.

Par exemple, de nombreuses chirurgies non urgentes ont été retardées ou annulées en raison de la saturation des salles d’urgence. Ainsi, les ressources et le personnel sont réaffectés de leurs services habituels pour gérer l’afflux de patients dans les salles d’urgence(17). Si une telle approche peut s’avérer nécessaire en temps de crise, le fait que les hôpitaux fonctionnent régulièrement au-delà de leur capacité maximale augmente la probabilité de devoir recourir à ce type de mesures, ce qui a pour effet d’allonger les listes d’attente pour les chirurgies, déjà beaucoup trop longues(18). Les patients doivent souvent attendre des semaines, voire des mois, pour subir une intervention chirurgicale non urgente, parfois jusqu’à plus d’un an(19).

De plus, cette mauvaise répartition des ressources hospitalières est coûteuse pour le système de santé de l’Alberta. Une étude réalisée en 2024 a estimé que le coût d’un seul patient NSA se situait entre 730 $ et 1200 $ par jour. En comparaison, le coût estimé des soins de longue durée variait entre 225 $ et 253 $ par jour(20). Ces coûts peuvent être encore plus bas si les patients n’ont besoin que d’une aide à domicile de base, qui peut souvent être assurée par des proches aidants et du personnel non médical moins spécialisé. Il est toutefois difficile de bien quantifier ces coûts, en raison des grandes variations dans les types et les niveaux de soins à domicile nécessaires pour chaque patient(21).

Améliorer les soins continus et les soins à domicile pour les personnes âgées

Au cours des cinq dernières années, près de 23 800 patients ont été hospitalisés plus longtemps que nécessaire dans les hôpitaux de l’Alberta en attendant un lit de soins continus, soit une moyenne de 4760 patients annuellement(22). Au Canada, des données récentes révèlent qu’un patient hospitalisé sur dix en attente de soins à domicile voit son séjour à l’hôpital prolongé(23). (Cela équivaut à 3135 Albertains en 2023-2024(24).) La moitié de ces patients ont monopolisé un lit pendant 13 jours supplémentaires ou plus alors qu’ils attendaient à l’hôpital(25).

La majorité des patients nécessitant un niveau de soins alternatif sont des personnes âgées(26). Une étude a montré que les taux de NSA sont significativement plus élevés pour les patients de plus de 80 ans, et encore plus élevés pour les patients âgés de 86 ans et plus(27). Certains de ces patients nécessitent des soins continus temporaires dans des centres de réadaptation. D’autres doivent être placés dans des foyers de soins de longue durée, qui sont équipés pour traiter les patients nécessitant des soins médicaux spécialisés, ou dans des résidences qui offrent un environnement plus familier aux personnes dont les besoins médicaux sont moins complexes(28). Ces dernières relèvent généralement du secteur privé, qu’il s’agisse d’établissements à but lucratif ou non.

Il est essentiel de remédier aux difficultés d’accès aux soins de longue durée afin d’améliorer la rapidité d’accès des Albertains aux services hospitaliers.

Bien que des efforts aient été déployés ces dernières années pour créer de nouvelles places dans ces établissements, elles demeurent insuffisantes(29). Les autorités albertaines doivent s’assurer de lever tous les obstacles à la création de nouvelles places, y compris par le secteur privé, de manière à accélérer les progrès.

Une autre piste de solution, encore moins coûteuse, consisterait à améliorer l’accès aux soins à domicile. Il peut s’agir, par exemple, de l’aide de professionnels de la santé pour les injections d’insuline ou d’un soutien pour les tâches quotidiennes telles que le bain, la cuisine ou le ménage(30).

Des modèles comme celui des prestations pour soins, répandus en Europe, impliquent généralement des versements mensuels aux patients nécessitant des soins de longue durée, leur permettant de choisir comment utiliser ce budget, que ce soit pour payer les services de professionnels ou pour rémunérer les proches aidants(31).

Conclusion

Les difficultés liées à la transition des patients vers des soins appropriés après leur sortie de l’hôpital soulignent les problèmes de coordination du système de santé de l’Alberta. Faciliter ces transitions vers les établissements de soins de longue durée et les soins à domicile présenterait des avantages généralisés.

Il est essentiel de remédier aux difficultés d’accès aux soins de longue durée, surtout pour les personnes âgées, afin d’améliorer la rapidité d’accès des Albertains aux services hospitaliers. Permettre aux patients nécessitant un niveau de soins alternatif d’y accéder plus rapidement libérerait des lits d’hôpitaux, réduisant ainsi les taux d’occupation et la saturation des hôpitaux, tant en ce qui concerne l’hospitalisation que les salles d’urgence. Cela permettrait également une utilisation plus efficace des ressources humaines, matérielles et financières, tout en permettant aux patients de recevoir des soins de meilleure qualité et plus rapides, et en améliorant les conditions de travail du personnel hospitalier.

Références

  1. Lauren Pelley, « Over-capacity ERs are dangerous choke points. But hospital challenges go far deeper », CBC News, 13 janvier 2024; Statista, Occupancy rates of curative (acute) care beds in hospitals in select countries worldwide in 2010 and 2021, décembre 2023.
  2. Types de lits occupés par les patients NSA : lits de soins aigus, lits de soins psychiatriques, lits de réadaptation, lits de soins pour affections subaiguës et lits de transition. Health Quality Council of Alberta, Healthcare Areas, Emergency Department, Delivery of care, Hospital patients who require an alternate level of care, Identifying information, consultée le 13 janvier 2025.
  3. Calcul de l’auteure. Health Quality Council of Alberta, Healthcare Areas, Emergency Department, Delivery of care, Hospital patients who require an alternate level of care, consultée le 7 janvier 2025.
  4. Lisa Johnson, « Alberta adding continuing-care spaces, teams to lessen pressure on hospital beds », Edmonton Journal, 14 mars 2024.
  5. Calgary Health Foundation, Foothills Medical Centre, consultée le 14 janvier 2025; Institut canadien d’information sur la santé, Boutique en ligne, Information sur le Plan de base, consultée le 14 janvier 2025.
  6. Health Quality Council of Alberta, Healthcare Areas, Emergency Department, Delivery of care, Hospital occupancy, consultée le 14 janvier 2025.
  7. Andrew Affleck et al., « Emergency department overcrowding and access block », Canadian Journal of Emergency Medicine, vol. 15, no 6, 2013, p. 363 et 368.
  8. Jennifer Lee, « Makeshift dividers, hallway medicine are signs of a system in crisis, say Alberta front-line staff », CBC News, 16 janvier 2024.
  9. Andrew Affleck et al., op. cit., note 7.
  10. Health Quality Council of Alberta, Healthcare Areas, Emergency Department, Wait times, Length of time emergency department patients wait for a hospital bed after a decision to admit, consultée le 14 janvier 2025.
  11. Jason M. Sutherland et R. Trafford Crump, « Alternative Level of Care: Canada’s Hospital Beds, the Evidence and Options », Healthcare Policy, vol. 9. no 1, août 2013, p. 28.
  12. Sharon Kirkey, « “I don’t think I’ll last”: How Canada’s emergency room crisis could be killing thousands », National Post, 19 juillet 2024.
  13. Idem.
  14. Penn Nursing News, « Hospital understaffing and poor working conditions associated with burnout », Penn Today, 14 juillet 2023.
  15. Fédération canadienne des syndicats d’infirmières et infirmiers, CFNU Member Survey Report, mars 2024, p. 6.
  16. Andrew Affleck et al., op. cit., note 7, p. 362.
  17. Ibid., p. 363.
  18. Institut canadien d’information sur la santé, Explorez les temps d’attente pour les interventions prioritaires au Canada, consultée le 14 janvier 2025.
  19. Idem.
  20. Rosalie Wyonch, « Fixing the ALC Patient Problem is a Triple Win for Canadians », Institut C.D. Howe, 10 mai 2024.
  21. Centrale Sun Life, Produits, Santé, Soins de longue durée, Coûts des soins de longue durée par province, Les soins de longue durée en Alberta, consultée le 14 janvier 2025.
  22. Calcul de l’auteure. Nicholas Frew, « Alberta hospital patients waiting to move into continuing care are paying millions in fees », CBC News, 12 décembre 2024.
  23. Institut canadien d’information sur la santé, « Hospital Stay Extended Until Home Care Services or Supports Ready », décembre 2024.
  24. Calcul de l’auteure. Institut canadien d’information sur la santé, Wait Times for Home Care Services, 2020-2021 to 2023-2024, Tableau 4, Tableau de données, consulté le 14 janvier 2025.
  25. Calculs de l’auteure. Lisa Johnson, op. cit., note 4; Institut canadien d’information sur la santé, op. cit., note 23.
  26. Andrew Affleck et al., op. cit., note 7, p. 363.
  27. Stephanie Durante et al., Confronting the Alternative Level of Care (ALC) Crisis with a Multifaceted Policy Lens, The School of Public Policy, University of Calgary, juin 2023, p. 5.
  28. Susan E. Slaughter et al., « The Changing Landscape of Continuing Care in Alberta: Staff and Resident Characteristics in Supportive Living and Long-Term Care », Healthcare Policy, vol. 14, no 1, août 2018.
  29. Lisa Johnson, op. cit., note 4.
  30. Centrale Sun Life, op. cit., note 21.
  31. Cela s’applique à la fois aux services médicaux fournis par des professionnels de la santé et à l’aide non médicale qui permet aux patients de maintenir leur autonomie et de rester plus longtemps chez eux. Krystle Wittevrongel et Emmanuelle B. Faubert, « Vieillir chez soi – Les modèles de prestations pour soins réduisent l’institutionnalisation », IEDM, Note économique, novembre 2022, p. 1.
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