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Textes d'opinion

Pour un meilleur accès à la télémédecine

La journée a mal commencé, comme celle d’hier. Toujours les mêmes symptômes, mais passer l’avant-midi à la clinique ne vous sourit guère, et une visite aux urgences encore moins.

Vous ouvrez une application sur votre téléphone. Au bout de quelques clics, le visage d’un médecin apparaît. Après une brève consultation, une ordonnance vous est envoyée. Les médicaments vous sont livrés un peu plus tard dans la journée. Sans y penser davantage, vous êtes déjà replongé dans vos activités quotidiennes.

Ce scénario qui semble relever de la science-fiction est aujourd’hui possible. Nous communiquons avec l’autre bout de la planète, nous effectuons sans problème des transactions bancaires en quelques mouvements de doigts en toute sécurité. Il n’y a aucune raison pour qu’un patient ne soit pas en mesure de consulter virtuellement un médecin ou une infirmière pour un problème de santé courant.

Pourtant, pour la très grande majorité d’entre nous, une visite médicale représente souvent des recherches, de longues heures d’attente et une journée de travail (ou de congé) perdue. En tout, à peine 1 % des Canadiens utilisent les soins virtuels.

Puisque les technologies permettant la télémédecine existent et qu’elles sont éprouvées, pourquoi les systèmes de santé canadiens restent-ils figés dans le passé ? Parce que nos gouvernements, consciemment ou non, laissent toutes sortes d’obstacles compliquer notre vie et celle de ceux qui veulent nous soigner.

La multiplication des permis

Par exemple, un médecin qui fournit des soins aux citoyens d’une province doit détenir un permis de pratique dans cette province, même s’il détient déjà une licence d’une autre province. Cette exigence désuète empêche une meilleure allocation des ressources médicales. Si des médecins sont disponibles pour donner un coup de main dans notre coin de pays, ne serait-ce que temporairement, pourquoi ne pas les accueillir à bras ouverts ?

Dans le cas de la télémédecine, le maintien de cette même exigence par la majorité des provinces devient carrément farfelu. De plus en plus d’entreprises canadiennes offrent à leurs employés l’accès à des consultations virtuelles par l’entremise de leur régime d’assurance collectif. Un médecin qui fournit de telles consultations peut successivement renouveler une ordonnance pour un patient albertain, faire un suivi pour une Manitobaine atteinte d’une maladie chronique, diriger un patient québécois vers une consultation avec un spécialiste puis donner des conseils à une Néo-Brunswickoise, le tout sans quitter son bureau.

Pourquoi obliger ce médecin à détenir et renouveler un permis de pratique dans chacune de ces provinces ? L’anatomie des Canadiens n’est pourtant pas si différente d’une province à l’autre !

Encore ici, on se prive d’un apport additionnel, qui soulagerait à la fois les patients et nos systèmes publics engorgés.

Même si on se place strictement du point de vue des systèmes publics, la reconnaissance mutuelle des permis de pratique par les provinces permettrait aussi d’obtenir des gains importants. Selon un sondage récent des Médecins résidents du Canada, près d’un médecin résident sur cinq (18,5 %) se dit prêt à faire de la suppléance à l’extérieur de la province où il exercera principalement la médecine. Cette proportion monte à plus de la moitié (52 %) s’il n’est plus nécessaire de faire des demandes de permis additionnelles.

Des obstacles de toutes sortes

Les gouvernements des provinces ont aussi élaboré toutes sortes de conditions qui restreignent l’accès à la télémédecine à l’intérieur des systèmes publics. Celle-ci est souvent réservée à des patients vivant en région éloignée ou qui souffrent de conditions particulières. Parfois, l’État exige même que le patient ou son médecin se déplace dans un établissement de santé autorisé pour y recevoir ou donner les soins virtuels. Avouons que ça contredit un peu l’objectif même de la télémédecine !

La façon dont nous payons les médecins ici n’aide pas non plus. La rémunération à l’acte, qui représente environ les trois quarts des revenus des médecins canadiens, n’incite pas à accomplir des actes pour lesquels un paiement n’est pas prévu, et n’est donc pas de nature à favoriser l’innovation dans la pratique. Sans surprise, la très grande majorité de nos médecins sont hésitants à écrire un courriel ou prendre le téléphone pour nous contacter. Pour les consultations sur des appareils mobiles, on repassera…

Enfin, nos systèmes de santé publics tournent encore trop souvent autour des médecins. Bien que leur expertise soit parfois indispensable, il existe bien des situations ou des infirmières et des pharmaciens pourraient prendre la relève. Permettre à ces derniers d’en faire plus libérerait cette ressource rare que sont les médecins.

Une occasion à saisir

De nombreuses études ont démontré que la télémédecine était à la fois fiable, pratique et efficace, et qu’elle pouvait être utile pour une grande partie des soucis de santé qui nous affectent au quotidien. Après tout, la télémédecine n’est pas tant un nouveau champ professionnel qu’une nouvelle façon de rendre plus accessibles des soins éprouvés, prodigués par des professionnels expérimentés. Le législateur devrait mettre toute son énergie à faire tomber les barrières qui subsistent encore et qui empêchent les Canadiens de profiter de ses bienfaits.

Patrick Déry est analyste associé senior à l’Institut économique de Montréal. Il est l’auteur de « Entrepreneuriat et santé – Comment favoriser le déploiement de la télémédecine au Canada » et signe ce texte à titre personnel.

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