fbpx

Textes d'opinion

Les travailleurs de la Banque Laurentienne ont fait le bon choix

Les travailleurs syndiqués de la Banque Laurentienne ont accepté à 81 % l’offre patronale, mettant fin à des négociations ayant débuté en 2016. La banque veut faire passer ses services bancaires au 21e siècle et permettre aux clients d’effectuer presque toutes les transactions sur leur téléphone intelligent. Ceci suppose de modifier les tâches accomplies par certains employés, ainsi que des abolitions de postes. Perdre son emploi n’est jamais facile, quoique cela soit atténué par l’actuelle pénurie de main-d’œuvre.

Les changements technologiques touchent l’ensemble du secteur bancaire et plusieurs autres. Le cas de la Banque Laurentienne a attiré une forte attention médiatique parce qu’elle est la seule des grandes banques canadiennes qui soit syndiquée. En lisant entre les lignes, on comprend que la partie syndicale aurait voulu présenter ce débat comme un combat entre David et Goliath. La réalité, illustrée par le résultat sans équivoque du vote, est qu’il s’agissait plutôt d’un Don Quichotte empreint d’illusions s’opposant au moulin à vent de l’innovation.

Aussi, il faut le dire, cet affrontement a cristallisé un nombre important de peurs face à la technologie. On craint la fin du travail alors même qu’on manque de travailleurs. Ce genre de peur est à la mode avec l’essor de l’intelligence artificielle, mais elle est loin d’être nouvelle. Dans la Rome antique, l’empereur Vespasien, à qui on doit le Colisée, refusa que ses chantiers utilisent certains ancêtres des grues de peur que le peuple ne manque d’ouvrage. En 1489, la reine Élisabeth (première du nom) refusa de donner un brevet à l’inventeur de la machine à tricoter des bas, craignant que celle-ci ne provoque une crise du chômage en Angleterre.

De telles inquiétudes font sourire aujourd’hui. Au Canada, au moment où les technologies sont de plus en plus présentes, le taux de chômage en 2018 a été de 5,6 %, un creux historique qu’on peut qualifier de plein-emploi. Le taux de participation pour les travailleurs dans la force de l’âge, de 25 à 54 ans, est à 87 %. Selon l’International Federation of Robotics, c’est en Corée du Sud qu’on trouve le plus de robots par travailleurs, un autre pays en situation de plein-emploi, suivi de près par Singapour puis, avec une utilisation moindre, l’Allemagne, le Japon, la Suède et le Danemark. Tous ces pays frôlent le plein-emploi.

Si on prend un autre exemple lié au secteur bancaire, l’arrivée des guichets automatiques n’a pas fait augmenter le chômage, bien au contraire. Ces appareils ont fait baisser les frais d’exploitation des banques, ce qui les a encouragées à ouvrir plus de succursales. Le nombre de caissières a augmenté. Et on n’a pas besoin d’être un fin économiste pour comprendre que pour une banque, comme pour toute entreprise, la transition vers un service aux clients livré grâce aux nouvelles technologies vise à leur permettre de croître et, éventuellement, d’embaucher plus d’employés à des postes plus rémunérateurs.

L’innovation, c’est bon

L’innovation n’amène pas le chômage. Au contraire, les innovations technologiques libèrent les travailleurs pour leur permettre d’accomplir des tâches où ils peuvent être plus productifs. Ils donnent alors plus de services plus rapidement, et les entreprises sont en mesure de payer des salaires plus élevés. Les innovations et les changements dans le milieu bancaire, comme partout ailleurs, permettent ultimement aux employés d’être mieux rémunérés. Ceux qui en doutent feraient bien de jeter un œil à l’histoire industrielle des 200 dernières années.

D’ailleurs, quelle aurait été l’alternative? La concurrence qui se dessine à l’horizon pour les banques traditionnelles est celle des « fintechs », des applications nouveau genre qui n’ont quasiment aucun employé. Puisqu’elles ne sont pas des banques au sens traditionnel, elles échappent souvent à une réglementation coûteuse à laquelle doivent se conformer les banques qui ont pignon sur rue. Pour l’instant, les fintechs sont peu connues du grand public et généralement peu pratique, mais elles présentent un potentiel immense, notamment pour offrir des frais bancaires moindres.

Si on avait pu mettre les banques des années 1990 sous une cloche de verre et les empêcher d’évoluer, les transformant essentiellement en musées, cette concurrence les aurait éventuellement poussés vers la disparition. Il y aurait eu moins d’emplois dans les succursales. Les travailleurs n’auraient pas été gagnants.

À trop vouloir protéger certains emplois, on perd de vue l’ensemble. Le marché de l’emploi est favorable aux travailleurs en ce moment, ce sont eux qui ont le gros bout du bâton. Raison de plus pour accueillir favorablement l’innovation, qui est elle aussi favorable aux travailleurs! Les travailleurs syndiqués de la Banque Laurentienne ont fait le bon choix.

Mathieu Bédard est économiste à l’Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.

Back to top