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Doit-on permettre aux superinfirmières de poser des diagnostics?

La ministre de la Santé a récemment demandé que les infirmières praticiennes spécialisées (IPS) du Québec puissent poser des diagnostics, comme c’est le cas partout ailleurs au Canada. Le Collège des médecins du Québec (CMQ) a fini par emboîter le pas, tandis que la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), elle, se fait encore tirer l’oreille, alléguant que ce geste doit leur être réservé. Cette résistance est-elle justifiée?

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Pourquoi s’arrêter aux « super-infirmières »? (La Presse+, 28 février 2019)

Specialized nurses increase public access to care (Montreal Gazette, 28 février 2019)

 

Ce Point a été préparé par Patrick Déry, analyste senior en politiques publiques à l’IEDM. La Collection Santé de l’IEDM vise à examiner dans quelle mesure la liberté de choix et l’initiative privée permettent d’améliorer la qualité et l’efficacité des services de santé pour tous les patients.

La ministre de la Santé a récemment demandé que les infirmières praticiennes spécialisées (IPS) du Québec puissent poser des diagnostics, comme c’est le cas partout ailleurs au Canada. Le Collège des médecins du Québec (CMQ) a fini par emboîter le pas, tandis que la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), elle, se fait encore tirer l’oreille, alléguant que ce geste doit leur être réservé(1). Cette résistance est-elle justifiée?

Le Québec est, dans tout le Canada, l’endroit où il y a le moins de superinfirmières en proportion de la population. La province comptait à peine 5 infirmières praticiennes par tranche de 100 000 habitants en 2017 alors que la moyenne canadienne était de 15, et que cette même proportion s’élevait à plus de 22 en Ontario (voir la Figure 1). Ainsi, on comptait en tout un peu plus de 3300 infirmières praticiennes en Ontario l’année dernière, contre 484 pour le Québec(2).

Figure 1

Ce n’est pourtant pas comme si, au Québec, la première ligne arrivait à répondre à la demande de soins. Le Québec – comme le reste du Canada d’ailleurs – a peu de médecins lorsqu’on le compare avec la plupart des pays développés(3); un Québécois sur cinq n’a toujours pas accès à un médecin de famille, et un sur trois sur l’île de Montréal(4). La Belle Province est en queue de peloton parmi les pays développés pour l’accès à une consultation le jour même ou le lendemain(5). Quant au temps d’attente dans les urgences du Québec, il est maintenant légendaire(6). L’élargissement de la pratique des infirmières praticiennes ne réglerait pas tous les problèmes, mais il contribuerait à améliorer la situation.

De nombreuses études

Plusieurs études ont montré que les infirmières praticiennes peuvent dispenser un large éventail de soins de première ligne; cela va de 67 % selon une étude canadienne jusqu’à 93 % selon une étude américaine. L’American College of Physicians – une association de médecins – a quant à lui conclu que de 60 à 90 % des soins de première ligne pouvaient être prodigués par des infirmières praticiennes(7). Un avantage évident est de libérer les médecins de cas relativement plus simples afin qu’ils puissent se concentrer sur ceux pour lesquels ils détiennent une expertise particulière.

Outre l’argument de la quantité, celui de la qualité est évidemment à considérer. Une recension d’une vingtaine d’études effectuées dans des pays de l’OCDE a noté des taux de satisfaction très élevés de la part de patients ayant consulté des infirmières praticiennes. L’une d’elles, réalisée dans neuf cliniques aux États-Unis où les infirmières praticiennes sont bien implantées, a relevé que 91 % des patients se disaient « très satisfaits », et que 94 % avaient l’intention de fréquenter de nouveau la clinique(8).

Le sentiment des patients a été corroboré par les indicateurs de santé, qui se sont avérés semblables à ceux de patients traités par des médecins. Fait notable, les consultations généralement plus longues accordées par les infirmières praticiennes et l’attention supplémentaire portée à la prévention ont entraîné l’amélioration de certains indicateurs, surtout dans le cas de maladies chroniques comme le diabète. Une diminution de l’attente pour accéder aux soins et aux médicaments a aussi été observée(9).

Une étude qui a comparé les décisions d’infirmières praticiennes à celles de médecins pour 600 patients au Royaume-Uni devrait rassurer ceux qui s’inquiètent de possibles frictions ou divergences d’opinions : les médecins et les infirmières praticiennes se sont entendus sur 94 % des diagnostics, et sur 96 % des traitements(10).

Plus près de chez nous, une étude de cas en Colombie-Britannique a aussi montré comment l’arrivée d’infirmières praticiennes dans une région donnée pouvait faire diminuer de façon importante le temps d’attente pour obtenir un rendez-vous. Celui-ci est passé d’une à six semaines lors de leur arrivée à trois jours ou moins en l’espace de quelques années seulement, pendant que le volume de patients traités augmentait. Dans la même période, le nombre de visites à l’urgence pour la même population de patients a chuté d’environ 40 %. Enfin, les patients ont vu l’offre de soins augmenter, et ont pu choisir leur professionnel soignant lors d’une visite donnée(11).

On peut ajouter aux conclusions de toutes ces études le fait que les infirmières praticiennes du Québec sont, au Canada, celles dont la formation comporte le plus grand nombre d’heures d’enseignement, tant théorique que clinique(12).

Pour un meilleur accès aux soins

Bien que la question des diagnostics pour des problèmes de santé courants et certaines maladies chroniques soit maintenant réglée, des barrières demeurent, et les Québécois n’ont toujours pas accès aux pleines compétences des IPS(13). Pourquoi est-ce le cas, puisque l’expérience canadienne et internationale montre qu’il n’y a pas de raison valable?

Sous l’argument de la « protection du public », on trouve en fait une bonne dose de corporatisme. Les restrictions imposées aux infirmières praticiennes du Québec sont un exemple typique de capture réglementaire en faveur d’un petit groupe (les médecins, via certains des groupes les représentant), au détriment de l’ensemble des Québécois.

La ministre de la Santé a raison de vouloir faire sauter ces barrières. Le même esprit d’ouverture devrait s’appliquer à l’ensemble des professionnels de la santé, afin qu’ils puissent tous exercer leurs pleines compétences, même lorsque celles-ci se chevauchent. On peut penser par exemple aux pharmaciens ou aux hygiénistes dentaires; le Québec fait encore bande à part en interdisant aux premiers d’administrer des vaccins, et aux secondes d’exercer leur métier sans être supervisées par un dentiste(14). En somme, l’objectif n’est pas d’opposer certains professionnels de la santé à d’autres, mais bien d’assurer le meilleur accès possible aux soins.

Références

1. Radio-Canada, « Les superinfirmières en renfort pour désengorger le réseau de la santé », 18 février 2019; Janie Gosselin, « Volte-face du Collège des médecins », La Presse+, 24 février 2019; Ariane Lacoursière, « Les IPS pourront poser des diagnostics dès aujourd’hui », La Presse+, 26 février 2019.
2. Ordre des infirmières et infirmiers de l’Ontario, What is CNO?, Nursing Statistics, Data Query Tool; Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, Rapport statistique sur l’effectif infirmier 2017-2018 – Le Québec et ses régions, 2018.
3. Patrick Déry, « Il est temps de mettre fin aux quotas de médecins », Le Point, IEDM, 15 mars 2018.
4. Ministère de la Santé et des Services sociaux, Professionnels, Statistiques et données sur les services de santé et de services sociaux, Accès aux services médicaux de première ligne, Données sur l’accès aux services de première ligne.
5. Commissaire à la santé et au bien-être, Perceptions et expériences de la population : le Québec comparé, Résultats de l’enquête internationale du Commonwealth Fund de 2016, février 2017, p. 16.
6. Patrick Déry, « Les hôpitaux du Québec ont besoin d’entrepreneuriat », Le Point, IEDM, 12 juillet 2018.
7. Claudia B. Maier et al., « Descriptive, cross-country analysis of the nurse practitioner workforce in six countries: size, growth, physician substitution potential », BMJ Open, vol. 6, no 9; 6 septembre 2016.
8. Marie-Laure Delamaire et Gaétan Lafortune, Les pratiques infirmières avancées : Une description et évaluation des expériences dans 12 pays développés, OECD, 31 août 2010, p. 43.
9. Marie-Laure Delamaire et Gaétan Lafortune, ibid, p. 43-50.
10. Marie-Laure Delamaire et Gaétan Lafortune, ibid, p. 46.
11. Alison Roots et Marjorie MacDonald, « Outcomes associated with nurse practitioners in collaborative practice with general practitioners in rural settings in Canada: a mixed methods study », Human Resources for Health, vol. 12, no 69, 11 décembre 2014, p. 6.
12. Association des infirmières praticiennes spécialisées du Québec, Formations requises.
13. Par exemple, elles ne peuvent toujours pas référer un patient à un médecin spécialiste. AIPSQ, « Mémoire de l’Association des infirmières praticiennes spécialisées du Québec (AIPSQ) », mai 2017.
14. Association des pharmaciens du Canada, La pharmacie au Canada, Champ d’exercice élargi des pharmaciens; Isabelle Ducas, « Soins dentaires : des soins plus abordables avec des hygiénistes autonomes », La Presse+, 9 février 2016.

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