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Taxation du carbone : les politiques d’Ottawa et des provinces sont-elles efficientes?

Depuis les années 1920 et les travaux d’A.C. Pigou, les économistes s’entendent en général pour dire qu’imposer un prix sur les émissions d’un polluant est la façon la plus efficiente de les réduire et de minimiser les inconvénients associés aux interventions visant à limiter la pollution. Cette façon de faire donne habituellement de meilleurs résultats que la réglementation ou d’autres interventions gouvernementales qui ne s’appuient pas sur des mécanismes du marché.

En lien avec cette publication

A carbon tax should replace other, less efficient policies (The Globe and Mail, 4 juillet 2019)

Gaz à effet de serre – Taxer le carbone de la bonne manière (La Presse+, 8 juillet 2019)

Entrevue (en anglais) avec Germain Belzile (Danielle Smith, Global News Radio, 4 juillet 2019)

Entrevue (en anglais) avec Germain Belzile (The Geoff Currier Show, Global News Radio, 4 juillet 2019)

Entrevue avec Germain Belzile (La croisée, Ici Radio-Canada, 4 juillet 2019)

Entrevue avec Germain Belzile (Boulevard du Pacifique, Ici Radio-Canada, 4 juillet 2019)

Entrevue (en anglais) avec Germain Belzile (Roy Green Show, Global News Radio, 6 juillet 2019)

Entrevue (en anglais) avec Luc Vallée (Breakfast Television, CITY-TV, 7 août 2019)

 

Cette Note économique a été préparée par Germain Belzile, économiste et chercheur associé senior à l’IEDM. La Collection Énergie de l’IEDM vise à examiner l’impact économique du développement des diverses sources d’énergie et à réfuter les mythes et les propositions irréalistes qui concernent ce champ d’activité important.

Depuis les années 1920 et les travaux d’A.C. Pigou(1), les économistes s’entendent en général pour dire qu’imposer un prix sur les émissions d’un polluant est la façon la plus efficiente de les réduire et de minimiser les inconvénients associés aux interventions visant à limiter la pollution. Cette façon de faire donne habituellement de meilleurs résultats que la réglementation ou d’autres interventions gouvernementales qui ne s’appuient pas sur des mécanismes du marché.

Partageant ce point de vue, plus de 3500 économistes, dont 27 prix Nobel, ont signé une déclaration commune dans le Wall Street Journal qui recommandait l’utilisation d’une taxe carbone pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES)(2). Au Canada, les gouvernements fédéral et provinciaux ont mis en place des politiques visant à réduire les émissions de GES, dont la taxation des émissions, la réglementation ou encore différentes subventions – aux voitures électriques, par exemple. Ces politiques sont-elles efficientes? Est-il possible de faire mieux ?

La littérature économique fait état de certains consensus sur les meilleures politiques qui visent à réduire les émissions d’un polluant donné. Nous avons identifié trois conditions qui devraient être remplies afin qu’une telle politique soit efficiente et qu’elle ne nuise pas à la prospérité.

Premièrement, une telle politique devrait être fiscalement neutre, c’est-à-dire qu’une nouvelle taxe devrait remplacer d’autres taxes plus nocives pour l’économie et non ajouter aux recettes fiscales totales des gouvernements(3). Cette condition est reliée aux effets négatifs d’un État plus gros, notamment en ce qui a trait à la croissance économique(4).

Deuxièmement, la taxation des GES devrait remplacer les autres politiques qui visent le même objectif, dont la réglementation des émissions et les subventions aux énergies vertes. De telles politiques créent des distorsions économiques, en plus d’être moins efficaces que la taxation(5).

Troisièmement, une taxe sur le carbone devrait tenir compte de l’existence ou non d’une politique similaire chez nos voisins et concurrents. En effet, une augmentation du prix des biens et services canadiens suite à la taxation des émissions de GES pourrait conduire à un déplacement de leur production vers des régions où cette taxation est inexistante, avec pour conséquences un appauvrissement relatif du Canada et un impact nul sur les émissions, ou même une augmentation(6).

La taxation du carbone au Canada

En 2015, le gouvernement fédéral a signé l’Accord de Paris sur le climat. Il s’engageait alors à ce que le Canada réduise ses émissions de GES de 30 % d’ici 2030(7) par rapport à son niveau d’émission de 2005. La majorité des gouvernements provinciaux s’étaient déjà engagés envers leur électorat à des réductions, chiffrées ou non. Le Tableau 1 présente la situation au pays en juin 2019.

Tableau 1

En vertu de la Constitution, le gouvernement fédéral détient une compétence exclusive pour les traités internationaux. Par contre, l’environnement est une compétence partagée entre Ottawa et les provinces, et chacune a donc établi ses propres politiques.​

Le gouvernement fédéral a récemment imposé une nouvelle taxe sur le carbone dans les provinces qui n’avaient pas de politiques jugées satisfaisantes, soit l’Ontario, la Saskatchewan, le Manitoba, le Nouveau-Brunswick et, depuis peu, l’Alberta(8). Cette taxe est une cause de mécontentement dans ces provinces, qui demandent aux tribunaux d’empêcher le gouvernement fédéral de l’imposer(9). Les autres provinces, qui ont déjà mis en place un mécanisme satisfaisant pour établir un prix sur les émissions de CO2, seront exemptées de la taxe fédérale. Celle-ci fixera le taux à 50 $ la tonne en 2022(10), soit environ le double du prix minimum qui sera en vigueur au Québec(11).

Dans ce contexte, les politiques de taxation du carbone au Canada sont-elles efficientes, au sens où elles respectent les trois conditions de base énoncées plus tôt?

Les taxes sont-elles fiscalement neutres?

Dans certaines provinces, dont le Québec, les mécanismes de tarification du carbone visent explicitement à augmenter les recettes de l’État(12). En Colombie-Britannique, la taxe était neutre au départ sur le plan fiscal (le gouvernement a diminué les impôts sur le revenu des particuliers d’un montant égal aux recettes provenant de la taxe), mais cette situation n’a pas duré et la taxe est maintenant une source nette de revenus pour la province(13). La taxe fédérale sera quant à elle fiscalement neutre pour les ménages et certaines organisations, puisque le gouvernement canadien a annoncé qu’il leur retournerait la totalité des revenus de la taxe. Les ménages recevront 90 % des revenus de la taxe sous la forme d’un chèque, soit plus que l’estimation du montant qu’ils devront payer pour leurs émissions de GES(14).

Par contre, la taxe fédérale ne sera pas neutre pour les entreprises. En effet, le gouvernement fédéral a promis aux entreprises une aide qui correspondra à moins de 10 % des revenus totaux de la taxe, mais qui sera uniquement destinée aux petites et moyennes entreprises(15). La taxe ne sera donc pas fiscalement neutre pour les grandes entreprises, qui ne bénéficieront pas de cette subvention.

Les taxes remplacent-elles toutes les politiques qui visent le même objectif?

La seconde condition n’est pas plus respectée, puisque les gouvernements subventionnent les projets de réduction d’émissions de gaz à effets de serre. La taxe sur le carbone vise justement à créer des incitations pour réduire ces émissions. En Ontario, le coût de réduction des émissions par des politiques ciblées va de 100 $ par tonne pour les incitations à utiliser des camions et autobus qui émettent moins de GES, à 500 $ par tonne pour les subventions pour les pistes cyclables(16).

Au Québec, les subventions provenant du Fonds vert avaient coûté, en date de février 2019, 2,08 milliards $ et avaient permis de réduire les émissions de GES de 1,84 million de tonnes(17). Le coût par tonne de GES éliminée des mesures financées par le Fonds vert, à quelque 1130 $, est environ 56 fois plus élevé que celui de la taxe fédérale sur le carbone en 2019, à 20 $. Ce gaspillage de fonds publics n’a pas de raison d’être. Ces politiques sont plus populaires que la taxation du carbone et plus rentables politiquement(18), mais elles doivent être éliminées si on décide de taxer les émissions de GES, ce qui demeure la mesure la plus efficace.

Les taxes tiennent-elles compte du contexte concurrentiel?

La taxation du carbone doit tenir compte du contexte concurrentiel de l’économie canadienne, sans quoi elle pourrait entraîner des déplacements de production et d’investissements (et aussi d’emplois) de certaines provinces plus taxées vers d’autres provinces, ou encore vers les États-Unis, où les émissions de GES ne sont pas taxées partout(19) et où il existe déjà un avantage concurrentiel en raison des impôts plus faibles et de la réglementation moins lourde(20).

Un tel scénario pourrait même entraîner non pas une diminution des émissions globales de GES, mais une augmentation. Par exemple, une fermeture éventuelle d’alumineries au Canada, en raison de la taxation du carbone, pourrait mener au transfert de ces usines dans des pays dont la performance environnementale est nettement moins reluisante(21).

D’ailleurs, un sondage de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante montre que la majorité des PME canadiennes seront forcées d’absorber les hausses de coûts consécutives à l’imposition de la taxe sur le carbone(22). Il est en effet impossible pour une entreprise de refiler aux consommateurs le coût de taxes que ses concurrents n’ont pas à assumer (cela demeure vrai tant pour les coûts provenant de la taxe elle-même que pour les coûts de conformité liés aux multiples couches de réglementation au Canada(23)). Les entreprises doivent alors réduire leurs coûts d’une façon ou d’une autre, par exemple en mettant des travailleurs à pied, en réduisant leurs dépenses ou en déplaçant leur production dans des lieux moins coûteux.

Une réglementation balkanisée

En plus du non-respect des trois conditions de base (résumé dans le Tableau 2), un autre aspect de la réglementation canadienne visant à limiter les émissions de CO2 nuit à son efficience : sa balkanisation. Des prix différents sur le carbone et des politiques différentes à travers le pays augmentent la complexité et les coûts de faire des affaires. Les différents régimes de taxation des émissions de GES créent donc des coûts supplémentaires pour les entreprises qui opèrent dans plusieurs provinces.

Tableau 2

Ce problème est exacerbé par l’intervention du gouvernement fédéral, qui superpose une réglementation à celle des provinces. Le gouvernement canadien ajoute de plus à l’incertitude en raison des contestations judiciaires consécutives à son intervention. Il est aussi probable que les provinces contestataires n’en resteront pas là si elles perdent devant les tribunaux.

Des pistes de solution

Si les gouvernements veulent réduire les émissions de GES canadiennes, ils doivent s’y prendre de la bonne façon. Toute taxe sur le carbone devrait remplacer l’ensemble des autres politiques qui visent le même objectif, dont la réglementation des émissions et les subventions aux énergies vertes. En plus d’être plus efficient en ce qui a trait à l’atteinte des objectifs, cela permettra de réduire les coûts de conformité à la réglementation.

Toute taxe sur le carbone devrait être compensée par une baisse de l’impôt sur le revenu des particuliers et de celui sur les profits des entreprises. Ces deux impôts sont bien plus nocifs qu’une taxe sur le carbone, car ils découragent le travail, l’épargne et l’investissement(24).

Finalement, étant donné que nos concurrents les plus directs, les États-Unis, n’imposent généralement pas de taxe sur les émissions de CO2, les taux canadiens devraient être fixés à un niveau qui n’entraînera pas des fuites d’entreprises et de production vers d’autres régions.

Le Canada ne sauvera pas la planète à lui seul25. Conséquemment, toute politique publique visant à réduire la contribution canadienne aux émissions mondiales doit être basée sur des principes économiques réfléchis. Ce n’est présentement pas le cas.

Références

1. A.C. Pigou, The Economics of Welfare, First Edition, McMillan and Company, 1920.
2. « Economists’ Statement on Carbon Dividends », The Wall Street Journal, 16 janvier 2019; Climate Leadership Council, Economists’ Statement on Carbon Dividends.
3. W.D. Nordhaus, « To Tax or Not to Tax: Alternative Approaches to Slowing Global Warming », Review of Environmental Economics and Policy, vol. 1, no 1, 1er janvier 2017, p. 39.
4. Livio Di Matteo, Measuring Government in the Twenty-first Century: An International Overview of the Size and Efficiency of Public Spending, Fraser Institute, décembre 2013. L’étude précise une taille optimale pour l’État à 26 % du PIB. Par contre, la plupart des pays développés dépassent largement cette cible, comme le Canada qui est tout prêt de 40 %.
5. Alberto Alesina et Francesco Passarelli, « Regulation vs Taxation », Journal of Public Economics, vol. 110, février 2014; Ross McKitrick, A Practical Guide to the Economics of Carbon Pricing, The School Of Public Policy, Université de Calgary, septembre 2016, p. 6.
6. Germain Belzile et Mark Milke, « Bourse du carbone : faire fuir les emplois et les capitaux sans réduire les GES », Note économique, IEDM, 13 juin 2018. Voir aussi Andrea M. Bassi, Joel S. Yudken et Matthias Ruth, « Climate Policy Impacts on the Competitiveness of Energy-Intensive Manufacturing Sectors », Energy Policy, vol. 37, no 8, août 2009, p. 3052-3060; Nic Rivers, « Impacts of Climate Policy on the Competitiveness of Canadian industry: How Big and How to Mitigate? », Energy Economics, vol. 32, no 5, septembre 2010, p. 1092-1104; John Asafu-Adjaye et Renuka Mahadevan, « Implications of CO2 Reduction Policies for a High Carbon Emitting Economy », Energy Economics, vol. 38, juillet 2013, p. 32-41; Ralf Martin, Laure B. de Preux et Ulrich J. Wagner, « The Impact of a Carbon Tax on Manufacturing: Evidence from Microdata », Journal of Public Economics, vol. 117, septembre 2014, p. 1-14; Jared C. Carbone et Nicholas Rivers, « The Impacts of Unilateral Climate Policy on Competitiveness: Evidence from Computable General Equilibrium Models », Review of Environmental Economics and Policy, vol. 11, no 1, janvier 2017, p. 24-42.
7. Environnement et Changement climatique Canada, Stratégie canadienne de développement à faible émission de gaz à effet de serre à long terme pour le milieu du siècle, 2016, p. 6.
8. « Everything you need to know about Canada’s new carbon tax », National Post, 23 janvier 2019; et The Canadian Press, « Alberta makes it official: Bill passed and proclaimed to kill carbon tax », CBC.ca, 5 juin 2019.
9. « Canada’s carbon tax: A guide to who’s affected, who pays what and who opposes it », The Globe and Mail, 14 novembre 2018, mis à jour le 23 mai 2019.
10. Gouvernement du Canada, Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques, 2016, p. 58.
11. Jean Michaud and Germain Belzile, The Cumulative Impact of Harmful Policies – The Case of Oil and Gas in Alberta, Cahier de recherche, IEDM, 9 mai 2019. Québec, Service Québec, « Une vente aux enchères du marché du carbone Québec-Californie se tient aujourd’hui », 14 mai 2019.
12. Gouvernement du Québec, Environnement et lutte contre les changements climatiques, Le marché du carbone, un outil pour la croissance économique verte!
13. Charles Lamman et Taylor Jackson, Examining the Revenue Neutrality of British Columbia’s Carbon Tax, Institut Fraser, février 2017.
14. Bureau du directeur parlementaire du budget, Fiscal and Distributional Analysis of the Federal Carbon Pricing System, 25 avril 2019.
15. Ibid., p. 12-13.
16. Trevor Tombe, « Transition briefing: An evidence-based climate policy for Ontario », School of Public Policy and Governance, University of Toronto, avril 2018.
17. Government of Quebec, Conseil de gestion du fonds vert, Rapport annuel de gestion 2017-2018, 2018, pp. 44-51; Government of Quebec, Conseil de gestion du fonds vert, Émissions de gaz à effet de serre (GES) réduites ou évitées quantifiables dans le cadre du Plan d’action 2013-2020 sur les changements climatiques, 31 mars 2018, mis à jour le 5 juin 2018.
18. James J. Buchanan et Gordon Tullock, « Polluters’ Profits and Political Power: Direct Control versus Taxes », The American Economic Review, mars 1975.
19. La Californie et certains États du Nord-Est appliquent un prix sur le carbone. Voir Center for Climate and Energy Solutions, Library, Map, U.S. State Carbon Pricing Policies, mis à jour en juin 2019.
20. Mathieu Bédard et Kevin Brookes, « Rétablir la compétitivité canadienne passe par une baisse de l’impôt des entreprises », Note économique, IEDM, 23 octobre 2018.
21. Quatre régions sont de grands producteurs d’aluminium : le Canada (le Québec et la C.-B.), la Russie, la Chine et le Moyen-Orient. Or, les émissions par tonne d’aluminium produite au Canada sont 19 % plus faibles qu’en Russie, 67 % plus faibles qu’au Moyen-Orient et 76 % plus faibles qu’en Chine. Ceci est dû en grande partie au fait qu’au Moyen-Orient, l’électricité nécessaire au processus d’électrolyse est produite à partir d’hydrocarbures, et de charbon en Chine, alors que l’hydroélectricité est utilisée au Canada. Voir à ce sujet Mikela Hein et Jotham Peters, Reversing Carbon Leakage in the Aluminum Sector, Research Brief, Navius Research, Mars 2019. Jean Simard et Anik Dubuc, « Position of the Aluminium Association of Canada as Part of Canada’s Transition to a Low-Carbon Economy », Aluminium Association of Canada, 28 mars 2017.
22. Andy Blatchford, « Carbon Tax Worries Small Businesses That Fear They Won’t Be Able To Pass On Costs: Poll », HuffPost, 12 février 2019.
23. Jean Michaud et Germain Belzile, The Cumulative Impact of Harmful Policies – The Case of Oil and Gas in Alberta, Cahier de recherche, IEDM, 9 mai 2019.
24. Mathieu Bédard et Kevin Brookes, Entrepreneuriat et fiscalité – Comment l’impôt affecte l’activité entrepreneuriale, Cahier de recherche, IEDM, 13 septembre 2018.
25. Germain Belzile, « Réduction des GES : des cibles ambitieuses pour des impacts insignifiants », Le Point, IEDM, 17 janvier 2019.

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