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Bois d’œuvre canadien: un conflit qui coûte cher aux consommateurs et aux entreprises

Note économique montrant que les tarifs douaniers sur cette ressource ont eu davantage d’effets négatifs que positifs sur l’économie et les consommateurs américains

Le conflit canado-américain sur le bois d’œuvre dure depuis une quarantaine d’années et n’est bénéfique pour aucun des deux pays : c’est la conclusion à laquelle arrivent des chercheurs de l’IEDM. La perte de production du côté canadien a des conséquences directes sur l’industrie forestière du pays et n’est pas compensée par l’augmentation de la production chez nos voisins du sud, ce qui donne lieu à une perte nette du volume de bois disponible sur le marché américain.

En lien avec cette publication

Bois d’œuvre canadien: un conflit qui nuit aux consommateurs et aux producteurs (Le Soleil, 30 juin 2022)

Bois d’œuvre: les Américains souffrent davantage du protectionnisme, selon l’IEDM (Le Journal de Québec, 30 juin 2022)

Softwood lumber dispute is bad for consumers and producers (Sun Media Papers, 4 juillet 2022)

Entrevue avec Olivier Rancourt (Les matins d’ici, Ici Radio-Canada, 4 juillet 2022)

 

Cette Note économique a été préparée par Olivier Rancourt, économiste à l’IEDM, et Gabriel Giguère, analyste en politiques publiques à l’IEDM. La Collection Réglementation de l’IEDM vise à examiner les conséquences souvent imprévues pour les individus et les entreprises de diverses lois et dispositions réglementaires qui s’écartent de leurs objectifs déclarés.

Les tensions liées au commerce canado-américain du bois d’œuvre ne datent pas d’hier : l’imposition de mesures protectionnistes dure maintenant depuis une quarantaine d’années(1). La succession de conflits entre les deux partenaires commerciaux, qui découle notamment d’accusations de dumping de la part des politiciens et producteurs américains à l’égard de l’industrie forestière canadienne, s’est accompagnée de l’imposition à répétition de tarifs douaniers sur le bois d’œuvre canadien(2). La principale raison invoquée par nos voisins du sud en faveur de la mise en place de ces mesures nuisibles est que 94 % des forêts canadiennes sont publiques, ce qui constituerait selon eux la preuve que le bois d’œuvre canadien est subventionné(3). Le gouvernement américain maintient cette position malgré de multiples revers face à l’OMC et à l’ancien ALENA(4).

Si les tarifs douaniers ont avantagé les producteurs de bois d’œuvre américains, les producteurs canadiens ont vu en 2017 un ralentissement de leurs activités s’élevant à 60 millions de dollars américains(5). Qui plus est, les consommateurs américains ont vu le prix du bois d’œuvre augmenter à la suite de l’imposition de tarifs douaniers sur la ressource canadienne et en sont les grands perdants. Les tarifs douaniers sur cette ressource ont eu davantage d’effets négatifs que positifs sur l’économie et les consommateurs américains.

Un historique conflictuel

Cinq conflits ont eu lieu depuis 1982. Mises bout à bout, ces querelles à propos du commerce du bois d’œuvre canadien représentent 19 années, soit près d’une année sur deux depuis le début des tensions(6). En plus d’avoir duré trop longtemps déjà, cette succession de conflits a causé du tort aux économies des deux pays.

Le premier conflit survient en 1982 lorsque les États-Unis déposent des plaintes alléguant que le bois d’œuvre canadien importé était, selon les producteurs américains, hautement subventionné(7). Quelques années plus tard, en 1986, l’industrie forestière américaine dépose de nouvelles plaintes, cette fois-ci devant l’International Trade Administration (ITA), une organisation rattachée au Département du Commerce américain, qui établit alors des droits compensatoires de 15 % sur le bois d’œuvre canadien. L’imposition de barrières tarifaires sur la ressource est une première dans la saga(8).

Ce réflexe consistant à mettre en place des tarifs douaniers perdurera du côté américain et aura des répercussions néfastes sur le commerce entre les deux partenaires. Un accord est ensuite conclu entre les deux parties en 1986 et établit des tarifs à hauteur de 15 %. Le Canada se retire de cette entente en 1991(9). Deux autres conflits entre les partenaires commerciaux surviennent entre 1992 et 2005, tous deux accompagnés de plaintes en vertu d’accords de libre-échange.

Le dernier conflit éclate en 2016 après le non-renouvellement du côté canadien d’un accord de plus de neuf ans venu à échéance. Ce cinquième conflit – qui dure encore aujourd’hui(10) – s’inscrit dans la trame du nationalisme économique américain marqué par le slogan « Make America Great Again » du président Trump et les modifications au Buy American Act adoptées par l’administration Biden. Il est caractérisé par des tarifs douaniers sur le bois d’œuvre imposés en novembre 2017 par le président Trump atteignant 20,83 %(11).

À la suite de la plainte déposée contre les États-Unis par les représentants du Canada, l’OMC conclut dans un rapport rendu public en 2020 que le Département du Commerce américain n’a pas agi de manière objective et impartiale en ce qui concerne les droits compensateurs et les mesures antidumping américaines(12). Ce jugement met en lumière la réaction disproportionnée des politiciens au sud de la frontière.

Des tarifs douaniers qui affectent la production du bois d’œuvre

L’objectif des tarifs douaniers est de pénaliser les producteurs canadiens de bois d’œuvre et de favoriser l’achat de ressources des producteurs américains. Les autorités américaines ont perçu à l’industrie de la foresterie canadienne, de 2017 à 2021, 5,6 milliards de dollars (CAD) de droits en exportation(13). En 2021, c’était plus de 84 % des exportations de cette ressource naturelle du Canada qui allaient chez nos voisins du sud(14).

De surcroît, nos projections indiquent que de 2017 à 2027, les tarifs auront fait diminuer les exportations des producteurs canadiens pour une valeur de plus de 3 milliards de dollars américains(15) (voir la Figure 1). Cette perte en valeur n’est toutefois pas compensée par la hausse des activités chez les producteurs américains qui a découlé de la mise en place des tarifs douaniers. Globalement, selon nos projections, avec un tarif à hauteur de 20,83 %, il y a eu une perte nette de la production de 71 000 m3 de bois lorsqu’on observe la baisse au Canada des activités dans les scieries et l’augmentation de celles-ci aux États-Unis(16). Cette perte nette, comme nous le verrons ci-dessous, a des répercussions sur le prix payé par les consommateurs américains.

Ce manque à gagner devrait inquiéter les Canadiens puisque le secteur forestier représentait 24,2 milliards de dollars en 2019(17). C’est donc l’économie du pays dans son ensemble, étant donné l’importance du secteur, qui est directement touchée par ces barrières tarifaires.

Cette chute des exportations peut être observée par la variation de volume de bois exporté vers les États-Unis. De 2017 à 2019, le volume exporté (en m3) par année a baissé de 9 %(18). Les répercussions projetées des tarifs correspondent à une baisse des exportations de plus de 14 millions de mètres cubes de bois sur 10 ans(19) (voir la Figure 2). Bien que les tarifs douaniers aient fluctué au fil du temps, ils auront certainement des conséquences néfastes sur le volume de bois produit, car la perte de volume ne sera pas pleinement compensée par une hausse des activités de production nationale au sud de la frontière.

Force est de constater que l’industrie forestière canadienne perd plusieurs occasions d’affaires en raison des barrières tarifaires. Toutefois, il serait erroné de croire que le Canada est le seul pays perdant; le marché américain l’est également. La raison en est simple : étant donné que la réduction des importations n’est pas intégralement compensée par l’augmentation de la production interne, la quantité disponible pour les consommateurs est réduite. En découle alors une hausse des prix. Même si ce n’est évidemment pas la seule métrique ayant des répercussions sur le prix de ce matériau, elle a sur lui une influence certaine(20). Au final, ce sont les consommateurs américains de bois d’œuvre qui se retrouvent avec des matériaux plus coûteux à cause des tarifs.

Les consommateurs américains : grands perdants des barrières protectionnistes

En matière de bien-être économique, ce sont les consommateurs américains qui ont connu la plus grande perte. La diminution du bien-être est estimée par la réduction de la différence entre la valeur de réserve (le prix maximal que le consommateur est prêt à payer pour un bien) et le prix payé. Elle peut être due soit à la hausse du prix de la ressource, soit à une diminution de la valeur de réserve – causée entre autres par une baisse du revenu disponible.

Les consommateurs américains ont perdu l’équivalent de plus de 1,56 milliard de dollars en 2017 à cause des tarifs douaniers sur le secteur forestier canadien mis en place par les dirigeants politiques de leur pays(21). Ces barrières tarifaires ont nui 26 fois plus au bien-être des consommateurs américains en 2017 qu’aux producteurs canadiens(22). Autrement dit, les répercussions financières pour la population états-unienne étaient 26 fois plus importantes cette année-là que pour les producteurs au Canada, pour qui elles représentaient une perte de bien-être économique de seulement 60 millions de dollars américains.

Les politiciens des États-Unis devraient s’attarder à cette réalité et voir les torts qu’ils causent à leur propre population (voir la Figure 3). Qui plus est, on estime que la perte de bien-être économique des consommateurs américains était supérieure de 7 % aux gains des producteurs de ce pays(23). Les tarifs équivalent donc à un transfert des consommateurs de bois d’œuvre américains aux producteurs. Devant cet état de fait, les citoyens américains auraient intérêt à ce que leur gouvernement revoie sa politique protectionniste.

De leur côté, les consommateurs de bois d’œuvre peuvent également être producteurs d’autres produits. C’est le cas des artisans et de certaines industries, par exemple celle de la construction résidentielle. Pour cette raison, entre autres, l’Association nationale américaine des constructeurs de maisons s’est opposée à la mise en place des tarifs en 2022(24) qui viendrait tirer à la hausse le prix du bois, déjà très élevé(25). Elle dénonçait le fait que la production américaine n’est pas capable de combler la demande intérieure(26). Les tarifs douaniers imposés du côté américain découragent les consommateurs de se procurer cette ressource étant donné l’augmentation des prix qui en découle(27). De cela a résulté, selon une étude, une baisse de la demande sur le bois d’œuvre de 240 000 m3 pendant la période où le tarif douanier s’élevait à 20,83 %(28).

Le constat est clair : le protectionnisme a des répercussions néfastes pour l’économie de tous les pays concernés. On le sait depuis des siècles, et l’économiste David Ricardo le démontre notamment dans sa théorie des avantages comparatifs.

Toutefois, les États-Unis ne sont pas les seuls à mettre en place ce type de mesures nuisibles à la prospérité économique. Le Canada en a aussi établi plusieurs qui font obstacle au libre commerce. Le cas de la gestion de l’offre est un exemple clair de système canadien s’inscrivant dans le protectionnisme économique. Il s’agit de quotas et de tarifs pouvant atteindre jusqu’à 300 % sur certains produits(29). Qu’il s’agisse de tarifs douaniers sur le bois d’œuvre canadien ou de notre système de gestion de l’offre, les mesures protectionnistes nuisent directement aux consommateurs des pays qui les mettent en place(30).

Conclusion

Le conflit canado-américain sur le bois d’œuvre dure depuis une quarantaine d’années et n’est bénéfique pour aucun des deux pays. La perte de production du côté canadien a des conséquences directes sur l’industrie forestière du pays, et n’est pas compensée par l’augmentation de la production chez nos voisins du sud, ce qui donne lieu à une perte nette. De leur côté, malgré la hausse des activités chez les producteurs américains, les consommateurs américains en payent fortement le prix. Si le gouvernement américain retirait toutes les barrières tarifaires sur le bois d’œuvre canadien, les deux économies en sortiraient gagnantes.

Références

  1. Congressional Research Service, « Softwood Lumber Imports from Canada: Current Issues », avril 2018, p. 1.
  2. Ibid., p .9.
  3. Ibid., p. 5.
  4. Alexandre Moreau, « Les coût économiques du protectionnisme : le cas du bois d’œuvre », IEDM, Point, septembre 2016, p. 1; Gouvernement du Québec, Ministère de l’Économie et de l’Innovation, Litiges commerciaux, 24 août, 2020.
  5. Joseph Buongiorno et Craig Johnson, « Potential Effects of US Protectionism and Trade Wars on the Global Forest Sector », Forest Science, vol. 64, no 2, avril 2018, p. 126.
  6. Congressional Research Service, op. cit., note 1, p. 9.
  7. Idem.
  8. Gouvernement du Québec, op. cit., note 4.
  9. Idem.
  10. Bibliothèque du Parlement, « Le conflit du bois d’œuvre entre le Canada et les États-Unis : les plus récents développements », 17 décembre 2021.
  11. Joseph Buongiorno, « Projected effects on US tariffs on Canadian softwood lumber and newsprints imports: A cobweb model », Canadian Journal of Forest Research, vol. 48, no 11, août 2018, p. 1356.
  12. Gouvernement du Québec, op. cit., note 4.
  13. Bibliothèque du Parlement, op. cit., note 10.
  14. Gouvernement du Canada, Importation, exportation et investissement, donnée sur le commerce en direct, Rapport – données sur le commerce en direct, consulté le 16 mai 2022.
  15. Calculs des auteurs. United States Department of Agriculture, Foreign Agricultural Service, Global Agricultural Trade System, consulté le 5 mai 2022; Joseph Buongiorno, op. cit., note 11, p. 1355.
  16. Joseph Buongiorno, op. cit., note 11, p. 1355.
  17. Gouvernement du Canada, Ressources naturelles Canada, Nos ressources naturelles, Forêts et foresterie, L’état des forêts au Canada : Rapport annuel, De quelle façon le secteur forestier contribue-t-il à l’économie du Canada?, 25 mars 2022.
  18. Calculs des auteurs, voir l’annexe technique; United States Department of Agriculture, op. cit., note 15.
  19. Calcul des auteurs. Joseph Buongiorno, op. cit., note 11, p. 1355.
  20. Joseph Buongiorno, op. cit., note 11, p. 1355.
  21. Joseph Buongiorno et Craig Johnston, op. cit., note 5, p. 125.
  22. Calcul des auteurs. Ibid., p. 125-126.
  23. Idem.
  24. National Association of Home Builders, « NAHB calls for US to end lumber tariffs, boost domestic production », Canadian Forest Industries, 15 mars 2022.
  25. Trading Economics, Lumber, consulté le 9 mai 2022.
  26. National Association of Home Builders, op. cit., note 24.
  27. Joseph Buongiorno, op. cit., note 11, p. 1355.
  28. Idem.
  29. Parlement du Canada, Le mécanisme de la gestion de l’offre au Canada, Publication no 2018-42-F, 30 novembre 2018, p. 6.
  30. Vincent Geloso et Alexandre Moreau, « La gestion de l’offre appauvrit les plus pauvres », IEDM, septembre 2016, p. 2.
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