Abolissons l’interdiction fédérale de vente de véhicules à essence

Point montrant que l’accélération artificielle de l’adoption des véhicules électriques, orchestrée par la réglementation fédérale, est assortie de coûts importants pour les contribuables et les consommateurs canadiens
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Ce Point a été préparé par Gabriel Giguère, analyste senior en politiques publiques à l’IEDM. La Collection Énergie de l’IEDM vise à examiner l’impact économique du développement des diverses sources d’énergie et à réfuter les mythes et les propositions irréalistes qui concernent ce champ d’activité important.
Le gouvernement fédéral a adopté en décembre 2023 un règlement interdisant aux Canadiens d’acheter des véhicules neufs à essence dès 2035(1). L’objectif de cette interdiction est d’accélérer la transition aux véhicules électriques(2). Cependant, au vu des coûts élevés et de la baisse de la qualité de vie qu’une telle mesure engendrerait pour la population, ce règlement devrait être aboli.
Une transition accélérée à quel prix?
Les véhicules électriques sont généralement présentés comme l’avenir de la mobilité. Si cela s’avère exact, leur adoption devrait être rapide et cumulative(3), dans la mesure où de plus en plus de consommateurs choisiront des produits innovants qui répondent mieux à leurs attentes. Il s’agit de la courbe de Rogers, en forme de S, qui montre l’adoption cumulative d’un produit : une diffusion lente de l’innovation au départ, suivie d’une forte accélération, puis d’une phase de ralentissement final alors que les consommateurs les plus récalcitrants finissent pas adopter l’innovation. C’est ce qui s’est passé avec l’adoption massive des téléphones mobiles ou de l’Internet(4), notamment.
Or, l’adoption des véhicules électriques tarde à se concrétiser au Canada et ailleurs, alors que le marché mondial semble s’essouffler(5), et ce malgré la présence de subventions à l’achat importantes depuis des années. Seuls 13,4 % des nouveaux véhicules automobiles immatriculés en 2024 au Canada étaient électriques ou hybrides, et ce taux risque de stagner après la fin récente des rabais pour leur achat(6).
Le gouvernement fédéral a choisi de forcer les consommateurs à acheter des véhicules électriques par la voie réglementaire, malgré leurs inconvénients actuels. Les cibles annuelles de vente de véhicules électriques imposent ainsi une transition forcée du marché en seulement 10 ans(7). Autrement dit, le gouvernement vise à déplacer la courbe d’adoption vers la gauche, en espérant une accélération de la transition à l’instar de la téléphonie mobile ou l’Internet.
Nous avons produit un scénario hypothétique de l’adoption des véhicules électriques sans l’interdiction de vente de véhicules à essence en 2035. Cette hypothèse n’est pas une projection, mais vise plutôt à démontrer l’effet de l’interdiction sur l’adoption de véhicules électriques dans un marché libre (voir la Figure 1). Plus de temps serait alors requis pour atteindre un niveau d’adoption habituelle de la courbe de Rogers (orange), étant donné les réticences des consommateurs.
Une intervention gouvernementale coûteuse
Cette réglementation, qui vise à accélérer l’adoption des véhicules électriques, est assortie de plusieurs coûts élevés :
- Une hausse du coût de la vie
Obliger les Canadiens à adopter les véhicules électriques dans un délai aussi court entraînera une hausse du coût de la vie. La différence de prix en 2026 entre les voitures électriques et conventionnels est estimée à 6720 $, et entre les VUS électriques et conventionnels, 11 490 $(8).
Selon cette projection, un écart est appelé à perdurer et à peser sur la qualité de vie des ménages canadiens en grugeant leur budget. Nombre d’entre eux devront réduire d’autres postes de dépenses, comme l’alimentation ou les loisirs. Et pour certaines familles qui ne pourront pas se permettre un véhicule plus dispendieux, une réduction des déplacements pourrait être nécessaire, affectant ainsi leur qualité de vie.
- Coûts élevés pour construire des infrastructures de recharge
Selon un rapport(9), il faudra environ 680 000 bornes de recharge publiques au Canada d’ici 2040, ce qui suppose l’installation de 40 000 nouvelles bornes chaque année. La réalité est que nous sommes bien loin de cette cible, avec seulement 6764 bornes installées en 2024(10). Pour les véhicules légers seulement, visés par le règlement fédéral, la construction des bornes de recharge nécessaires coûterait 18 milliards $, toujours selon le rapport.
- Forte pression sur les réseaux électriques provinciaux
L’adoption rapide et obligatoire des véhicules électriques, artificiellement accélérée par le gouvernement fédéral, exercera inévitablement de lourdes pressions à court terme sur les réseaux électriques. Selon certaines estimations, cette mesure pourrait augmenter la demande en électricité de 7,5 % à 15,3 %(11). Cette hausse mettra les réseaux à rude épreuve, et pourrait nécessiter des investissements supplémentaires pouvant atteindre 294 milliards $ pour adapter les réseaux électriques et augmenter la capacité de production d’électricité(12).
- Une approche liberticide pour les Canadiens
Interdire l’achat de véhicules à essence est une approche liberticide qui restreint le choix des Canadiens et Canadiennes en matière de mobilité. Le gouvernement outrepasse ainsi son rôle en prenant des décisions de consommation à la place des citoyens. Si un parent considère qu’une voiture à essence répond mieux aux besoins de sa famille, le gouvernement ne devrait pas intervenir pour interdire ce choix.
Conclusion
En interdisant les véhicules à combustion, le gouvernement mise gros sur une technologie qui doit encore faire ses preuves et passer le « test du marché ». L’accélération de l’adoption des véhicules électriques, orchestrée par le règlement fédéral, est assortie de coûts importants. Le gouvernement devrait plutôt envisager d’abroger ce règlement et de laisser les Canadiens choisir librement leurs véhicules, réduisant ainsi la facture pour les contribuables et les consommateurs.
Références
- La Colombie-Britannique et le Québec ont adopté une réglementation similaire. Gouvernement du Canada, Règlement modifiant le Règlement sur les émissions de gaz à effet de serre des automobiles à passagers et des camions légers : DORS/2023-275, Gazette du Canada, Partie II, vol. 157, no 26, 15 décembre 2023.
- Il s’agit de véhicules zéro émission, principalement électriques ou hybrides électriques.
- Idem. Everet M. Rogers, Diffusion of Innovations (3e édition), The Free Press, 1983 (1962), p. 243.
- Our World in Data, Adoption of communication technologies per 100 people, World, consulté le 28 janvier 2025.
- Philippe Leblanc, « Le marché des véhicules électriques au ralenti », Radio-Canada, 28 septembre 2024; William Wikes, « Europe’s EV Sales Plunge Has Carmakers Seeking EU Relief », BNN Bloomberg, 19 septembre 2024.
- Calcul de l’auteur. Données disponibles seulement pour les trois premiers trimestres de l’année. Marie-Emma Parenteau, « Finie l’aide fédérale de 5000 $ pour un véhicule électrique, des clients mécontents », Radio-Canada, 14 janvier 2025; Statistique Canada, Tableau 20-10-0024-01 : Immatriculations des véhicules automobiles neufs, trimestrielle, 12 décembre 2024.
- Le mécanisme réglementaire rend pratiquement interdite la vente de véhicules à essence en raison des pénalités pour non-respect des quotas de véhicules électriques (100 % en 2035). Gouvernement du Canada, Objectifs des ventes des véhicules Zéro émission au Canada, Transports Canada, 28 octobre 2024.
- L’avantage relatif du coût d’entretien des véhicules électriques diminue fortement à l’horizon 2026. Calculs de l’auteur. Chris Matier et al., Norme sur la disponibilité des véhicules électriques : coûts de possession et l’offre de bornes de recharge, Bureau du directeur parlementaire du budget, 29 août 2024, p. 12.
- Gouvernement du Canada, Infrastructure de recharge pour les véhicules électriques au Canada, Ressources naturelles Canada, février 2024.
- David Kennedy, « Canadian public EV charging station installations slowed in 2024 », Automotive News, 8 janvier 2025.
- Cela augmentera les tarifs d’électricité des provinces, car la production d’électricité à partir de nouvelles installations est plus dispendieuse. G. Cornelis van Kooten, « Failure to Charge: A Critical Look at Canada’s EV Policy – Electric Vehicles and the Demand for Electricity », Institut Fraser, mars 2024, p. 26; Hydro-Québec, Plan stratégique 2022-2026, 25 mars 2022, p. 10.
- Gouvernement du Canada, op. cit., note 9.