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Les effets pervers des règlements municipaux

Les Montréalais pourraient bientôt subir les « conséquences inattendues » de deux politiques municipales qui risquent d’entraîner les effets contraires de ceux recherchés au départ, dans ce qui se veut une dynamique connue des économistes, mais souvent ignorée par les politiciens.

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Ce Point a été préparé par Germain Belzile, chercheur associé senior à l’IEDM. La Collection Réglementation de l’IEDM vise à examiner les conséquences souvent imprévues pour les individus et les entreprises de divers lois et règlements qui s’écartent de leurs objectifs déclarés.

Les Montréalais pourraient bientôt subir les « conséquences inattendues » de deux politiques municipales qui risquent d’entraîner les effets contraires de ceux recherchés au départ, dans ce qui se veut une dynamique connue des économistes, mais souvent ignorée par les politiciens.

Quand l’État décide d’imposer des pratiques à une industrie, il s’immisce dans des activités économiques et commerciales. Mais comme les politiciens sont incapables de tout prévoir, des conséquences inattendues peuvent survenir(1). L’économiste et prix Nobel Friedrich A. Hayek (1899-1992) a beaucoup écrit sur le sujet. Selon Hayek, chaque personne possède une infime fraction des connaissances totales qui permettent de faire fonctionner l’économie(2). En conséquence, même le plus compétent des bureaucrates ne peut prétendre posséder le savoir nécessaire pour y arriver, et toute tentative de planification – ou de réglementation dans les cas qui nous intéressent – mène à des inefficacités, comme des pénuries ou des surplus.

Ces « conséquences inattendues » des politiques publiques ont également été mises en lumière par l’économiste et penseur libéral français Frédéric Bastiat. Dès le 19e siècle, Bastiat expliquait qu’on doit distinguer les effets « visibles » d’une politique publique de ses effets « invisibles » et souvent pervers(3). Deux cas récents illustrent ce phénomène.

La Ville de Montréal et les animaleries

Depuis le 1er juillet, les animaleries de Montréal sont tenues de s’approvisionner en chats, chiens et lapins auprès de refuges ou de cliniques vétérinaires(4). La Ville allègue qu’il y a beaucoup d’animaux dans les refuges et souhaite ainsi encourager les gens à adopter un animal abandonné(5). En plus de s’ingérer dans le libre choix des citoyens d’acquérir un animal de compagnie de leur choix et d’entraver la liberté de commerce des animaleries, cette intervention risque de produire l’effet contraire de celui recherché pour ce qui est du bien-être des animaux.

En effet, les animaleries s’approvisionnaient jusqu’à tout récemment auprès d’éleveurs, qui offraient une grande variété d’animaux de compagnie. En comparaison, les refuges, qui accueillent des animaux abandonnés, n’ont pas assez d’animaux pour répondre à la demande ou à tout le moins aux besoins des consommateurs, ce qui pourrait menacer la survie de plusieurs animaleries(6). En outre, plusieurs animaux hébergés dans des refuges ne peuvent pas être placés dans des familles avec des mineurs, tandis que d’autres sont plus âgés, ce qui les rend moins attrayants pour des familles. Quant à l’idée de s’approvisionner auprès de vétérinaires, ce sera difficilement réalisable, puisque leur ordre professionnel leur interdit de vendre des animaux(7).

Si le règlement pénalise les entreprises ayant pignon sur rue, la vente en ligne demeurera libre de contraintes. Les clients pourront donc sans problème acheter leurs chiots et chatons selon leurs choix et leurs préférences chez des éleveurs et des particuliers qui, au contraire des animaleries, ne détiennent pour la plupart aucun permis du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec(8), et qui ne sont pas régulièrement inspectés.

L’idée ici n’est pas de dénoncer l’achat et la vente d’animaux domestiques par Internet, ou d’être contre ce qui pourrait s’apparenter à un libre marché des animaux domestiques, mais bien de souligner les conséquences inattendues de ce règlement qui vise pourtant à « protéger davantage la santé et le bien-être des animaux »(9).

L’effet « visible » de la réglementation sera donc de rendre plus compliqué pour les gens de se procurer des animaux dans des endroits surveillés, tandis que l’effet « invisible » sera de pousser ces mêmes clients vers d’autres revendeurs d’animaux, qui ne seront plus soumis à aucune surveillance. La situation qui en résultera risque d’être contraire aux bonnes intentions qui ont mené à l’adoption du règlement municipal.

Les circulaires et les hebdos locaux

Dans le but de réduire la consommation de produits imprimés, la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) a récemment recommandé d’avoir recours à une distribution des dépliants publicitaires (comme ceux livrés dans le Publisac) basée sur une « approche volontaire plutôt que systématique ». Celle-ci reposerait sur le principe de l’« opt-in » plutôt que de l’« opt-out », c’est-à-dire que la distribution serait permise seulement aux citoyens qui en font la demande(10).

Dans ce cas-ci, l’effet « visible » de cette politique serait de diminuer le nombre de dépliants imprimés. Or, cet effet en cache un autre : si elle était appliquée, la formule menacerait le modèle d’affaires et même la survie des hebdomadaires locaux. En ce moment, ces journaux sont distribués dans le Publisac avec les dépliants. Sans le Publisac, il en coûterait beaucoup plus cher pour distribuer les hebdos à chaque porte(11).

Bien que ce règlement ne vise en aucun cas les médias, l’effet « invisible » serait de miner le modèle économique des journaux de quartiers, déjà aux prises avec plusieurs défis. Il s’agit, par surcroît, d’un exemple typique où l’intervention d’un palier de gouvernement (municipal) vient, sans le vouloir, générer des effets contraires aux objectifs d’autres paliers de gouvernements (provincial et fédéral), qui cherchent justement des moyens de permettre aux journaux de demeurer économiquement viables. En effet, le gouvernement fédéral a instauré trois nouvelles mesures fiscales, dont un crédit d’impôt pour appuyer le journalisme canadien(12).

D’abord, ne pas nuire

L’enfer économique est souvent pavé de bonnes intentions politiques. Les élus et les bureaucrates doivent garder à l’esprit que les règlements et lois qu’ils mettent en place ont des effets qui vont au-delà de ce qui est visible à première vue. Les exemples cités ici ne sont qu’un infime échantillon des effets pervers et inattendus que créent les législateurs chaque fois qu’ils décident d’intervenir d’une façon ou l’autre dans l’économie. Dans l’exercice de leurs fonctions, ces derniers auraient avantage à se remémorer l’une des premières choses que l’on apprend aux étudiants en médecine, mais qui trouve aussi de multiples applications dans les politiques publiques : primum non nocere, ou d’abord, ne pas nuire.

Références

1. Robert K. Merton, « The Unanticipated Consequences of Purposive Social Action », American Sociological Review, vol. 1, no 6, décembre 1936, p. 894-904.
2. Friedrich A. Hayek, « The Use of Knowledge in Society », American Economic Review, vol. 35, no. 4, septembre 1945, p. 519-530.
3. Un exemple classique est lorsqu’un gouvernement impose des tarifs sur des produits importés. L’effet « visible » est de protéger certaines industries locales (et certains emplois) de la concurrence étrangère, tandis que l’effet « invisible » est de rendre plus coûteux les produits en question pour l’ensemble de la population locale. Frédéric Bastiat, « Ce qu’on voit et Ce qu’on ne voit pas », Œuvres complètes, vol. 5, juillet 1850, p.336.
4. Ville de Montréal, Règlement sur l’encadrement des animaux domestiques, adopté le 20 août 2018, articles 22 et 23.
5. Ce règlement est actuellement confronté à une première contestation judiciaire de la part d’un regroupement de propriétaires d’animaleries. Yves Poirier, « Des animaleries contestent judiciairement le règlement animalier de Montréal », TVA Nouvelles, 12 juillet 2019.
6. Les animaleries anticipent que les nouvelles règles feront chuter leur chiffre d’affaires de 20 % à 30 %, ce qui risque d’en pousser plusieurs à fermer leurs portes. Voir Rolf C. Hagen et al. c. Ville de Montréal, Demande de pourvoi en contrôle judiciaire, en sursis et en dommages, Cour supérieure, District de Montréal, no. 500-17-108673-198.
7. Vérification auprès de l’Ordre des Médecins Vétérinaires du Québec, 30 juillet 2019.
8. Gouvernement du Québec, Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal, RLRQ, c. B-3.1, art. 16 et ss.
9. Ville de Montréal, « Le comité exécutif de la Ville de Montréal adopte le Règlement sur l’encadrement des animaux domestiques et le Règlement interdisant les calèches », communiqué de presse, 14 juin 2018.
10. Communauté métropolitaine de Montréal, « La CMM propose une solution globale pour hausser la performance de la gestion des matières résiduelles au Québec», 19 mars 2019.
11. Marie-Ève Martel, « Publisacs : dilemme entre écologie et survie des hebdos locaux », Radio-Canada.ca, 27 juin 2019.
12. Ministère des Finances, Investir dans la classe moyenne − Le budget de 2019, Gouvernement du Canada 19 mars 2019.​

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