Accès à l’eau: la nécessité est mère de l’invention

Texte d’opinion publié en exclusivité sur notre site.
L’eau est une ressource vitale.
Pour la majorité de ceux qui liront ces lignes, l’accès à l’eau potable va de soi, et l’on n’y pense qu’en cas de rares bris d’aqueducs.
Presque inconsciemment cependant, on sait que ce n’est pas encore le cas partout.
Bien que des progrès importants aient été réalisés en matière d’accès fiable à l’eau potable, de nombreux ménages un peu partout dans le monde sont encore confrontés à un accès incertain faute d’infrastructures adéquates.
Au Canada, plus de 99 pour cent de la population y a accès, selon les données de l’UNICEF. Malheureusement, 33 communautés des Premières Nations doivent composer, encore aujourd’hui, avec 35 avis d’ébullition en vigueur depuis plus d’un an.
En Côte d’Ivoire, cette proportion est plutôt de 73 pour cent – et tombe à 44 pour cent si l’on exclut les accès communautaires. Malgré les progrès enregistrés par le pays, qui a fait croître cette dernière proportion de près d’un tiers entre 2015 et 2022, il reste encore beaucoup de chemin à faire.
Par exemple, de nombreux quartiers de la capitale, Abidjan, ne sont toujours pas branchés au réseau d’aqueduc ou, s’ils le sont, la pression est parfois insuffisante pour que l’eau atteigne leur résidence.
Comme le dit le proverbe, la nécessité est mère de l’invention.
Devant cette situation, tout un réseau informel de microentrepreneurs s’est mis en place dans ces quartiers afin d’offrir un approvisionnement fiable et prévisible en eau potable, en l’absence d’infrastructures lourdes.
Les petits opérateurs privés livreurs d’eau sont des citoyens et citoyennes issus de ces quartiers qui ont identifié le manque d’eau comme un problème, et s’efforcent d’y remédier à leur façon, notamment en assurant la livraison entre un point d’eau potable et les voisins qui sont leurs clients.
Bien qu’ils opèrent en marge du cadre légal, ces microentrepreneurs jouent un rôle essentiel dans leurs quartiers, facilitant l’accès à l’eau pour les populations qui y résident.
Une étude récente menée par l’IEDM, Audace Institut Afrique et des universitaires canadiens et marocains grâce au soutien de la Templeton World Charity Foundation, s’est penchée sur le phénomène.
Les chercheurs ont interviewé 1067 de ces microentrepreneurs afin de mieux comprendre leur domaine, les enjeux qui les préoccupent, et le rôle qu’ils peuvent jouer pour remédier au manque d’accès à l’eau.
D’abord, il importe de reconnaître que le choix de cette occupation est avant tout motivé par les perspectives de revenus. En effet, plus de la moitié des répondants affirment avoir choisi ce secteur d’activité parce qu’il offrait de meilleures perspectives que leur occupation précédente.
Cela étant dit, une vaste majorité de 88 pour cent d’entre eux aimerait voir leur métier se formaliser et obtenir une reconnaissance légale.
Selon leurs témoignages, cela leur permettrait de sécuriser leurs perspectives d’emploi et leurs équipements, d’obtenir un meilleur accès au financement et d’éviter le harcèlement administratif.
Dans la mesure où, malgré les progrès importants dans le branchement à l’eau potable, une part non négligeable de la population n’a toujours pas un accès fiable à cette ressource vitale, formaliser et reconnaître les petits opérateurs privés livreurs d’eau offrirait une solution concrète pour accroître rapidement l’accès.
Par exemple, les autoriser à agir en tant que sous-traitants du principal distributeur d’eau en Côte d’Ivoire aurait l’avantage d’agrandir la couverture des mini-réseaux d’eau installés par ces petits opérateurs dans les quartiers les plus vulnérables.
Ou encore, un partenariat avec les autorités réglementaires locales pourrait permettre d’assurer un approvisionnement temporaire en cas de problèmes d’accès à la ressource.
Un projet pilote pourrait également être mis en place dans la capitale afin de recenser, enregistrer, former et accompagner ces microentrepreneurs, notamment pour assurer un suivi de la qualité de l’eau et mieux comprendre le fonctionnement de cette industrie.
Une telle formalisation favoriserait également un meilleur accès à la formation, ce qui permettrait d’améliorer la qualité de l’eau distribuée et de mieux servir les populations locales.
Dans une perspective où le branchement aux ressources formelles d’eau potable ne va pas aussi vite qu’on le souhaiterait, ce type d’initiatives locales ne devrait pas être freiné, mais plutôt encouragé.
Comme quoi le génie humain est une ressource inépuisable.
Renaud Brossard est vice-président, Communications à l’IEDM. Il signe ce texte à titre personnel.